L`Intermède
C'est la gouache qu'elle préfère
Patiente et persistante, la
galeriste munichoise Joëlle Joëlle Chariau, drawing fashion, fashion, mode, drawing, dessin, dessins, dessin de mode, dessins de mode, exposition, exhibition, design museum, londres, london, design, Georges Lepape, René GruauChariau s'est employée à dépoussiérer un art presque oublié : celui de dessiner le vêtement porté. Après plus de vingt ans de quête déterminée, la précieuse et éclectique collection constituée par cette française expatriée est désormais exposée par le Design Museum à Londres avec Drawing Fashion, jusqu'au 6 mars.

Un air de chic souffle sur la Tamise. Fusain, presse, aquarelles, pinceaux, gouaches et pochoirs ont été conviés pour rendre hommage à une époque perdue, celle d'une gloire incontestée : Paris au début du XXe siècle. Nombreux sont les noms qui ont tenté de capturer cette élégance désinvolte, cette assurance nonchalante, l'avant-garde d'une Gaule à l'apogée de son influence mondiale. Mais c'est à Georges Lepape (1887-1971), lui qui a su coller à la mode comme le vêtement colle au corps, qu'il revient d'ouvrir le bal avec ses précieux croquis.

Il est vain de chercher ne serait-ce qu'une allusion à la guerre qui terrasse l'Europe à l'époque. De fait, ce dessin que Lepape réalise en 1915 pour la couverture du magazine américain Harper's Bazaar, donneur de ton outre-atlantique en matière de style, dépeint un instant hors du temps : sous les branches secouées d'un cerisier en fleur, une femme toute emmitouflée de rayures porte la main à la tête, alors que son couvre-chef vient de s'envoler. Assorti au manteau d'un bleu lumineux, le chapeau virevolte au milieu de pétales roses, s'éloignant de sa maîtresse, elle-même prise dans les bourrasques de vent. Sa longue jupe, dont la fin ne peut que se deviner au bas du dessin, est une enfilade de lignes blanches, mauves et bleus. Elle est surplombée par un chemisier aux losanges verts et mauves délicatement plissés aux environs du cou, où le tissu s'engouffre dans une large écharpe, nouée en couches successives. Ce mélange de fragilité et de luxuriance vaut bien de mettre entre parenthèse la Grande Guerre. Tout comme cette robe aux allures cubistes que Lepape immortalise en 1916 dans des tons pastels pour les "Feuillets".

Joëlle Chariau, drawing fashion, fashion, mode, drawing, dessin, dessins, dessin de mode, dessins de mode, exposition, exhibition, design museum, londres, london, design, Georges Lepape, René GruauC'est à Poiret, créateur téméraire et renommé de son temps, que Georges Lepape doit son ascension. En 1911, le maître lui demande de saisir à coup de crayon l'esprit de sa nouvelle création. "Les choses de Poiret", publié en édition limitée, fait sensation et lance l'un des premiers dessinateurs de mode professionnels. Avant Lepape, la mode est certes représentée mais principalement à des fins techniques : il s'agit d'établir des patrons reproductibles par l'industrie textile naissante. Les illustrateurs de mode confectionnent des dessins détaillés à destination des couturiers, non des potentielles acheteuses. Avec l'apparition conjointe de la haute couture, qui offre un produit dépassant le vêtement utilitaire, et l'émergence d'une nouvelle pratique sociale, le shopping, une alternative devient nécessaire. On ne peut plus se contenter de copier la réalité avec fidélité : il faut éveiller le désir d'acheter. A la même époque apparaît la notion de "glamour", accompagnée d'une nébuleuse d'accessoires depuis la race de chien adéquate jusqu'à la senteur appropriée. Et il faut un support pour ce nouvel art de vivre. Les premiers magazines féminins voient ainsi le jour, la Gazette du Bon Ton en tête, qui fusionne avec Vogue en 1925.

Les illustrateurs basculent dans la catégorie "dessinateurs de mode", à mi-chemin entre allégeance commerciale et évasion artistique. Lepape marque les esprits par sa capacité à rendre le foisonnement des premiers essais expressionnistes de Vassily Kandinski et Henri Matisse ou des aventures cubistes de Pablo Picasso, ou encore à décomposer picturalement la splendeur musicale des années 1920. Pendant cette décennie, Vogue vit au rythme des formes explorées avec raffinement et douceur par Lepape. La ressource graphique semble sans limite... Et en 1938, entre le G et le U de Vogue se glisse subrepticement une chevelure tendrement montée en chignon sur une tête légèrement inclinée. La mannequin tourne le dos, les bras noués devant la poitrine. Seuls quelques doigts échappent de la silhouette pour tenir un chapeau d'été aux rebords allongés. Les teintes grises confèrent à cette créature drapée d'une robe matelassée à losanges réguliers une atemporalité saissante. Symétriques, moelleux, ces motifs accueillent avec volupté le bruit des vague au fond, le crépitement des pensées qui errent sans but.

Cette même caresse crayonnée se retrouve également Joëlle Chariau, drawing fashion, fashion, mode, drawing, dessin, dessins, dessin de mode, dessins de mode, exposition, exhibition, design museum, londres, london, design, Georges Lepape, René Gruauchez René Gruau (1909-2004), dont le trait enveloppant se distingue avec force de la mécanisation des années qui précèdent et surtout suivent la Seconde Guerre mondiale. Alors que le dessin de mode, à peine éclos, fane déjà, rattrapé par le développement rapide des instantanés et leurs nouvelles possibilités, le travail de Gruau remet au goût du jour la Belle Epoque. S'inspirant ouvertement du peintre Henri de Toulouse-Lautrec (1864-1901) ou encore du mouvement post-impressionniste des Nabis, Gruau trace un trait à la fois sensuel et libre. Ainsi naissent, sous sa main aguerrie, des êtres fantastiques dont l'abstraction est poussée à l'extrême, que ce soit dans cette publicité pour Givenchy datée de 1948 ou celle "Rouge Baiser" inspirée du parfum Dior, devenue emblématique des années rock & roll. La chromatique est simple, directe : autour de lèvres rouges resplendissantes, contractées en un baiser langoureux, quelques lignes noires laissent deviner la sensualité d'un cou, la rébellion d'une chevelure. Le tout gagne en force visuelle avec ce fichu noir éclatant qui bande les yeux du modèle pour mieux envoûter le regard. Gruau signe ses oeuvres d'un astérisque posé au-dessus de son nom, dont le G se prélasse en serpentines.

C'est le talent de ces artistes comme métronomes du temps qui laisse au dessin de mode une niche peut-être marginale mais jamais insignifiante. Antonio Lopez (1943-1987), ou tout simplement Antonio, est devenu maître dans l'art de marier l'énergie du moment avec les tendances de l'époque. Témoin, en 1967, cette mer de points noirs sur fond blanc où une femme trébuche. Vêtue du même fond, elle porte un foulard mal ajusté, un chemisier déboutonné, une culotte. Ses larmes perlent jusqu'à rejoindre la masse de pois noirs. Nul doute, le Pop Art est passé par-là. Pendant les trente années que dure la carrière d'Antonio, son oeuvre reflète avec acuité les changements de son temps. Car l'artiste prend soin d'interpréter le vêtement qu'il dessine : quelle idée l'a créé, que peut-il révéler sur celle qui le porte, quel secret cache-t-il ?

Joëlle Chariau, drawing fashion, fashion, mode, drawing, dessin, dessins, dessin de mode, dessins de mode, exposition, exhibition, design museum, londres, london, design, Georges Lepape, René GruauA l'orée de la libération de la femme, la série "Léger Séries" de 1963 décline une figure aux formes grossies mais charnelles qui s'affirme avec assurance à travers des poses provocantes. Un trench-coat, tantôt entrouvert, tantôt fermé, comme seul habillement. Les femmes qui habitent les dessins de mode sont des apparition idéalisées, indéterminées, des archétypes. Elles catalysent les espoirs et angoisses des lectrices de magazine de mode, avides d'échapper à leur quotidien. Elles doivent surtout permettre au regard de prolonger le trait de l'artiste pour se plonger dans un monde de fantasme et de désirs. Le succès d'Antonio à partir de la décennie 1960 marque également un changement de paradigme dans le royaume de la mode : Paris détrônée doit désormais s'incliner devant l'Amérique, plus précisément devant New York, dont la jungle urbaine est la nouvelle muse du prêt-à-porter. Mais le règne new-yorkais est bref. Aujourd'hui, la mode est irrévérencieuse, sans frontière. Le Suédois Mats Gustafson ou le Français François Berthoud sont des figures mondiales, autant associés à des créateurs japonais, britanniques, que canadiens ou brésiliens. En même temps, ces artistes aiment à revenir aux sources pour honorer le neuf. Les aplats d'aquarelles de Mats Gustafson donnent à ses esquisses une atmosphère vaporeuse. Les contours du vêtement disparaissent dans une masse monochrome, comme dans ce dessin réalisé pour le Vogue italien, en 2002. Du fond gris se détache à peine une silhouette marquée par la noirceur du manteau mi-long qui se rejoint en un unique point au bas du ventre, laissant découverte la tunique blanche portée dessous.

Tout aussi énigmatiques sont les oeuvres de François Joëlle Chariau, drawing fashion, fashion, mode, drawing, dessin, dessins, dessin de mode, dessins de mode, exposition, exhibition, design museum, londres, london, design, Georges Lepape, René GruauBerthoud. Son approche est pourtant radicalement différente puisqu'elle mélange avec une rigueur systématique, presque scientifique, des techniques de rendu variées. Anna Piagi, citée dans le catalogue, emploie une métaphore parlante pour évoquer la recherche de Berthoud : "Il analyse son sujet en profondeur et avec un sens raffiné du détachement, avant de le recréer dans son atelier-laboratoire. Il en ressort un rayon x de mode ultra-moderne... Il expérimente la mode avec un sens de l'humour affûté et une culture visuelle ancrée dans l'art conceptuel et l'expressionnisme allemand." Gravure à la presse traditionnelle, linogravure, impression chromogénique, projections vidéos... Tout doit servir à explorer la matière du tissu, la coupe des habits. Fragile, cette touffe de cheveux blonds, capturée en 1998 ; imposant, ce talon noir qui écrase de manière déterminée une marguerite blanche sous sa semelle, immortalisé en 1999 sous le titre "Love me or love me not" ("Aime moi ou ne m'aime pas") ; mystique, cette robe balancée sur une armature métallique pour tenir la farandole de plis qui, sur fond noir, semblent animés de remous tellement leur violet est insaisissable sur cette impression de 2006 pour Balenciaga. Un air de chic souffle sur la Tamise.
 
Asmara Klein, à Londres
  Le 16/02/11
Joëlle Chariau, drawing fashion, fashion, mode, drawing, dessin, dessins, dessin de mode, dessins de mode, exposition, exhibition, design museum, londres, london, design, Georges Lepape, René Gruau
  Drawing Fashion
, jusqu'au 6 mars
 
Design Museum
  28 Shad Thames
  London SE1 2YD
  Tlj 10h - 17h45
  Tarif plein : £ 8
  Tarif étudiant :  £ 5
  Gratuit pour les -12ans.
  Rens. : Tel +44 (0)20 7403 6933








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Crédits et légendes photos
Vignette sur la page d'accueil : Mats Gustafson. Red Dress, Yohji Yamamoto, 1999
Photo 1 Antonio. Karl Largerfeld, Vogue France.1972
Photo 2 Bouché. Portrait of Mona Bismarck, Vogue US
Photo 3 Aurore de la Morinerie. Couture I, 2010.
Photo 4 Antonio. Joanne Landis Carnegie Hall Studio, New York Times Magazine. 1967
Photo 5 Francois Berthoud, Loves me Loves me Not, Myla UK. 2001
Photo 6 Installation image, Design Museum. Photo © Timothy Davey