À L'OCCASION des Journées européennes du patrimoine, les 16 et 17 septembre prochains, le musée de Bretagne se lance dans un vaste projet de mise en ligne de ses collections numérisées, qui deviendront pour la plupart gratuitement consultables, téléchargeables et exploitables par le grand public. Un recours aux ressources technologiques actuelles qui, loin de se résumer à une "gadgétisation" de la culture, met en oeuvre une véritable réflexion sur la démocratisation des objets patrimoniaux et sur les nouvelles possibilités de valorisation des collections ouvertes par les outils numériques. – Par Fleur Kuhn-Kennedy D'ABORD ASSOCIÉ AU MUSÉE DES BEAUX-ARTS de Rennes, avec lequel il a partagé ses collections jusqu’en 1976 et ses locaux jusqu’en 2006, le musée de Bretagne a depuis acquis une identité propre. Attaché à promouvoir tout ce qui concerne le territoire breton, aussi bien du point de vue de sa culture, de son histoire et de sa topographie que des pratiques sociales, professionnelles ou familiales qui le caractérisent, il possède un fonds immense, riche de centaines de milliers d’objets qui, pour beaucoup d’entre eux, n’ont jamais été montrés au public. La création d’un portail web où seront reproduits au fur et à mesure de l’inventaire tous les éléments récolés constitue, en même temps qu’un moyen de rendre ce matériel visible de manière permanente, une prise de position d’ordre presque politique sur la nécessité d’une meilleure circulation du savoir et de la culture, rendue possible par l’aménagement d’un espace d’échange entre les institutions muséographiques et les citoyens.
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Mettre sa pierre à l'édifice PLUS QUE DES SOURCES ÉCRITES, ce sont des photographies, des textiles, de l’orfèvrerie, du mobilier, des affiches, des cartes postales, des vestiges archéologiques, toute une flopée de choses à regarder que le musée entend partager. C’est que l’entreprise est d’abord conçue pour l’œil : elle aspire à rendre visible ce qui, enfoui dans les réserves du musée, demeure le plus souvent dérobé aux regards ; elle entend multiplier les occasions de montrer ce qui, vu par d’autres, pourra être investi de manière nouvelle. La plateforme offrira ainsi au public autant d’images possibles de la Bretagne que d’objets numérisés, proposant des ressources qui, plutôt que de tenir un discours sur ce qu’elles documentent, ouvriront à de nouvelles représentations.
C'EST QUE LE MUSÉE ne s’appartient pas : propriété de ceux pour qui et sur qui il est conçu, il est dirigé par une équipe qui s’efforce de faire partager à tous les intéressés, savants ou amateurs, la responsabilité de constituer, d’identifier et de faire vivre les collections conservées par l’institution. Les fonds acquis lors d’achats et de dons spontanés se doublent ainsi d’une politique de collecte qui, dans la lignée des méthodes participatives démocratisées par la sociologie et l’ethnographie, mettent à contribution les non-spécialistes susceptibles de détenir les objets ou les informations recherchés. Pour J’y crois, j’y crois pas notamment, l’exposition consacrée à la magie et à la superstition que l’on pourra très prochainement aller découvrir aux Champs Libres, les témoignages oraux ont joué un rôle notable, soit qu’ils aient été directement intégrés à l’itinéraire de la visite, soit qu’ils aient servi de support à l’interprétation d’un objet ou au développement d’un thème. L’expérience de chacun se trouve ainsi sollicitée à la fois comme objet d’étude et comme sujet d’un discours qui, quelle que soit sa compétence scientifique, a quelque chose à dire de ce qui nous est montré.
MAIS QUEL RÔLE LE NUMÉRIQUE a-t-il à jouer dans ce travail d’enquête et de création partagée ? Si l’on peut imaginer qu’une plus large diffusion des possessions du musée stimulera par suggestion quelque don d’un objet ou d’un récit surprenant, c’est surtout en tant qu’outil de référencement collaboratif que la reproduction des images en ligne promet de jouer un rôle clé. À vrai dire, le système existe déjà : lorsque aucune information n’est disponible ou déductible, c’est-à-dire, par exemple, lorsqu’on se trouve confronté à une photo de paysage qui n’est pas légendée, dont on ne connaît ni l’auteur ni la provenance et sur laquelle ne figure aucun élément qui permettrait de la situer ou de la dater, le musée passe par la diffusion que permet Internet pour demander l’aide du public. Que quelqu’un reconnaisse un lieu familier, traversé un jour par hasard ou qu’un quidam propose une piste méconnue, et l’énigme se trouve levée, grâce à un travail qui met en dialogue les professionnels et le public, unis dans ce que l’historien Michael Frisch appellerait une "autorité partagée". La numérisation systématique et le passage à une nouvelle plateforme, en rendant les collections du musée à la fois plus accessibles et plus visibles, pourra développer cette construction interactionnelle, et ainsi contribuer à la constitution d’un savoir rendu à la cité. –
Secondes vies ET CETTE RESTITUTION se fait au sens propre, puisqu’il s’agit d’une véritable invitation à faire sortir les possessions du musée – ou du moins leur image – du cénacle des expositions qui constitue leur lieu de diffusion habituel. "Ce patrimoine, il est à vous, affirme Manon Six, responsable de la numérisation des collections. On veut que vous vous en saisissiez, que vous vous le réappropriiez, que vous le connaissiez. Toute cette matière pour parler de la Bretagne, des temps anciens jusqu’à aujourd’hui, on veut vous la donner, parce que malheureusement on ne peut pas la montrer en permanence ou aussi souvent qu’on le voudrait." La mise en ligne est une manière de livrer au public cet immense vivier que chacun pourra alors faire circuler et valoriser au gré de son imagination.
LE RÔLE DU MUSÉE ne serait donc plus seulement de concevoir des expositions traditionnelles, mais de faire naître des idées, des envies, des pistes, qui permettent aux œuvres et aux objets de circuler autrement, par l’intermédiaire d’un public invité à s’en emparer et à les transformer. Car si, parmi les figures qui font vivre les collections, on trouve toutes sortes de professionnels de la culture qui sortent du champ muséographique (éditeurs à la recherche d’illustrations, artistes à la recherche d’inspiration, universitaires en quête de sources…), rien n’empêche d’envisager des modes d’exploitation plus personnels, qui rendent les images présentes à la ville et à la rue.
LORS DES JOURNÉES DU PATRIMOINE, le musée se propose de stimuler ces initiatives, en donnant à expérimenter quelques réinvestissements possibles des ressources mises à disposition. Plusieurs ateliers seront ainsi organisés : tandis que, dans l’un, on s’attellera à la réalisation de badges, un autre sera voué à sensibiliser le public à l’indexation collaborative. Mais l’initiative la plus originale en la matière est celle qui convoque dans la vie des collections un genre artistique aussi riche qu’intrigant : celui du théâtre d’objet (lire notre article sur le sujet). La compagnie la Bande Passante, experte en l’art d’explorer le monde des choses et de les détourner pour en faire des entités à la fois empiriques et poétiques, proposera ainsi une séance au cours de laquelle les visiteurs seront invités à découper et assembler des reproductions d’images tirées des collections du musée pour en faire des mondes miniatures, dans lesquels s’exprime ce que le spectateur projette sur ce qu’il voit.
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Valoriser par le numérique
RESTE QUE LA FONCTION D'UN MUSÉE n’est pas seulement d’amasser des collections et de les livrer pêle-mêle au public mais de les rendre lisibles en même temps que visibles. Outre les ateliers visant à solliciter l’implication du public dans cette activité et à la rendre participative, le portail en ligne permettra de proposer des "parcours thématiques". On trouve d’ailleurs d’ores et déjà, sur le site internet des Champs Libres dont fait partie le musée de Bretagne, un lien vers une base consacrée à l’affaire Dreyfus : celle-ci fait partie des collections phares de l’institution et bénéficie donc d’une visibilité particulière, qui sera améliorée plutôt qu’inaugurée par le passage à la nouvelle plateforme. Le développement de la numérisation permettra, en revanche, d’associer aux expositions matérielles un appendice virtuel, qui pourra venir compléter et augmenter certains des thèmes abordés.
L'INITIATIVE POURRA MÊME DÉBORDER son territoire et mettre en dialogue les collections du musée de Bretagne avec celles de ses interlocuteurs privilégiés : le musée des Beaux-Arts, dont il a longtemps partagé les locaux et les fonds, la bibliothèque des Champs Libres et l’Espace des Sciences, avec lesquels il cohabite désormais. L’intérêt suscité par une exposition scientifique consacrée à la nuit pourrait ainsi se prolonger par l’exploration d’un espace exclusivement virtuel où le musée de Bretagne montrerait et commenterait une partie de ses collections liées au monde nocturne, à l’éclairage urbain, aux lieux et objets des heures d’obscurité.
À TERME, L'OBJECTIF SERAIT même de concevoir, en plus des expositions matérielles, des parcours entièrement pensés pour la mise en ligne, voire même d’encourager la création d’applications ou d’outils connectés permettant d’associer un lieu aux objets qui y sont liés, par géolocalisation du voyageur intéressé. C’est parce que tous les chemins de Bretagne ne mènent pas à Rennes que le musée de la région se doit de créer un espace dédié aux flâneries de l’internaute curieux – qu’il soit quimpérois, toulousain, parisien ou tokyoïte –, invitant ce visiteur imaginaire à s’aventurer sur mille chemins qui bifurquent. F. K. -------------------------------------- À Rennes, le 1er septembre 2017 Accès aux collections numérisées Musée de Bretagne Les Champs Libres
10 cours des Alliés
35000 Rennes
Mar-ven : 12h-19h
Sam-dim : 14-19h
Horaires spéciaux pendant vacances scolaires
Plein tarif : 6 €
Tarif réduit : 4 €
Forfait 5 personnes : 16 €
Gratuit pour les moins de 18 ans
Gratuit le 1er dimanche de chaque mois
Rens. : 02 23 40 66 00 Références des images : 993.0024.58 : Saint Clément - Image populaire - Charlemagne, 20e siècle - Marque du Domaine Public - Collections du musée de Bretagne et de l'Écomusée du Pays de Rennes
913.0075.1 : Coiffe de Rennes - CC0 - Collections du musée de Bretagne et de l'Écomusée du Pays de Rennes, cliché Pierre Tressos
939.0028.612 : La marchande de galettes - Carte postale - Éditions Oury, début du XXe siècle, Etel - Marque du Domaine Public - Collections du musée de Bretagne et de l'Écomusée du Pays de Rennes
2010.0031.688 : Joueurs de cartes - Négatif sur verre - Émile Houdus (1906-1993), début du XXe siècle, Ille-et-Vilaine - CC BY SA - Collections du musée de Bretagne et de l'Écomusée du Pays de Rennes