L`Intermède
peurs sur la ville, exposition, monnaie de paris, photographie, paris, guerre, incendie, paris-match, patrick chauvel, michael wolf, paris match, max gallo, photo, photos, ville, violence, violencesApocalypse now
Evènement fondateur dans la mythologie guerrière parisienne, la libération de Paris a consacré les façades hausmaniennes du Boul'Mich' comme le décor impérissable des combats de rue qui enflammeront encore le pays cinquante ans plus tard. "Paris est un champ de bataille", prévient dès l'entrée de l'exposition Peurs sur la ville l'historien Max Gallo. Les deux photographes Patrick Chauvel et Michael Wolf croisent leurs regards avec le fonds d'archive Paris-Match pour explorer les rapports de la violence à la ville. Entre réalité et fantasme, les rues de Paris sont prises d'assaut à la Monnaie de Paris jusqu'au 17 avril 2011.

Le 19 août 1944, la nouvelle de l'approche des alliés dans la capitale provoque le soulèvement de la population parisienne. Du jour au lendemain, les barricades s'élèvent sur les grandes artères, cernent le quartier latin, et le peuple prend les armes. Rachetés par Paris-Match, des dizaines d'instantanés témoignent de cette drôle de vie, où personne ne s'étonne du pistolet que porte une jeune femme élégante au fichu, et surtout pas la ménagère en tablier à fleurs qui garde la rue d'un oeil déterminé, casque en acier sur la tête et grenade à la main. Amateurs ou professionnels, les photographes immortalisent les escarmouches et les moments de fraternité entre les combattants improvisés, construisant par là une imagerie du combat de rue qui jouera un rôle symbolique de poids dans la mémoire collective française.

Paris brûle-t-il ?
Paris libéré, on jure que plus jamais les murs de la ville ne devront être à nouveau balafrés par les éclats de balle. Las, la guerre d'Algérie, qui commence à peine dix ans plus tard, fait revenir la violence dans les rues de la capitale. Les parisiens attablés sur les terrasses des boulevards découvrent avec stupeur que les attentats ne frappent plus seulement les lointains quartiers d'Alger. En ces temps mouvementés, les membres de l'OAS plastiquent à l'envi : les domiciles de Jean-Paul Sartre, de Françoise Giroud, d'André Malraux en font les frais. Quelques dates resteront gravées dans les esprits : Charonne, bien sûr, où la frénésie des policiers matraquant à tout va entraîne la mort de huit personnes parmi la foule venue braver l'Etat peurs sur la ville, exposition, monnaie de paris, photographie, paris, guerre, incendie, paris-match, patrick chauvel, michael wolf, paris match, max gallo, photo, photos, ville, violence, violencesd'urgence, place de la Bastille. Le lendemain, le sang noir des victimes zèbre la chaussée sur les pages des journeaux, comme un geste accusateur. Les accords d'Evian sont signés un mois après, mais Action directe et les soutiens à la cause palestinienne viennent relayer les partisans de l'OAS. Les attentats à la bombe se succèdent à la une de Paris-Match : attentat du Drugstore Publicis en 1974, à la grenade de la rue Goldenberg en 1982, de la rue de Rennes en 1986...
 
La violence, c'est aussi celle des affrontements de rue, avec les émeutes de mai 68 au premier plan. Les photographes de Paris-Match se faufilent entre les étudiants, prennent à la volée un baiser, un sourire chez ses drôles de résistants. Au risque, aussi, de constituer une mythologie iconographique qui n'est pas sans exercer un certain attrait chez les "casseurs" des émeutes récentes. Car le combat a aussi la poésie de ce jeune homme gracieux, seul devant les remparts de CRS, au milieu du boulevard Saint-Germain, qui jette un projectile par un geste fugitif : il semble suspendu dans les airs, la légèreté de la vie face aux uniformes. Car, à un autre niveau de lecture, Peurs sur la ville interroge le regard médiatique porté sur les violences urbaines. Par leur puissance visuelle, les photographies de Patrick Chauvel ici exposées ne favorisent-elles pas sans le vouloir la constitution d'un imaginaire halluciné de la ville ?

De fait elle constitue un théâtre privilégié des démonstrations de force. D'abord parce que depuis la seconde guerre mondiale, elle est devenue un objectif stratégique primordial, donc la cible principale des combats. Fini les batailles rangées en campagne : la violence se porte au corps au corps sur les trottoirs, on progresse étage par étage, sous les combles crevés par les bombes. Mogadiscio, Beyrouth, Sarajevo, Grozny : les images des cités ravagées par les bombes et les mitrailleuses ont fait le tour du monde et les unes des journaux. Une banalisation médiatique qui n'anesthésie en rien l'incongruité de la violence urbaine. Car ce qui frappe sur ces instantanés de Paris-Match, c'est l'irruption soudaine de la violence comme rupture radicale du cours ordinaire de la vie quotidienne, qui bascule sans prévenir de la paix au chaos. Les terrasses souriantes sont soufflées en un quart de seconde, les clients venus acheter leur bouteille de lait ressortent hébétés des peurs sur la ville, exposition, monnaie de paris, photographie, paris, guerre, incendie, paris-match, patrick chauvel, michael wolf, paris match, max gallo, photo, photos, ville, violence, violencesdécombres enfumés. Dense et complexe, Paris devient la cible de la violence aveugle, celle qui frappe au hasard des éclats de bombe. Incongruité plus comique, sur les photographies prises pendant les événements de mai 68 montrant les bourgeois en robes de chambre et pantoufles qui déambulent parmi les pavés et les barricades au petit matin. "Depuis la libération, Paris est secouée par des soubresauts cycliques, explique Christophe Beaux, directeur de la Monnaie de Paris. La question que pose l'exposition est justement celle-ci : la violence est-elle quelque chose de complètement passé, ou alors ne demande-t-elle qu'à se réveiller ?"

Du jour au lendemain
Annuler la distance, telle est la volonté qui anime la série de photomontages Guerre ici proposée par Patrick Chauvel. Grand reporter de guerre dans la tradition d'un Robert Capa, il entame sa longue carrière en couvrant à l'improviste la guerre des six-jours. Beyrouth, Sarajevo, ou Dublin : il a couvert pour Paris-Match et Newsweek les grands conflits qui ont embrasé soudainement des villes où tous vivaient jusque là dans une coexistence pacifique. Une expérience qui lui fait prendre conscience de l'équilibre précaire qu'est la paix, des pulsions agressives qui sommeillent en chacun des passants tranquilles dans les rues commerçantes. "La guerre peut arriver n'importe où. Quand je suis arrivé à Beyrouth, c'était une ville tout à fait normale. Puis tout d'un coup, il y a eu dix ans de guerre sanglante."

Conscient de la distance géographique mais aussi affective qui sépare alors le lecteur de Paris-Match des conflits lointains, il a réalisé une série de photomontages qui replacent la violence au coeur de Paris : des chars manoeuvrent devant le Panthéon, un soleil de cendre se lève sur l'esplanade meurtrie du Trocadéro, la tour Montparnasse est frappée de plein fouet comme les tours du World trade center. Tous les haut-lieux de la vieille capitale sont saturés par le chaos. "Ces peurs sur la ville, exposition, monnaie de paris, photographie, paris, guerre, incendie, paris-match, patrick chauvel, michael wolf, paris match, max gallo, photo, photos, ville, violence, violencesphotographies veulent interpeller les gens, pour ne pas qu'ils oublient que la paix est quelque chose de fragile. Trop de gens ici ont tendance à penser que la paix est quelque chose de normal, de donné." Le choc visuel ramène le visiteur à la réalité. L'irruption de la violence fait sauter d'un seul coup la distance qui nous sépare de la guerre, des morts et des pillages, que nous vivons sur nos écrans de télévision bien installés dans le salon. "C'est pour ça que je place les originaux à côté des montages, pour que les gens les comparent et ne se disent plus : mais c'est si loin..."

Il faut dire que les sombres perspectives de Patrick Chauvel ont été prises de court par la réalité. New York, Londres, Madrid, Moscou... Depuis dix ans, les grandes capitales du monde sont tour à tour prises pour cibles par plusieurs attentats spectaculaires. A Paris même, les patrouilles de soldats fusils à la main, dans les gares ou sur le parvis de Notre-Dame, font désormais partie du quotidien. Quand la violence s'invite au coeur des centres, elle nourrit toutes les peurs. "Il ne s'agit pas de faire peur, de fantasmer gratuitement, prévient Christophe Beaux, mais d'inviter les gens à réfléchir en leur donnant un petit coup de poing. Même si nous connaissons une époque relativement paisible, les gens conservent certaines peurs en eux, que les photographies de Patrick Chauvel permettent d'exorciser en quelque sorte."

peurs sur la ville, exposition, monnaie de paris, photographie, paris, guerre, incendie, paris-match, patrick chauvel, michael wolf, paris match, max gallo, photo, photos, ville, violence, violencesMoins spectaculaires, mais tout aussi évocatrices, les photographies Michael Wolf rappellent qu'il n'est pas besoin d'armes pour que la violence s'infiltre dans les espaces urbains. "Le travail de Michael Wolf est le contrepoint des photos de Chauvel, poursuit le directeur de la Monnaie. Il exprime une autre violence, plus insidieuse. Pas de tank soviétique ici, ni de cadavres ensanglantés, mais une violence psychologique qui s'exerce quotidiennement dans la rue. L'agressivité n'est pas physique, mais elle est tout de même bien réelle." Le photographe allemand s'est spécialisé dans l'atmosphère et l'architecture des villes contemporaines. Dans la série Paris street views, il aborde le thème de la violence quotidienne en utilisant les images du logiciel Google street views. Ces photographies instillent une atmosphère lourde de menace. Dans le flou du pixel, les hommes sans visages sont tous des criminels en puissance ou des victimes anonymes. L'agressivité de chaque geste est démultipliée, comme pour ce motocycliste qui brandit son majeur, violence banale qui se fait ici menaçante.

La civilisation des peurs
La célèbre thèse de la pacification des moeurs, formulée par le sociologue Norbert Elias (1897-1990) dans la Civilisation des moeurs veut que le processus de civilisation consiste en une forclusion de la violence directe au profit de formes d'affrontement plus ritualisées et pacifiques. Or les images prises par Paris-Match des violences qui déchirent les cités parisiennes de façon récurrente depuis une dizaine d'années semblent indiquer un sens contraire. Bandes de jeunes désoeuvrés, patrouilles de police, les cités sous pression n'attendent que le déclencheur pour exploser. En mars 2005, la mort des deux jeunes de Clichy-sous-bois provoque l'embrasement des banlieues. Tandis que les télévisions étrangères parlent d'une véritable guerre civile, les photographes de Paris-Match mitraillent des actions de guérilla urbaine, où les émeutiers tirent au fusil de chasse, voire au fusil d'assaut. Pour la première fois depuis la guerre d'Algérie, l'Etat d'urgence est déclaré sur le territoire métropolitain. Bardées de Kevlar, matraque et bouclier au bras, les forces de l'ordre exercent une violence anonyme et implacable. Leur dotation récente en flash-ball et taser, et les bavures répétées qu'elle entraîne, rappellent les limites du discours sur un contrôle pacifique des foules.
 
Le 27/01/11
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Peurs sur la ville
, jusqu'au 17 avril 2011

Monnaie de Paris
11 Quai de Conti
Paris 6e
Mar.-dim. : 11h-18h
Tarif plein : 6 €
Tarif réduit : 4 €
Rens. : 01 40 46 56 66








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Crédits et légendes photos
Vignette sur la page d'accueil : 6 mai 1968, un manifestant bombarde les policiers © Georges Melet, archive Paris Match
Photo 1 : Avril 1982, attentat à la voiture piégée devant le 33 rue Marbeuf © archive Paris Match
Photo 2 : 8 février 1962, des manifestants anti-OAS s’engouffrent dans la station du Chemin Vert © Charles Courriere / archive Paris Match
Photo 3 : 6 novembre 2005, cité de Grigny, un manifestant tire sur les policiers avec un fusil de chasse © Alvaro Canovas / archive Paris Match
Photo 4 : L’Arc de Triomphe © Patrick Chauvel / photomontage Paul Biota
Photo 5 : PSV 09, Série Paris Street View © Michael Wolf, Courtesy La Galerie Particulière
Paris Photo 6 : La Tour Montparnasse © Patrick Chauvel / photomontage Paul Biota