L`Intermède
Exposition : Lewis Hine à la fondation Henri Cartier-Bresson, à Paris, jusqu`au 18 décembre 2011.

LES ETATS-UNIS du XXe siècle se sont construits sur le travail d'une classe ouvrière, nourrie par les flux d'immigrants venus d'Europe et les descendants des esclaves noirs. Les quarantes premières années d'expansion industrielle conquérante ont eu un témoin exceptionnel : Lewis Hine (1874-1940). Jusqu'au 18 décembre 2011, la Fondation Henri Cartier Bresson, à Paris, expose l'oeuvre de ce photographe sociologue, militant et artiste.

Par Augustin Fontanier

N
É DANS UNE FAMILLE MODESTE à la fin du XIXe siècle, dans une petite ville du Wisconsin, et tôt ouvrier dans une fabrique de meubles, Lewis Hine entre en photographie par hasard. Engagé dans des études de sociologie à l'université, il devient enseignant en sciences naturelles ; et dans les facultés où il enseigne, on commence à percevoir la photographie comme un instrument privilégié pour lewis hine, lewis, hine, exposition, rétrospective, fondation, fondation henri cartier bresson, hcb, paris, portrait, biographie, oeuvre, photo, photographie, photos, photographies, pique-niquel'enregistrement et la constitution d'un matériau sociologique. De sa propre initiative, une lourde chambre photographique à plaque sur le dos, Hine gagne donc le port où sont réceptionnés les immigrants européens.

DANS LA COHUE d'Ellis Island, il promène son regard sur les figures bariolées d'une population qui débarque hébétée sur la Terre promise, après plusieurs mois de traversée. Il y a de tout ici : des juifs askhenazes d'Arménie à la barbe bouclée, des cosaques qui ont conservé leur lourd manteau, et surtout des enfants de tous les peuples, qui courent partout sur les clichés. Hine connaît ses premières péripéties de photographe qu'il raconte avec humour dans une lettre à la critique Elizabeth McCausland : "Imaginez-nous en train de jouer des coudes à travers la foule d'Ellis Island pour essayer d'arrêter le flux des égarés circulant dans les couloirs, les escaliers et dans tous les coins pressés de trouver leur chemin et dans finir. (...) Je déployai simultanément les talents d'un hypnotiseur, d'un super vendeur et d'un lanceur de base-ball pour les préparer à jouer le jeu, et ensuite pour les prendre de vitesse afin que la plupart d'entre eux ne grimacent pas ni ne ferment les yeux au moment de la prise de vue." Son matériel demande d'ailleurs tant de temps pour être installé que souvent le migrant, pressé par le flux, a déjà filé. Mais Hine s'accroche.



Sociologue avant d'être artiste

"LEWIS HINE est le pionnier de la photographie sociale et documentaire", explique sans détour Agnès Sire, directrice de la Fondation Henri Cartier-Bresson. "Il témoigne de thématiques encore brûlantes aujourd'hui, comme le chômage, l'immigration ou encore le travail des enfants qui touche maintenant les pays d'Asie." La photographie de Lewis Hine est frontale, "enfin, autant que son appareil le lui permettait", sourit Agnès Sire. Jusqu'à un certain pédagogisme, comme dans la série sur les métiers, où le mécanicien, le cuisinier ou le soudeur sont pris dans une position similaires devant leurs instruments de travail. La structure de la photographie de Hine privilégie avant tout la lisibilité. Comme l'explique la directrice de la fondation, "Lewis Hine se moquait d'être reconnu comme un artiste".


lewis hine, lewis, hine, exposition, rétrospective, fondation, fondation henri cartier bresson, hcb, paris, portrait, biographie, oeuvre, photo, photographie, photos, photographies, pique-niquePHOTOGRAPHIANT POUR LES JOURNAUX ou les petites brochures, il ne prête pas attention à la qualité du tirage, du moment qu'il est suffisant pour faire passer le message - au grand désespoir de ses amis lorsqu'ils voudront présenter son travail. Il n'y a pas non plus chez lui cette prétention à saisir au vif la réalité de l'objet. Au contraire, il fait poser la plupart des hommes et femmes qu'il rencontre au gré de son cheminement. Pour certains, il les photographie même sous des costumes différents. Comme l'écrit Alison Nordström, dans le catalogue qui accompagne l'exposition, Lewis Hine ne rentre pas dans le débat entre les partisans de la photographie d'art et ceux de la photographie documentaire - longtemps avant que Walker Evans ne théorise la frontalité. Il observe et témoigne. C'est tout.

CAR AVANT D'ÊTRE UN ESTHÈTE, Lewis Hine est un passionné de la réalité sociale. Son travail est guidé par une infatiguable curiosité du monde humain qui le mène au coeur des usines et des mines de charbon et le pousse à conserver un enregistrement de tout ce qu'il rencontre. Chacune de ses photographies dénonce haut et fort l'exploitation des petites gamines dans les filatures, des jeunes garçons qui parcourent les rues en proposant le Herald Tribune à tue-tête. Sans doute le plus émouvant, ces bouilles encore joufflues de l'enfance noircies par la suie, une lampe à pétrole rudimentaire en fer blanc posée sur la tête. Le capitalisme avale les centaines d'immigrants qui se pressent sur le débarcadère d'Ellis Island : ils sont venus d'eux-mêmes, pressés par la misère dans leur terre d'origine, garnir les rangs de l'industrie conquérante. Les quelque cent-cinquante originaux alignés sur les deux salles d'exposition de la Fondation offrent un panorama vertigineux de l'extension industrielle : l'orchestre des laminoirs qui s'élèvent en cadence dans le ciel nocturne de Pittsburgh, les broches alignées par centaines dans les filatures de Géorgie, le ballet des grues qui se croisent autour de l'Empire State Building en construction...



"Let children be children"

CERTAINS SE BATTENT avec leur plume, Hine, avec son appareil. Les visages désolés imprimés sur sa pellicule, les membres absents des nombreux "accidentés" du travail retournent à l'Amérique l'envers de sa prospérité. Missionné par le puissant National Child Labour Committee qui a compris que la photographie peut faire exister une réalité refoulée par l'inconscient national, il traverse l'Amérique et enregistre la vie de la classe laborieuse sous toutes ses coutures. Un vrai travail de sociologue : il prend en note l'âge des lewis hine, lewis, hine, exposition, rétrospective, fondation, fondation henri cartier bresson, hcb, paris, portrait, biographie, oeuvre, photo, photographie, photos, photographies, pique-niqueenfants, leur taille et leurs conditions de travail. Les brochures diffusées par le NCLC font connaître ses photographies, qui sont bientôt relayées dans la presse progressiste. "L'impact de son travail est certain dans la lutte pour l'abolition du travail des enfants", explique Agnès Sire. Son travail inaugure ainsi les futures grandes campagnes de documentation photographique que lancera la FSA pendant la Grande dépression, avec Walker Evans ou Ben Shahn.

MAIS LE MIS
ÉRABILISME n'a pas sa place ici. Nulle part, dans les clichés de Lewis Hine, on ne trouve de visages larmoyants ni de dramaturgie pathétique. Le petit ouvrier au bras amputé ou les visages des enfants mineurs font face à l'objectif droits sur leurs jambes ou leurs béquilles. Lorsqu'en 1918, il sillonne pour la Croix-Rouge l'Europe dévastée par les bombes après quatre ans de guerre sauvage, il garde le même regard sobre et objectif. Le romantisme, chez Hine, n'apparaît que lorsqu'il célèbre la grandeur de l'industrie humaine ou l'inépuisable gaîté de l'enfant. Paradoxalement, c'est dans la joie que la photographie de Hine fait entrer l'émotion, comme sur cette image d'une gamine barbouillée riant aux éclats. Et de cet humanisme confiant, la beauté sourd là où on ne l'attend pas. Elle fait quasi naturellement partie du geste de Hine, faisant dégager de certaines photographies une poésie brute et profonde (Gamin de Paris, 1918).


Men at work

"THERE OUR SOLDIERS, our sustainers, the very parents of our life", écrit le poète William James à propos de ces hommes de peu, partis à l'assaut des nuages, sur des poutrelles de vingt centimètres de large, sans protection, travaillant accroupis sur des planches en bois, cent mètres au-dessus des rues new-yorkaises. Son appareil sur le dos, Lewis Hine escalade les échafaudages fouettés par le vent, et réussit à prendre quelques-uns de ces clichés magiques, où l'homme est saisi en vol, où même le manoeuvre noir, fils d'esclave, a le droit lui aussi de rêver, le temps d'une photographie, qu'il sera partie du nouvel empire qui s'édifie.

COMME LA PLUPART des progressistes de l'époque, Lewis Hine a une vision double de l'homme au travail. D'un côté, l'usine qui exploite la fillette aux doigts écorchés par le flux du fil sur les batteries de broches, les plantations de coton où des petits ramasseurs traînent des sacs plus longs qu'eux ; mais aussi
la puissance de la machine, de l'industrie, le jeune ouvrier aux longs bras musculeux qui lewis hine, lewis, hine, exposition, rétrospective, fondation, fondation henri cartier bresson, hcb, paris, portrait, biographie, oeuvre, photo, photographie, photos, photographies, pique-niqueactionne un volant géant, triomphant. Là, l'art de Lewis Hine confine au symbolisme. Et sur le surprenant montage qui orne la couverture d'une brochure, on retrouve une vision du peuple travailleur en marche qui rappelle fortement les collages soviétiques de l'époque. Vers la fin de sa carrière, comme l'aboutissement d'un long combat dans lequel il a eu sa part, c'est la figure de Roosevelt et de son New Deal qui veille, dans une bicoque ouvrière, sur le chômeur. Lewis Hine est le témoin immarcescible des pauvres et de l'héroïsme incompréhensible de ceux qui n'ont rien.
 
A.F.
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à Paris, le 21/09/2011

Lewis Hine
Jusqu'au 18 décembre 2011
Fondation Henri Cartier-Bresson
2 impasse Lebouis
75014 Paris
Tlj (sf lun) 13h - 18h30
Samedi 11h - 18h45
Nocturne Mercredi (20h30)
Tarif plein : 6 €
Tarif réduit : 3 €
Rens. :  01 56 80 27 00

 



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Crédits photos : Lewis Hine collection George Eastman House, Rochester