L`Intermède
Film : Drive, de Nicolas Winding Refn, avec Ryan Golsing

DANS LE NOUVEAU FILM de Nicolas Winding Refn, réalisateur des remarqués Pusher, Bronson et Le Guerrier silencieux, Ryan Gosling passe 24 images par seconde à conduire des voitures, masquant derrière son visage d'ange une violence abyssale. Drive, lauréat du prix de la mise en scène au Festival de Cannes et présenté hors compétition au dernier Festival de Deauville, trace la route de ce héros d'un autre temps, Steve McQueen nouvelle génération qui sillonne les rues larges de Los Angeles au son de chansons pop. Une virée urbaine noire et envoûtante, sur les écrans français le 5 octobre.


Par Claire Cornillon

CRÂNES EXPLOSANT à coups de pied, cervelle s'étalant sur les murs, sang giclant sur l'écran : bienvenue dans le monde merveilleux de Nicolas Winding Refn, cinéaste danois qu'une seule trilogie - Pusher - a porté au rang de réalisateur culte, comparé par d'aucuns à un Martin Scorsese ou à un Quentin Tarantino. Mais ce serait réduire son cinéma à ces accès de violence pleine de rage qui ne font qu'en souligner les enjeux. Car cette cruauté frontale n'a rien de gratuit : elle est au contraire l'écrin qui permet au réalisateur, en jouant avec les conventions du film de genre, de sonder les différentes facettes de l'humain.


"The driver"

L'HUMAIN, dans Drive, s'ouvre sur Ryan Gosling au volant de sa voiture, la nuit, au son de  "Nightcall" de Kavinsky. Le titre se détache en rose sur l'écran : Drive. Les années 1980 ne sont pas loin.  Kitsch ? C'est tout l'inverse : Winding Refn oeuvre à fasciner le public, faisant de son cinéma un envoûtement collectif. Croisement entre Marlon Brando et Paul Newman, Gosling sature l'écran à chaque seconde de
drive, nicolas winding refn, ryan gosling, carey mulligan, cannes, deauville, pusher, vallhala rising, bronson, half-nelson, cascadeur, voiture, driver, film, cinéma, a real hero, collegesa présence silencieuse, excessivement physique. Cascadeur le jour et chauffeur pour les braqueurs la nuit, ce jeune homme sans nom, que l'on appelera "the driver", parle peu, reste secret et solitaire, et investit les rues de la ville avec méthode, précision et efficacité. Mais cette mécanique bien huilée dérape lorsqu'il rencontre Irene (Carey Mulligan), dont le mari est en prison, et son fils.

TOUJOURS CONCENTR
É, précis, "The driver" n'est qu'un demi-visage dans le rétroviseur, des yeux qui regardent la route et des mains gantées sur le volant. C'est sa rencontre avec Irene qui va lui conférer, dans l'image, le statut de sujet. Filmé en entier, regardé par cette femme qui tombe amoureuse de lui,  aimé par ce petit garçon qui trouve en lui un père de substitution. Un itinéraire se dessine au coeur du personnage, de la figure froide et magnétique du chauffeur qui arpente Los Angeles comme un somnanbule à la présence rassurante de l'homme derrière le volant. Lui qui sait exactement ce qu'il veut et qui suit ses propres règles se voit contraint de déroger à son code de conduite lorsqu'il intègre la jeune femme et son fils dans sa vie, coupant court à la routine dans laquelle il n'avait à se soucier que de lui-même et perdant le contrôle qui lui était si cher.

DRIVE EST ADAPT
É d'un court roman noir de James Sallis. C'est Ryan Gosling, approché par le producteur qui montait le projet, qui a pensé à le proposer à Nicolas Winding Refn. Après leur première rencontre pour parler du film, Ryan Gosling ramène le réalisateur chez lui en voiture et celui-ci, face au silence gênant qui s'installe, réagit à une chanson qui passe à la radio en chantant à tue-tête. Il explique alors à l'acteur : "Drive parle d'un homme qui écoute des chansons pop dans sa voiture la nuit, parce qu'elles lui permettent de se libérer de ses émotions." C'est le déclic .


Mise en scène organique

LA PHOTOGRAPHIE L
ÉCHÉE, sans être jamais stylisée, n'empêche à aucun moment la violence spectaculaire d'éclater à l'écran. A rebours d'un Tarantino, Nicolas Winding Refn ne parodie pas : il magnifie son sujet dans une ballade hypnotique. Des choix qui s'éclairent à la lumière du reste de sa filmographie, hétéroclite - il y suit tour à tour des dealers, un prisonnier et un guerrier viking - maisdrive, nicolas winding refn, ryan gosling, carey mulligan, cannes, deauville, pusher, vallhala rising, bronson, half-nelson, cascadeur, voiture, driver, film, cinéma, a real hero, college cohérente. Par cette galerie de personnages dont la marginalité n'a d'égale que la noirceur, le cinéaste danois semble exorciser la facette la plus sombre de sa personnalité, comme il le déclarait lui-même lors de la sortie en salles de Bronson : "L'art est un acte de violence. Je m'intéresse aux extrêmes, un mélange de poésie et de violence."

CE FILS D'UN MONTEUR et d'une photographe n'a rien d'un formaliste : s'il travaille avec une précision d'horloger ses mises en scène, elles sont toujours organiques ; un moyen de donner une voix à ses personnages, aussi ambigus que cette esthétique, aussi grandioses parfois qu'ils ne sont inquiétants. De la caméra à l'épaule de Pusher aux mises en scène théâtrales de Bronson, de l'immensité sublime et picturale du Guerrier silencieux à la modernité urbaine de Drive, les parti pris de réalisation heurtent souvent au premier abord, mais finissent toujours par s'imposer comme une évidence. "Le film est pensé pour être hypnotique, disait-il au sujet du Guerrier silencieux. Vous devez vous laissez aller pour y pénétrer." Une théorie qui s'applique tout autant à Bronson ou Drive, même si les procédés cinématographiques diffèrent.



Héros de cinéma

CE QUI SE JOUE à travers cette réalisation crue, c'est que le "driver" se construit avant tout comme personnage de fiction, voire comme héros mythologique - "A real hero", chantent College et Electric Youth. Winding Refn affrontait directement cette question dans Le Guerrier silencieux, qui met en scène un héros viking borgne, lui aussi anonyme ("One Eye"), prototype même du protagoniste des récits anciens. Ici, la mythologie que semble explorer le réalisateur est celle du grand écran lui-même. One eye s'inscrivait déjà dans la lignée de personnages comme le Snake Plissken de John Carpenter mais se comprenait aussi comme la figuration d'une énigme, à l'image du monolithe de 2001  de Stanley Kubrick ou du Stalker de Tarkovski - des références explicites pour le cinéaste -, Drive travaille cette même veine. Loin du contexte mythologique, Ryan Gosling campe un pur héros de cinéma, comme on n'oserait plus l'imaginer,  dans la lignée des personnages charismatiques de westerns ou de films noirs, avec une candeur tout autant qu'un engagement qui rendent chacun de ses gestes à venir imprévisibles.

AVEC SON REGARD DENSE et ses accessoires choisis avec soin - son cure-dent qu'il mâchouille en permanence, son blouson argenté au scorpion doré, ses gants et, bien sûr, sa voiture - il est une image, magnifiée par les contre-plongées, à laquelle répondent sur la pellicule celles de la ville à coup de grands angles et de profondeur de champ. Dans un  jeu d'ombre et de lumière, Los Angeles trouve cette identité visuelle qu'on ne lui connaissait pas forcément,  cet éclat contrasté propre aux villes de cinéma. Pourtant, d'image - voire d'icône -  "the driver" devient homme, être humain, tout en gardant son énigmaticité. Alors que son blouson emblématique se tâche progressivement de sang, il perd ses repères et navigue en terre inconnue. Le
drive, nicolas winding refn, ryan gosling, carey mulligan, cannes, deauville, pusher, vallhala rising, bronson, half-nelson, cascadeur, voiture, driver, film, cinéma, a real hero, collegehéros d'aujourd'hui ne sombre donc pas dans une rêverie nostalgique, mais s'inscrit pleinement dans un contemporain qui renferme lui aussi sa part d'imaginaire et de mystère. Un cinéma excessif, mais qui dialogue pourtant avec le classicisme. Un cinéma de demain qui se nourrit avec délectation de celui d'hier en s'interdisant la facilité de ne plus croire au mystère.
 
C.C.
-------------------------------
à Deauville, le 25/09/2011

Drive
Thriller américain de Nicolas Winding Refn
Avec Ryan Gosling, Carey Mulligan, Bryan Cranston...
1h41
Sortie le 5 octobre 2011

Dossier spécial Deauville

 



D`autres articles de la rubrique crans
 
Série TV : Borgia de Tom Fontana, diffusée sur Canal+ en octobre 2011.

Festival de Deauville : Take shelter, de Jeff Nichols, remporte le Grand Prix.

Crédits : © Drive - Film Holdings - LLC