Les femmes à l'oeuvre
d'honneur au centre, le président de la Ligue des Electeurs pour le Suffrage des Femmes. Pris de face, le défilé brûle de détermination. Les femmes se tiennent en rang serré, les visages souriants ou défiants, toutes très élegamment vêtues de longues robes noirs plissées et de chapeaux à plumes. L'allure générale hésite entre la fureur d'un rouleau compresseur et la distinction d'un salon de thé, ce qui tranche avec le second cliché, où est capturée une scène de la grande manifestation de 1979 organisée par le Mouvement de Libération de la Femme (MLF) pour la reconduction du droit à l'avortement - la loi Veil, voté en 1975 pour cinq ans. Cinquante mille participantes occupent une pelouse de Paris. La plupart sont assises en petits groupes serrés. Les porteuses de banderoles ("Pape, fiche-nous la paix !") sont restées debout. En jean et t-shirt, les cheveux courts ou lâchés, elles fument des cigarettes. Aucune ne regarde dans la même direction ; il semble qu'il ne se passe rien d'autre qu'une attente étrangement désunie. Est-ce la préfiguration du féminisme contemporain, des années 1980 à nos jours, qui voit se taire les tambours battants au profit de dialogues au cas par cas ? Ou le visage d'une fatigue au terme d'une journée de lutte mal comprise par les contemporains ?
Peut-on tirer le portrait d'une féministe-type ? Non. Il ne peut y avoir d'archétype, puisque le féminisme n'est pas un métier, ni une confession ou une vocation ; c'est un combat. Ces femmes sont d'abord des artistes, des cerveaux, des individus poussés par un désir qui ont eu besoin, pour trouver satisfaction, de libertés que la société ne leur accordait pas. En cela, elles sont toutes différentes. Chacune a rejoint la cause universelle de l'émancipation des femmes pour des motifs personnels et parfois sans le vouloir… ou sans le savoir, puisque l'amalgame entre "célébrité féminine" et "combattante féministe" est fréquent. Pourtant, puisqu'il s'agit d'une exposition de photographies, les deux cents portraits alignés dans la galerie invitent à détailler les apparences, à noter les similitudes. La tenue véhicule des messages. Pour Marguerite Durand, "l'élégance est un devoir que la femme doit s'imposer, ne serait-ce que pour enlever aux hommes superficiels cet argument que le féminisme est l'ennemi du goût et de la grâce féminine". L'ancienne ministre Simone Veil et son strict chignon noir ne semblent pas vouloir la contredire.
ordinaires, anonymes, dont le quotidien participe à l'histoire des femmes, et non du féminisme. La photographe Janine Niépce (1921-2007) a suivi leur évolution pendant un demi-siècle. Leur vie n'attend pas toujours la législation pour s'émanciper : ici, souriante sous ses boucles relevées, une marchande des quatre-saisons tient un lourd chariot le long du boulevard Raspail des années 1950 ; ailleurs, une vieille gouvernante anglaise s'accorde une pause derrière la fenêtre d'un salon charentais. Ce sont cependant bien les changements de mentalité obtenus qui permettent à quelques jeunes filles d'ajuster leur uniforme de polytechnicienne, le 14 juillet 1970, en attendant de défiler sur les Champs-Elysées. Ou à cette ingénieure en bâtiment de continuer à travailler sur un chantier malgré son ventre rond, sous le regard surpris des ouvriers masculins. Ou encore à cette paysanne en salopette de conduire une énorme moissonneuse-batteuse à travers son champ. Car c'est ce vers quoi semble converger toutes ces images : montrer la femme à l'oeuvre, devant ou derrière l'objectif. Une partie de l'exposition est ainsi réservée au travail de femmes photographes : un nu de dos d'Yvonne Chevallier (une membre du Groupe des XV, auquel appartenaient aussi Robert Doisneau et Willy Ronis), une silhouette d'homme disparaissant dans le brouillard de Sabine Weiss, ou encore un clochard lointain, minuscule, recroquevillé, solitaire, capturé en plongé sous un pont de Paris. Il ne s'agit cependant pas de faire croire à l'existence d'un "oeil féminin" en photographie. Simplement de montrer le travail de celles qui, comme Sarah Bernhardt ou Hélène Boucher, ont écrit l'histoire des femmes. 
