L`Intermède
Merci pour le chocolatchocolat, chocolate, musée du chocolat, bruges, choco-story, cacao, fève, création, histoire, fabrication, belgique, aztèques, mayas, Cortès, sculpture, sauce, coulis
Quel rapport entre Barack Obama, les Aztèques et Voltaire ? Le musée du chocolat de Bruges, qui a ouvert ses portes en 2004. Et cette fois, il ne sera pas dit que les Flamands font preuve de nationalisme : d'étage en étage, c'est toute l'histoire du chocolat qui s'y déploie, des peuples mayas aux débuts de la publicité. Un voyage dans l'espace et le temps qui démarre dès l'entrée de cette bâtisse du XVe siècle, située sur la Sint-Jansplein, au cœur de l'ancien quartier marchand de Bruges. Tour à tour taverne, boulangerie, puis école de police, elle a aujourd'hui succombé aux effluves du cacao.

Dans les mythes mayas, le dieu Quetzalcóatl en personne descend pour apprendre aux peuples la culture du chocolat. Une origine divine que reconnaît à sa manière le botaniste Charles Linné lorsqu'il attribue en 1737 à la plante le nom scientifique de "Theobroma", "nourriture des dieux". C’est ainsi que les Aztèques mélangeaient du cacao pilé au sang des victimes qu'ils sacrifiaient aux dieux. Devenu un aliment de base, le chocolat restera toutefois longtemps réservé à une élite sociale, et l'on peut penser que la consommation effrénée qui en est faite aujourd'hui eût horrifié le peuple Maya. Avec l'industrialisation du chocolat, c'est non seulement son prestige mais également tout un art de vivre qui disparaît. Comme en attestent les codex retrouvés par les explorateurs, la préparation puis la dégustation du chocolat tenaient une place de choix dans le cérémonial de la cour. Après avoir broyé les fèves dans un ménate, on chauffait la pâte obtenue avant de la faire mousser à l'aide d'un long bâton appelé molinillo. Un processus lent que les nobles attendaient patiemment car ils prenaient le temps d'en savourer le parfum épicé. Un cérémonial que l'on retrouve, plusieurs siècles après, dans le tableau de Pietro Longhi, Le chocolat du matin (1780) : complicité dans la gourmandise du clergé et des aristocrates qui assistent au lever d'une marquise, une tasse de chocolat à la main. A continent différent, barrières sociales identiques : la consommation du chocolat reste réservée à l'aristocratie et aux prêtres.
 
chocolat, chocolate, musée du chocolat, bruges, choco-story, cacao, fève, création, histoire, fabrication, belgique, aztèques, mayas, Cortès, sculpture, sauce, coulisL'histoire du chocolat est aussi celle de l'un des premiers processus de mondialisation. Tout commence en 600 avant J-C, lorsque le peuple Olmède découvre les vertus gustatives des fèves de cacao broyées. De civilisation en civilisation, son usage se transmet jusqu'aux Aztèques. La fève de cacao est alors au centre de la vie religieuse et économique. De petite taille, solide et disponible en grandes quantités, elle constitue une monnaie adéquate pour les Mayas - le lapin s'échange à dix fèves sur les meilleurs marchés de Teotihuacán. En 1519, Hernando Cortés et ses conquistadores atteignent les Amériques. A peine ont-ils posé le pied sur le rivage que des indigènes leur apportent une boisson épicée dans un gobelet d'or finement ouvragé : c'est le chocolat. Plus avisé que son prédécesseur Christophe Colomb qui avait jeté les fèves à la mer, les ayant prises pour des amandes, Cortès fait part au roi Charles Quint de sa découverte. De là, le chocolat se répand à travers l'Europe au gré des mariages et des alliances. En France, c'est Anne d’Autriche qui apporte la boisson avec elle à la Cour de France. L'engouement est immédiat, et l'aliment concurrence sérieusement le café. Un furieux débat s'engage au sujet des propriétés thérapeutiques attribuées au chocolat. Gens de lettres, cardinaux, docteurs… chacun y va de sa petite idée. Voltaire, dans son Dictionnaire philosophique, saisit l'occasion pour railler la crédulité des uns comme des autres : "Le chocolat a passé pendant quelque temps pour ranimer la vigueur endormie de nos petits-maîtres vieillis avant l'âge ; mais on aurait beau prendre vingt tasses de chocolat, on n'en inspirera pas plus de goût pour sa personne." Ce qui ne l'empêche pas de boire consciencieusement ses vingt tasses par jour !
 
Voltaire a beau ricaner, la croyance en les vertus aphrodisiaques chocolat, chocolate, musée du chocolat, bruges, choco-story, cacao, fève, création, histoire, fabrication, belgique, aztèques, mayas, Cortès, sculpture, sauce, coulisdu chocolat reste ancrée dans les esprits, et son association à l'idée de sensualité persiste à travers les époques. Lui incombait déjà la lourde tâche de préserver la vigueur du membre viril de l'Empereur des Aztèques. Ce dernier avait l'habitude d'en boire quotidiennement jusqu'à cinquante gobelets. Pour ces mêmes raisons, l'Eglise ne verra pas d'un très bon œil la consommation du chocolat dans la noblesse européenne et en condamnera l'usage. Pourtant, le pape Pie V fait lui-même preuve de bien peu de tempérance en déclarant le chocolat conforme au carême. Et encore au XXe siècle, Roald Dahl en fait le symbole de la tentation dans Charlie et la chocolaterie (1964) où Willy Wonka attise la gloutonnerie et la cupidité des enfants pas sages par ses rivières de chocolat. Au dernier étage du musée, les vieilles publicités pour le chocolat belge s'emparent de l'idée en exhibant des écoliers qui croquent des tablettes géantes de Toblerone ou Belcolade, les yeux distendus par le plaisir.

Un plaisir différent de celui que connaissaient les Aztèques, le goût de la boisson de l'époque étant bien plus amère et épicé - le mot maya xocolatl signifie "eau amère" - que l'actuel, sucré. Si elle convenait parfaitement aux conquistadores, il n'en allait pas de même chez les grandes dames de la Cour. Trop amère pour les palais européens, la boisson sacrée des Aztèques est mêlée d'une dose importante de sucre. On la parfume aussi de gousses de vanille ou de clous de girofle. Un adoucissement accentué par la création du chocolat au lait et surtout du chocolat blanc, où la poudre de cacao n'entre même plus dans la composition. Les puristes peuvent crier au sacrilège, le chocolat ainsi adouci rencontre un franc succès chez les femmes. Il faut dire que, comme par enchantement, la découverte du chocolat a lieu au moment où le commerce de la canne à sucre apparaît. Café, thé, épices, l'Europe découvre des produits inconnus qui lui arrivent des quatre coins du monde et qui engagent parfois une concurrence féroce. Ainsi à Londres, les premières chocolate houses ouvrent leurs portes aux bourgeois de la City, en réponse aux Coffe houses. Concurrence entre produits mais aussi rivalités entre nations : les Hollandais, notamment, décident de passer outre les douanes espagnoles pour organiser à grande échelle la contrebande du cacao dans les ports d'Amsterdam et Rotterdam.
 
chocolat, chocolate, musée du chocolat, bruges, choco-story, cacao, fève, création, histoire, fabrication, belgique, aztèques, mayas, Cortès, sculpture, sauce, coulisJusqu'ici, le chocolat est toujours bu, et il faut attendre des inventeurs comme le hollandais van Houten pour qu'il soit croqué. Peu après, Joseph Fry met au point un procédé pour le mouler en tablettes. Dès lors, le mode de consommation change. Ce n'est plus la boisson chaude qu'on sirote en savourant les effluves vanillées qui s'en dégagent, mais les pralines que les gourmandes piochent dans des bonbonnières joliment ouvragées, au gré de leurs envies et de leurs caprices. Produit de luxe, sa consommation demande un decorum particulièrement soigné ainsi qu'un service orné. Mancerinas, chocolatières, bonbonnières, toute une panoplie de nouveaux objets entre dans le quotidien des familles aisées, comme en témoigne le tableau de Jean-Etienne Liotard, La Belle Chocolatière (1745), célèbre pour sa reproduction du phénomène de diffraction de la lumière au travers du verre. Ce qu'on remarque moins en revanche, c'est la trembleuse à côté du verre qui maintient en place la tasse remplie de liquide brûlant sur le plateau. Le musée de Bruges possède une impressionnante collection, étalant des pièces en cuivre par dizaines desquelles se détache cette grosse bonbonnière bleu lactée entièrement damasquinée d'un filet d’or.

Et le chocolat belge dans tout ça ? C'est par Cortez que le chocolat arrive à Bruges, car la Flandre à l'époque est sous domination espagnole. Bruges, Anvers et Gent vont alors former la plaque tournante du chocolat en Europe. Mais pendant plusieurs siècles, ce sont surtout les Suisses et les Hollandais qui se distinguent par leurs innovations et leur créativité en matière de chocolat. La Belgique doit attendre le XXe siècle pour rattraper son retard, et le chocolat belge est aujourd'hui l'un des plus réputés au monde. Pour maintenir cette image, les grandes marques belges font régulièrement appel à des designers célèbres pour concevoir les nouvelles formes à chocolat, chocolate, musée du chocolat, bruges, choco-story, cacao, fève, création, histoire, fabrication, belgique, aztèques, mayas, Cortès, sculpture, sauce, coulisdonner à leurs pralines. Elles tiennent à se distinguer par le souci apporté à la saveur de leurs produits, privilégiant la qualité à la quantité. Car au XIXe siècle, la révolution industrielle est passée par là : le ménate et la pierre à broyer sont délaissés et les usines se multiplient, à Bruges en particulier. Le chocolat est désormais fabriqué de façon industrielle ce qui lui ôte le charme de la rareté mais permet aussi de le démocratiser. Dans une démarche de politique sanitaire, Napoléon III décide d'ailleurs même de le détaxer pour encourager sa consommation par le peuple.

Mais le chocolat n'est pas seulement un plaisir gustatif : sa consistance se prête aisément à la sculpture. L'artiste Andrew Farrugia par exemple en a fait un de ses matériaux de prédilection et son Barack Obama haut en couleur. Si aucune œuvre n'impressionne davantage que celles de l'artiste russe Vladimir Konne, qui façonne des statuettes en chocolat blanc, peinte de caramel, à la façon des anciennes poupées de porcelaine, un autre gourmet sait jouer de la matière : les pièces de Freddy Dewaele, par un jeu des formes qui confine à l'abstraction, évoquent l'art précolombien. Lors du festival du chocolat il y a deux ans à Bruges, l'artiste avait déjà sculpté le corps d'une femme nue et laissait les visiteurs la dévorer morceau par morceau… Vous avez dit désir ?
 
Augustin Fontanier, à Bruges
Le 20/09/10

chocolat, chocolate, musée du chocolat, bruges, choco-story, cacao, fève, création, histoire, fabrication, belgique, aztèques, mayas, Cortès, sculpture, sauce, coulis

Choco-Story, The chocolate museum

Wijnzakstraat 2 (Sint-Janspein)
B-8000 Brugge
Tlj 10h-17h
Tarif plein : 6 €
Tarif réduit : 5 €
+32 (0)50 61 22 37 












D'autres articles de la rubrique Civilisations

Exposition : Lénine, Staline et la musique à la Cité de la musique, à Paris, jusqu`au 16 janvier 2011.

Crédits et légendes photos
Photo 1 Merci pour le chocolat, Claude Chabrol, 2000
Photo 3 Couverture de Charlie & the chocolate factory, Roald Dahl, 1964
Photo 5 Jean-Etienne Liotard, La Belle Chocolatière, 1745