Les roses de Pina Bausch
exil, de fondatrice d'un ordre religieux, d'un juge d'un tribunal métaphysique, qui soudain te fait un clin d'œil." Les adolescents de plus de quatorze ans qui ont participé au projet Kontakthof, en 2008, eux, ne connaissaient rien d'elle. Et ce qu'ils en retiennent, c'est son regard, toujours attentif, sa parole sincère parfois un peu dure, sa simplicité, et sa tendresse aussi.
chercher le geste juste et l'attitude ad hoc. Il aura fallu concéder à lâcher prise, à se dévoiler à soi-même et devant les autres, à se laisser emporter par le mouvement, à s'approprier une histoire, un langage. Comment faire sortir un rire sardonique de ses tripes sans pour autant entrer dans l'hystérie grossière ? Comment feindre la séduction sans passer pour une lolita ?
mais il ne faut pas y voir l'actualisation de ce que d'aucuns appelleraient les "grandes œuvres" du répertoire. C'était plutôt, pour Pina Bausch, des occasions de confronter le modèle mythique à notre quotidienneté et de s'interroger sur des thèmes chers à la chorégraphe : l'amour, la violence, la féminité. Nulle leçon à donner ou grandes causes à défendre ; juste une petite pointe d'ironie piquée sur notre routine.
Pina Bausch, lui, croise celui de Kurt Jooss dont elle est l'assistante à Essen et dans l'école duquel elle fait l'apprentissage de la scène de façon pluridisciplinaire : danse, bien sûr, mais aussi musique, théâtre, mime et scénographie. De l'expérience américaine qui suit dans la prestigieuse Julliard School de New York, elle retient tout l'apport de la modern dance : sa technique épurée et son ancrage dans le divertissement. Mais à son retour en Allemagne, en 1962, la danseuse ne ressert pas les styles indéniablement marquants de José Limon, Antony Tudor ou Paul Taylor dont elle a pourtant été la soliste. Un seul mot d'ordre : mener plus loin l'émancipation vis-à-vis des règles admises, franchir les frontières de la convention, rompre avec les codes esthétiques du politiquement correct. Le Tanztheater n'hésite pas à détruire l'illusion scénique en dévoilant au public la genèse de ses pièces. Ce qui est raconté là, c'est l'histoire du geste. L'attention n'est plus portée sur le progrès technique mais sur l'expression humaine. Bausch créé ainsi une esthétique de l'inclassable, hors des catégories génériques usées. Comme le rappelle un des adolescents du film, plus de danse masculine ou féminine, fi des notions hiérarchiques de rôle ou de personnage. Danse et théâtre se confondent. On joue à danser aussi bien que l'on danse le geste et la parole. Fortes de la distanciation brechtienne, ses pièces cherchent toujours à puiser au plus profond du vécu intime des danseurs non pour émouvoir le spectateur, mais pour le faire réfléchir. 
