du catalogue de reliques, l'exposition offre une rencontre avec un art, une cosmogonie et un pouvoir vertigineux, dans l'ambiance sous-terraine d'un lieu qui s'y prête particulièrement bien. L'Or des Incas, origines et mystères est à admirer dans le labyrinthe de la Pinacothèque de Paris, jusqu'au 6 février 2011.
La plupart des objets requis pour un tel rite ont non seulement résisté à l'usure du temps, mais ils ont également été épargnés par l'avidité des colons espagnols du XVIe siècle. Ils racontent aujourd'hui ce que l'absence d'écriture des civilisations pré-hispaniques a longtemps laissé silencieux. Véritables tropes visuels, la plupart d'entre eux, cultuels ou non, racontent en fait une même histoire : celle du pouvoir, divin comme humain. Rare, mais surtout inaltérable, l'or s’est imposé comme le matériau privilégié de l'expression de ce pouvoir. La couleur et le brillant du métal lui ont valu d'être associé par les Incas à la divinité solaire du panthéon religieux andin. Investi d'une charge symbolique jamais désavouée, il va connaître de multiples destins, dont la richesse ne peut que dénoncer en creux l'étroitesse de celui auquel le réduira l'Occident. Même s'il a été manié à l'état pur, en particulier dans la culture Sicán, l'or sera surtout mis en valeur au sein d'alliages binaires ou ternaires, avec le cuivre et l'argent. Sur certaines pièces, il se trouve également soudé à du bronze. Sans doute plus encore que les prouesses techniques, quoique souligné par elles, c'est le fait que l'or des peuples précolombiens n'a pas la valeur en soi qu'il prendra de l'autre côté de l'Atlantique qui interpelle. L'or ne manifeste le Soleil et ne sanctionne la hiérarchie sociale que lorsqu'il est fondu et / ou fusionné avec d'autres métaux par le métallurgiste, puis découpé, laminé, repoussé par les mains de l'orfèvre, et consacré, enfin, entre celles des prêtres ou des chefs de tribus et des classes dirigeantes. Ainsi l'or va-t-il, sans jamais faire l'objet de considérations pécuniaires ou mercantiles, cimenter le social et le cosmogonique jusqu'à la chute d’Atahualpa, dernier roi Inca, tombé entre les mains du conquistador Francisco Pizzaro.
Le métal doré n'a pas qu'une valeur cultuelle : il a également une portée culturelle. Témoin, la multitude des ornements corporels façonnés dans toutes les cultures andines, rassemblés dans l'exposition de la Pinacothèque : Orejera (ornement d'oreille), nariguera (ornement nasal), tembetá (ornement de lèvre), mais aussi tupus (ancêtres de la broche) portés aux épaules pour maintenir le vêtement, colliers et bracelets sont autant de mesures de l'échelle sociale. La finesse de certaines pièces rivalise avec la facture d'autres : moulés, ajourés, souvent filigranés, les métaux sont parfois accompagnés ou incrustés de pierres précieuses ou semi-précieuses, qui introduisent des variations chromatiques propres à rompre leur monotonie. C'est notamment le cas des colliers où se rencontrent ambre orangé, améthyste violine, quartz, mais aussi nacre et chrysocole turquoise. Sobres et figuratifs, ces bijoux se veulent des attributs sociaux qui ne relèvent en rien d'un effet de mode. Chaque pièce est bien plutôt un sceau identitaire. Et chacune renvoie à l'habileté mystérieuse de nombreuses mains créatrices. Une technicité précoce que ni la présence de mines dans la Cordillère des Andes, ni la découverte de nouvelles techniques de dorure, ni même la maîtrise grandissante de la fusion ne parviennent tout à fait à justifier. La culture Mochica (100 av. JC - 850 ap. JC) laisse ainsi très tôt des pièces parmi les plus spectaculaires de l'Amérique précolombienne. C'est que l'atelier de l'artisan compte déjà son marteau et son enclume en pierre sculptée, son emboutissoir, sa matrice en bois gravé, ainsi que ses spatules à chaux, particulièrement nombreuses dans la culture Chimú (900 - 1470 ap. JC), dont les terminaisons sont elles-mêmes décorées, d'un petit flûtiste, d'un singe, d'un marcheur, d'un aigle… Il s'agit de bien ouvrir l'œil, car partout un récit se fait conter.
Ces objets qui parlent
précolombiennes proposent une véritable conception de l'art où la spiritualité se fait omniprésente dans le quotidien. Tout est maniable et lisible, à commencer par ce principe de la dualité, profondément enraciné dans la pensée andine - ainsi l'or d'Inti (le soleil) rencontre-t-il l'argent de Quilla (la lune) dans un bol cérémoniel chimú, ciselé avec une grande adresse.
