Il lui aura pourtant fallu dix ans pour que son premier roman, Les Guerriers du silence, dont l'on peut contempler aujourd'hui le manuscrit autographe dans l'exposition Science et Fiction à la Cité des sciences, trouve un éditeur. Rencontre avec un vendéen explorateur des terres science-fictionnelles.
Il se dit "scriptural" plutôt que "structural", selon la terminologie de Francis Berthelot. "Si je fais un plan, des fiches, une structure, je vais dessécher le livre, ça ne m'intéressera pas parce que j'ai besoin, en tant qu'auteur, d'être surpris comme un lecteur. Parfois, cela me fait un peu peur mais je vais m'en servir quand même. J'ai de véritables crises de confiance. Quand on n'a pas de structure, on n'est soutenu par rien. On est dans le noir, après 350 pages, il faut aller jusqu'à 500, 600. On n'a plus la lumière de l'entrée et il n'y a pas la lumière de la sortie. On se dit que ce qu'on a écrit est nul. Il faut reprendre confiance en ce qui se passe. Une fois cette crise passée, tout se remet en place". La persévérance est essentielle. "Je n'ai jamais abandonné un livre en cours d'écriture", déclare celui qui se pense comme un "fonctionnaire de l'écriture", qui s'assoit à sa table de travail et écrit tous les jours de 9 heures à 19 heures, dix pages par jour en moyenne, prenant dès lors cinq à six mois pour écrire un roman. Une discipline héritée de son travail sur la série des Rohel, "parce qu'il fallait produire beaucoup et vite". La réécriture, le travail du style est fondamental puisqu'il cherche "la transparence", ne pas faire voir les vagues mais trouver l'harmonie musicale de la phrase : "Au moment de la relecture des épreuves, j'ai une relecture purement musicale. J'essaie uniquement de repérer les fausses notes dans la mélodie qu'est le livre."
Il découvre le genre lors de sa première année à l'université en Lettres modernes, dans un cours de littérature comparée consacré à la science-fiction de l'âge d'or. Au programme : Les Chroniques martiennes de Ray Bradbury, Demain les chiens de Clifford Simak, Shambleau de Catherine Moore et Abattoir 5 de Kurt Vonnegut. Dès les premiers mots des Chroniques martiennes, il expérimente "un saut qui donne le vertige", ce qu'il recherchera ensuite constamment dans ses lectures et son écriture. Il retrouve dans cet enivrement les sensations que lui procuraient les mythologies qui le passionnaient dans son enfance. "Le mythe de Gilgamesh, par exemple, est un mythe de l'immortalité. Or il s'agit de l'un des sujets majeurs de la science-fiction. La SF est une littérature qui s'interroge sur l'être humain avec les connaissances qui sont apparues après la révolution industrielle parce qu'il y avait besoin d'une redéfinition. Elle a pour fonction d'émerveiller mais aussi d'interroger à la fois le monde contemporain et des problèmes plus fondamentaux sur l'humain."
nos sociétés : que se passera-t-il si l'on persévère dans cette idée d'axe du mal ? "J'essaie de voir la différence entre spiritualité - un chemin vers la liberté totale - et la religion, qui est l’appartenance à un ordre social, dominant souvent. Le dogme crée une violence entre ce que l'on voudrait être et ce que l'on est vraiment. Or, il faut, je crois, essayer de comprendre ce que l'on est, un être humain, et l'accepter." Pour Pierre Bordage, "la religion est une idéologie qui nous éloigne de l'humain, ce qui crée un abîme de souffrance et donc des violences." Comme ses personnages, l'écrivain s'investit dans une quête perpétuelle, cherchant à se libérer des systèmes de pensées, hors des sentiers battus.
