Blockbuster
Par Nicolas Ancion et Le Collectif Mensuel
Au Théâtre 71, Malakoff Jusqu'au 15 octobre, puis en tournée – En deux mots
Sur le plateau, un amoncellement d’objets, de caisses, de bouteilles, de bibelots de toute sorte et des instruments de musique font face à un classique écran de cinéma.
Manipulés avec dextérité par trois comédiens et deux musiciens, tous ces éléments permettent de réaliser le bruitage, le doublage et la bande son, en live, des séquences cinématographiques qui défilent sur l’écran. Le Collectif Mensuel reprend la tradition du « mashup », une association de plusieurs plans de films différents, afin de produire en direct un « blockbuster » inédit et parodique, réalisé à partir de 1400 plans-séquences puisés dans 160 films hollywoodiens. La performance tient dans le fait que les cinq acteurs sur scène suivent le déroulement des scènes et prêtent leur voix à des dizaines d’acteurs hollywoodiens – dont Julia Roberts, Sean Pean, Brad Pitt, Sylvester Stalone, Michael Douglas, Judi Dench, Tom Cruise –, pour reproduire l’effet de fascination caractéristique du cinéma : on a beau savoir que le son est produit sur le plateau, on a l’irrésistible sentiment qu’il provient de l’image.
Tous les ingrédients du blockbuster sont là : héros manichéens, courses-poursuites, explosions, à la différence que les comédiens suivent un texte qui leur est propre, et proposent une politique-fiction sur la violence des classes dominantes à l’égard du peuple. Une journaliste d’investigation Corinne Lagneau rédige un article sur les entreprises indécemment riches qui se soustraient aux impôts via des sociétés offshores. Cependant son article est censuré, tandis que Mortier, grand patron « de la fédération des entreprises », use de toute son influence pour lutter contre l’instauration d’une taxe sur les hauts revenus. Face l’injustice, la jeune journaliste enflamme les réseaux sociaux, et incite le peuple à se soulever.
Le projet du Collectif est de traduire, à travers la parodie et l’humour, des thématiques ancrées dans une réalité sociale et politique somme toute assez grave. On assiste à des « scènes de bravoures » où les acteurs usent de leurs talents d’orateurs pour haranguer le peuple dans la fiction, et indirectement le public dans la salle, et soulever une prise de conscience face aux travers d’une société qui ne fonctionnerait que par le profit. Paradoxalement, le public se voit rire du ridicule des héros hollywoodiens en train de mettre en place un plan d’austérité où encore au regard de Brad Pitt qui campe un « Bernard » au RSA. Mais c’est précisément le principe du détournement et l’appropriation par les comédiens de scènes extraites de grosses productions de l’industrie du cinéma, qui permet de rire de situations graves, où la parodie constitue à la fois un instrument de libération et de contestation. Selon le Collectif, « l’opération consiste à utiliser la force de l’adversaire afin de la retourner contre lui », et il s’agit de rendre au théâtre sa force critique afin d’éveiller l’attention du public sur le monde, par le biais de la fable.
La jubilation suscitée par le spectacle provient donc à la fois de la performance technique et du fait que, l’instant du film, le public fasse corps pour créer une nouvelle société où l’espérance et l’affect dominent. Bien que la dernière inscription sur l’écran, « to be started… », laisse planer un sentiment d’impuissance, l’espoir – bien que naïf – d’une aurore nouvelle, sur fond de drôlerie, permet de rendre au théâtre une de ses fonctions première : la communion et la catharsis. Ainsi, Blockbuster reprend la tradition brechtienne du théâtre didactique, où ce dernier, loin d’apporter des réponses, permet, au moins, de poser les questions. Emilie Combes --------------------------------------- Le 10 octobre 2016
Voir le site officiel de l'événement Pour lire ou relire notre dossier sur les mash-up Blockbuster
Théâtre 71 3 Place du 11 Novembre
92240 Malakoff
jusqu'au 15 octobre, puis en tournée en France et en Belgique Tarif plein : 27 €
Tarif réduit : 18 € Crédits Photos © Goldo - Dominique Houcmant