Le pinceau dans la poussière
au sein de l'école de Barbizon qui, la première, s'oppose aux conventions idéalistes de l'Académie des beaux arts, et prône un nouveau mode de travail : la peinture à vif et en plein air. De là, deux possibilités : exploiter les effets de lumière et de couleur offerts par le travail en extérieur - l'impressionnisme - ou pousser plus loin l'idée que l'art n'est pas réservé à des thèmes nobles, et réinventer complètement le sujet peint - le naturalisme. C'est là le geste précurseur de Gustave Courbet (1818-1877) qui n'hésite pas à représenter en détails une scène d'enterrement traversée par un chien (Un enterrement à Ornans) ni à peindre en gros plan un sexe de femme (L'origine du monde). A sa suite, Jules-Alexis Meunier (1863-1942) dans Aux beaux jours travaille les détails, les rides profondes, les cernes et les cheveux effilés d'une vieille dame. Chez Jules Bastien-Lepage (1848-1884), le lissé de la touche se mêle à la précision des ombres et des lumières sur le pied osseux du Petit colporteur. Dans Les jardins du Luxembourg, Albert Edelfelt (1854-1905) se distingue par la perspective : à l'opposé des peintres d'histoire du XVIIIe siècle, plus il éloigne ses personnages au second et à l'arrière-plan, plus il les rend flous. Enfin, dans La Toussaint, Emile Friant (1863-1932) joue sur la trivialité du sujet mais innove également en termes de cadrage et de composition, répartissant les personnages principaux des deux côtés. Les détails des visages contrastent avec le décor peint d'une touche impressionniste. Les silhouettes s'en détachent d'autant plus que les pieds des protagonistes, qui ne touchent pas le sol, semblent saisis dans leur mouvement. Friant ne s'intéresse pas tant à des personnages qu'à un rituel - celui de l'enterrement - dont il capte un instant et, pour une des premières fois dans la peinture occidentale, le sujet apparaît dans toute son évanescence.
Partant, le peintre ne s'attache plus seulement au visible, mais traduit dans sa toile un sentiment nouveau à la fin du XIXe siècle : celui d'une irrépressible fuite en avant, teintée d'angoisse et de nostalgie du passé. Il s'inscrit dans la mouvance des photographies d'Edward Muybridge (1830-1904), célèbre par ses travaux sur la décomposition des mouvements corporels dont les peintres naturalistes s'inspirent. Ainsi, avec Swimming de Thomas Eakins (1844-1916), qui fut l'assistant de Muybridge, la présentation parallèle d'un tableau et de photographies montre comment le peintre s'est non seulement inspiré de ce nouveau médium mais en a aussi fait un outil. Comme bon nombre des artistes dont les toiles apparaissent voisines de clichés, Eakins profite de cette nouvelle technique pour capter les corps dans leur mouvement, et tente de reproduire les lignes des photographies à même la toile. La méthode est largement partagée par les peintres naturalistes américains, européens ou de l'école du Nord. C'est le cas de Jules Alexis-Meunier qui "se comportait exactement comme un réalisateur de cinéma préparant une scène, écrit David Jackson dans le catalogue de l'exposition. Les nombreuses photographies préalables [au tableau Aux beaux jours] illustrent sa méthode de travail. Etudiées séparément, les images évoquant divers moments de l'opération le montrent modifiant les poses, la lumière et les interactions entre les personnages jusqu'à complète satisfaction, comme pour des études dessinées. L'appareil photographique permettait d'obtenir des résultats rapides, lui fournissant une vaste gamme d'images, qu'il pouvait visionner quotidiennement pour décider ce qui fonctionnait ou pas." (3)
par la technologie. A travers cette maîtrise du medium, les peintres naturalistes cherchaient à étendre les possibilités que leur donnait le cinéma d'exprimer comme ils le souhaitaient une réalité vraie, précise et vécue." (4) Couleurs, lumière et composition offrent de multiples possibilités de remaniement et permettent de garder une meilleure prise sur la symbolique de l'oeuvre. Ainsi, dans les différents clichés préparatoires d'Aux Beaux jours de Jules-Alexis Meunier, pas un, dans sa composition, ne correspond exactement à celle du tableau. Il a fallu retravailler le jeu de regard entre les deux personnages, et introduire la couleur pour établir une continuité entre la robe de la mère et la lumière qui tombe sur la nature alentour.
C’est dans le choix de tels sujets et dans leur traitement cru que se lit la mélancolie et la révolte qui règnent à la fin du XIXe siècle. Aux tensions sociales et aux conflits internationaux s'ajoute une révolution industrielle qui modifie radicalement les modes de vie, conduisant les uns à l'exil (Les marchands de craie de Léon Frédéric, 1856-1940), les autres à une pauvreté accrue ou à un travail harassant. En ce sens, l'influence d'Emile Zola (1840-1902), chef de file des écrivains naturalistes français, transparaît dans l'ensemble des toiles. La mort prématurée des enfants que l'écrivain évoque dans plusieurs de ses romans se retrouve dans Le convoi d'un enfant d'Albert Edelfelt (1854-1905). Quant à l'ardeur du travail, elle est au coeur de Mort d'épuisement de Hans Andersen Brendekilde (1857-1942) : au milieu d'un champ désolé, un homme est étendu inerte ; son pull est troué par l'usure, sa blouse couverte de terre et ses mains encore crispées par l'effort. Penchée au dessus de lui, une femme semble pousser un hurlement de détresse. Cri vain dans la mesure où, la profondeur de l'horizon peint sur cette toile le montre, les personnages sont dans un isolement total. La violence du milieu agricole se double de celle du monde industriel. Dans Le marteau-pilon. Forges et aciéries de Saint-Chamond, sortie d’une pièce de marine, Joseph-Fortuné Layraud (1833-1913) peint un groupe d'hommes poussant un canon en cours de fabrication. Au milieu de la toile et en pleine ligne de mire de la pièce d'artillerie se dresse un homme seul ; face au canon au bout encore rougit par le feu, il semble devoir affronter et les peines du travail moderne et celles de la guerre.
bête se révolter enfin contre le joug qui l'accable, la teneur politique est la même que chez le romancier français. Elle frappe particulièrement dans La Grève au Creusot de Jules Adler (1865-1952) qui met en scène le défilé d’une foule d'ouvriers mécontents. Elle domine aussi dans Le 9 janvier 1905 sur l’île de Vassilievski de Vladimir Makovsky (1846-1920) : regroupé dans les rues en dépit de la neige, le peuple marche, brandissant des drapeaux rouges. Au premier plan, entouré d'un cadavre et de blessés, un homme présente sa poitrine aux fusils des soldats que l'on devine dans le hors-champ. 
