L`Intermède
Edito 17, celui qui avait le sens des détailsÉdito #17
Celui qui avait le sens des détails


Le journalisme s'attache au réel. Et, plus précisément, aux événements qui le rythment. La dimension événementielle d'un fait est fonction de deux éléments : d'une part, la valeur disruptive qu'il porte - dans quelle mesure il rompt le cours des choses ; d'autre part, l'impact qu'on lui prête. Ainsi, les événements de l'actualité culturelle sont-ils souvent réduits à une série de gros titres plus ou moins accrocheurs : untel vient de mourir, tel autre vient de gagner un prix, un dernier est consacré dans tel musée par une "exposition-événement"... L'information dite "essentielle" tient en une phrase concise, sans équivoque, comme une vague géante qui engloutit tout, avant la suivante. Ce primat du "coeur" de l'événement éclipse souvent les circonstances et les détails, considérés comme secondaires et facultatifs. Or, précisément, ne sont-ils pas aussi importants pour saisir l'enjeu d'une oeuvre, d'un courant, d'une vie ? Au lieu de les envisager comme de simples ornementations, ne vaut-il pas mieux reconnaître qu'ils participent pleinement du sens à donner à un objet ? Que sans eux, on passerait à côté du sujet ? 

L'Intermède a, depuis ses débuts, la volonté de proposer des articles au format plus long que ce qu'on trouve habituellement en presse écrite, et a fortiori sur internet. De fait, avec l'attention aux détails et le souci de la description, la question de la perception est au centre du format long. Il s'agit moins d'être dans la surface de l'image que dans la profondeur du champ, en épluchant successivement, comme les couches d'un oignon, l'événement en atteignant le premier plan, le second plan, l'arrière-plan… On comprend peut-être mieux la vie d'un homme par un mot qu'il a écrit, une oeuvre par un morceau de tableau, un film par une image d'une demi-seconde. 

Partant, les détails ne sont pas là pour alourdir le texte et surcharger l'information : ils ont vocation à rendre attentif aux moindres signes, qui sont parfois plus signifiants que ce qui est "remarquable" a priori. Car le format long est le lieu journalistique où les détails deviennent eux-mêmes le centre de l'événement, tout aussi importants que celui-ci, voire plus : ils participent à sa mise en perspective, mais sont eux-mêmes porteurs d'autres perspectives. Aussi, il s'agit moins de parler de "l'essentiel" de l'événement que de donner à voir ce qui le constitue ontologiquement, c'est-à-dire son "essence". Un résumé ne donne pas la même information qu'une version longue. Si le journaliste veut rendre compte de l'essence d'une oeuvre, d'un courant, d'une époque, il ne peut l'amputer de ses caractéristiques, sinon il donne à voir et comprendre autre chose.

Ainsi, un portrait ne saurait s'en tenir à une fiche d'état civil, énumérant les caractéristiques de sexe, âge, profession, etc. Il s'agit de donner de la "chair", de rendre l'épaisseur de la personnalité, du parcours, de l'être-au-monde de la personne interrogée. Les reportages, analyses et enquêtes en format long adoptent la même position : ils permettent de comprendre qu'une information ne peut être saisie dans son énonciation brutale et concise, où le fait d'énoncer prendrait le pas sur l'énoncé lui-même. Au contraire, le format long devient l'espace où l'essentiel est partout, où il ne faut pas tenir compte uniquement de l'écume de l’information, de la pointe saillante qui attire le regard. Afin de faire de l'article un appel à l'attention permanente, à l'épiphanie constante, à la révélation à chaque coin de phrase, à chaque début de paragraphe.

Bartholomé Girard
Directeur de la rédaction

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