Vers l'accord parfait
En architecture, cela se traduit par le souhait d'habiter l'espace différemment. Ainsi du travail du Français Le Corbusier sur les unités d'habitation, à Marseille ou à Berlin. Or, développer un modèle innovant de lieux de vie standardisés à grande échelle est un défi majeur après 1945 en Norvège. Loin des projets grandiloquents, les séries d'appartements fonctionnels sont la forme d'architecture qui concerne le plus grand nombre. Le projet de développement de Tveten, un quartier d'Oslo, présenté par Mjelva, Norberg-Schulz et Østbye en 1951 au huitième Congrès international d'architecture moderne intitulé "Au coeur de la ville", illustre à quel point le modernisme est une mise en application concrète d'un nouveau discours sur la société urbaine. Les auteurs prévoient un ensemble de blocs rigides de hauteurs variées et faits de bétons pour loger 25 000 habitants. Ils pensent utiliser l'espace vert existant pour créer des allées entre les tours, qui pourront servir de pistes de ski en hiver ou offrir des chemins de promenade l'été. L'idée est de brasser la population norvégienne dans son ensemble, en cassant les barrières socio-professionnelles et celles liées à l'origine géographique. En cela, les plans dessinés par Sverre Fehn et Geir Grung entre 1952 et 1955, pour la maison de retraite d'Økern dans la région d'Oslo, témoignent d'une innovation majeure. Derrière une longue allée d'arbres, une enfilade de pièces s'étale de façon quasi austère sur un cliché en noir et blanc. Toute présence humaine est absente d'un second instantané, où les mêmes arbres se reflètent sereinement dans l'eau du bassin situé au centre de la cour intérieure, autour de laquelle s'agencent les bâtiments déserts, qui ne dépassent pas un seul étage.
Prolonger le modernisme de l'entre-deux-guerres et le réinventer n'est qu'une réponse parmi d'autres apportées par les architectes norvégiens des années 1950. Avec l'ouverture à l'international et la possibilité d'explorer des horizons plus exotiques, la rupture est privilégiée. Les séjours marocains et mexicains de Jørn Utzon, père de l'Opéra de Sydney, ou encore le japonisme de Sverre Fehn en sont emblématiques. Jørn Utzon prône de son côté un retour aux formes primitives inspirées de la nature ; son "architecture module" influence de nombreux architectes en devenir tels que Helge Hjertholm, connu pour ses plans d'églises qui prennent pour modèle les (ir)régularités des phénomènes biologiques ou botaniques. Les plans avec lesquels Hjertholm remporte l'appel à projet pour une église évangélico-luthérienne au Danemark en 1961 marquent de fait une étape importante dans l'évolution architecturale scandinave d'après-guerre. Le projet doit faire cohabiter la pérennité des enseignements de l'Eglise avec des formes contemporaines d'expression artistique. L'architecte compare ainsi son église à une fleur et un arbre : le plan du bâtiment représente un demi-cercle imparfait, imitant les formes naturelles inexactes ; le toit se compose de couches successives et se déploie tel un nénuphar qui abrite en son coeur une croix gigantesque ; enfin, le plafond rappelle les rainures d'une feuille, se terminant en pointe comme pour recueillir la bénédiction divine.
rondeur pour rappeler les vallées environnantes, un toit reproduisant la carapace d'un crabe ou encore des injections de lumières travaillées pour que cette dernière soit la plus naturelle possible.
des lignes simples et valorise l'authenticité des matériaux afin de créer des espaces neutres, contemplatifs. Adepte du béton, du verre et de la brique, qui permettent tous trois de construire à plan ouvert et d'être relativement flexible quant aux formes désirées, Fehn défend une esthétique puriste. Sa villa Norrköping, commandée en 1963, est un parfait exemple d'une alternance de murs en brique qui, à partir de bases quadratiques se chevauchant, donnent l'impression d'un design aussi innovant que simple. Alors que les clichés capturent depuis l'extérieur un bâtiment somme toute élémentaire, les plans révèlent l'ingéniosité de la demeure. Inspirée des villas romaines avec un atrium au centre, remplacé ici par la salle de bain et la cuisine, la maison reprend la symétrie des bâtisses plus anciennes tout en se débarrassant du superflu. Et le respect de l'environnement dans lequel s'inscrit la construction est signifié par la hauteur limitée de la villa, puisqu'elle se restreint au rez-de-chaussée. Un souci de l'intégration dans la nature davantage présent chez le couple Selmer : réputés pour leurs petites maisons en bois qui se fondent dans le paysage, tels des caméléons architecturaux, Wenche et Jens Selmer réconcilient ambitions modernistes et culture locale en créant un "modernisme situé". Par une utilisation renouvelée du bois et l'emploi de matériaux déjà présents aux alentours, comme les pierres ou l'herbe - qu'ils font parfois pousser sur le toit de leurs résidences -, ils réduisent leur impact au minimum. Et imposent ainsi, tout en délicatesse, ce dialogue entre le bâtiment et son environnement qui, malgré les discordances et la multiplicité des courants, deviendra la marque de l'architecture scandinave.
