Vers l'Éveil
Le royaume du Bhoutan fête cette année l'anniversaire de sa première Constitution, adoptée en 2008, et le centenaire de la dynastie Wangchuck, actuellement au pouvoir. A cette occasion, le musée Guimet accueille l'exposition Au Pays du Dragon : Arts sacrés du Bhoutan, en partenariat avec l'académie des Arts d'Honolulu, pour mettre à l'honneur la culture et l'art sacré de ce pays lointain et méconnu.
C'est au coeur de l'Himalaya, entre le Népal et l'Inde, que le "
pays du dragon tonnerre" s'étend. Seul royaume au monde dont la religion d'Etat est le bouddhisme tantrique, le Bhoutan se singularise également par une culture gardée quasiment intacte depuis la conversion de ce royaume aux alentours du VIIIe siècle de notre ère, l'adoption d'un mode de gouvernement monarchique ne se faisant qu'au début du XXe siècle. L'art de ce pays montagneux est ainsi, pour l'essentiel, un art sacré dédié au culte, qui obéit aux règles très strictes du bouddhisme tantrique, également appelé
Véhicule du Diamant (vajrayâna).
Ce cadre socio-religieux est rappelé à l'entrée du Grand Palais par une courte vidéo, soulignant également la rareté d'une exposition de cette envergure. On y apprend ainsi, à titre d'anecdote, que la date et l'heure précise d'ouverture ont été calculées par un éminent astrologue bhoutanais, pour que l'exposition soit placée sous de bons augures. L'agencement et le choix des pièces ont été réalisés par l'Académie des Arts d'Honolulu, pour disposer comme il se doit les 111 oeuvres présentées, qui n'avaient, jusqu'alors, jamais quitté le Bhoutan. L'exposition a pour ambition d’explorer la cosmologie du Bhoutan et le bouddhisme vajrayâna qui y est pratiqué, par le biais des arts sacrés. Les thangkas (peintures sur toile), sculptures et objets rituels conçus pour un usage religieux sont disposées par thématiques.
Dès l'entrée, le rouge sombre des murs, en écho au tissu des robes des moines bouddhiques et à la laque des piliers des temples, fait ressortir les premières sculptures représentent Buddha. Très ouvragées, avec un prodigieux sens du détail, ces statues en bronze le montrent assis, dans sa posture traditionnelle, et en dialogue avec des thangkas présentent quelques épisodes des existences antérieures du Buddha. Malheureusement, les cartels n'expliquent peu ou pas les épisodes représentés. Le bouddhisme tantrique ayant un panthéon large, une histoire et des concepts très complexes, l'absence de présentation détaillée de chaque divinité ou de chaque symbole peint sur les thangkas peut se justifier, mais empêche de comprendre les oeuvres dans leur ensemble.
Ailleurs, une série de Bodhisattvas et de divinités tutélaires et protectrices du Bhoutan. Certaines ont une expression courroucée, symbole de l’énergie pour parvenir à l’Eveil ; d’autres, paisibles, ont un rôle protecteur. Preuve que le bouddhisme tantrique a su assimiler les dieux locaux à sa mythologie, la diversité des divinités représentées. Ces anciennes déités prébouddhiques deviennent alors des démons ou démones qui jurent de répandre les enseignements de Buddha après avoir été vaincus. Beaucoup de ces divinités portent dans leurs mains le foudre-diamant ou vajra, objet rituel et symbole du bouddhisme tantrique Vajrayâna, également appelé
Véhicule du diamant car, selon la tradition, les pratiquants les plus avancés peuvent acquérir un esprit et un corps à la fois purs, lumineux et indestructibles, à l'image de la pierre précieuse. La sagesse qui en ressort, et l'Eveil permettent de foudroyer l'ignorance et les vues erronées.
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Arts sacrés du Bhoutan se concentre également sur les représentations des mortels déifiés qui ont contribué à l'expansion du Bouddhisme vajrayâna. A ce titre, un des maîtres les plus vénérés par les Bhoutanais reste Padmasambhava (Guru Rinpoché) qui, au VIIIe siècle, après avoir soumis les divinités locales, aurait permis l'implantation du bouddhisme tantrique au Bhoutan. Un ensemble de sculptures métalliques et de thangkas du
XVIIe siècle évoque la vie de ce moine. De son enseignement naquit deux courants religieux, l'ordre des Nyingmapa, dont font partie des moines appelés "
découvreurs de trésors", et l’ordre des Kagyupa, le plus important aujourd'hui.
La philosophie du bouddhisme tantrique est perceptible dans la naissance de ces deux courants majeurs. Le nom 'tantra' signifie, en sanscrit, "fil / filiation". Ce bouddhisme propose une voie vers l'Eveil par un ensemble de moyens physiques et psychiques, sous la direction d'un maître, appelé "guru". Cette transformation de l'être en Buddha, "l’Eveillé parfait", insiste sur le lien entre un maître et ses disciples, et la transmission orale de son enseignement à travers le temps. L'ordre des Nyingmapa, autant que l'ordre des Kagyupa, se réclame de l'enseignement de Padmasambhava. A tel point que des moines de l’ordre Nyingmapa ont découvert des trésors présentés dans l’exposition (dagues, statues, objets rituels ) qui aurait été cachés par Padmasambhava lui-même des siècles auparavant.
Des objets liturgiques sont aussi présentés telle qu'une table basse et des trompes télescopiques, qui rappellent au visiteur l’importance de la musique et de la danse rituelle dans le bouddhisme tantrique. Les danses "
cham" accomplies par les moines lors des cérémonies religieuses ont été conservées intactes au Bhoutan, en partie grâce à l'enclavement du pays, qui demeura hors de portée des influences étrangères. Ces rites prennent vie lors des nombreuses cérémonies que les moines bhoutanais officient dans l'enceinte du musée Guimet, jusqu'à la fin de l'exposition.