L`Intermède
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Entrez dans la matrice

Les pupilles se dilatent devant le skateboard volant de Marty McFly, les mains s'élèvent tremblantes vers quelques feuilles du storyboard original de L'Empire contre-attaque, les pas se font mesurés et recueillis dans un espace parcouru de codes informatiques qui se détachent en vert fluorescent sur le noir profond de la salle, à l'image de la matrice des frères Wachowski. Depuis quelques années, la culture geek et sa fièvre
collectionneuse trouvent peu à peu leur place dans le paysage culturel français. Et la première exposition consacrée à la science-fiction dans un grand musée national en témoigne. Après le coup d'essai réussi de l'exposition Star Wars, la Cité des Sciences de Paris réitère l'expérience de plus belle et les commissaires, Evelyne Hiard et Sophie Lecuyer, lui offrent la plus grande exposition qu'elle ait jamais exposition science et fiction, science-fiction, cité des sciences, bnf, archives, manuscrits, costumes, maquettes, films, cinéma, sériesaccueillie : Science et fiction, Aventures croisées, jusqu'au 3 juillet. Une débauche de costumes originaux, maquettes, accessoires, projections sur écrans géants mais aussi espaces interactifs à visée pédagogique, manuscrits et documents rares prêtés par la BnF pour un voyage immersif en terre science-fictionnelle.

Où l'on apprend ce qu'est un ascenseur spatial
La science-fiction n'invente pas la science. "Ses apports à la science sont maigres mais elle a pu être un vecteur fondamental de la vulgarisation et de la popularisation de certaines idées scientifiques", rappelle Roland Lehoucq, astrophysicien et co-commissaire scientifique de l'exposition avec Patrick Gyger, directeur de la Maison d'Ailleurs, Ugo Bellagamba, écrivain et Maître de conférences en histoire du droit et des idées politiques et Clément Pieyre, archiviste et conservateur. Le grand public s'est ainsi familiarisé avec l'idée d'explorer l'espace à travers des romans et des films qui, à coup de vitesse supra-luminique, envoient leurs vaisseaux dans des contrées inconnues. Le Meilleur des mondes d'Aldous Huxley (1932) a popularisé la notion de clonage bien avant que la brebis Dolly ne soit créée sans fécondation en 1996 à partir de la technique du transfert de noyau. De même, l'idée d'ascenseur spatial apparaît pour la première fois en science-fiction dans le roman d'Arthur C. Clarke, Les Fontaines du Paradis (1979). Ce concept, aujourd'hui à l'étude, consiste à tendre un câble entre la terre et un certain point dans l'espace pour permettre de placer des objets en orbite ou de les lancer dans l'espace plus facilement. Comprendre ne suffit pas, il faut aussi expérimenter ? Qu'à cela ne tienne, il ne reste plus qu'à entrer dans une capsule et ressentir le décalage temporel qui advient lorsque l'on s'éloigne de la terre, ou s'assoir devant un ordinateur pour psychanalyser un robot et vérifier que l'on sait bien appliquer les lois de la robotique proposées par Isaac Asimov. Une fois de plus, la Cité des Sciences fait rimer pédagogique et ludique.

Mais il semble que, bien plus que la science, ce soit l'imagination qui est ici à l'oeuvre. Si une partie de la science-fiction se fonde sur des données scientifiques les plus exactes possibles pour construire ses récits, comme dans le courant qu'on appelle la "hard science", il est bien des oeuvres où la science ne joue qu'un rôle secondaire, voire inexistant. Dès sa naissance, avec un écrivain comme H.G. Wells, il ne s'agit pas d'expliquer des mécanismes technologiques ou scientifiques, mais de partir d'une idée et de exposition science et fiction, science-fiction, cité des sciences, bnf, archives, manuscrits, costumes, maquettes, films, cinéma, sériesspéculer sur les conséquences qu'elle peut avoir : être invisible (L'homme invisible, 1897), voyager dans le temps (La machine à explorer le temps, 1895) ou être envahi par des martiens (La Guerre des mondes, 1898). De même, science-fiction ne rime pas forcément avec anticipation : le genre n'a pas vocation à prédire l'avenir mais à construire des univers fictionnels qui permettent essentiellement de réfléchir sur notre monde et de remettre en question ce qui nous apparaît comme des évidences.

Car la science-fiction ne saurait se réduire à des vaisseaux spatiaux et des robots dans le futur : ses univers sont bien plus complexes et divers. La composition thématique de l'exposition offre ainsi un itinéraire à travers les principales problématiques du genre : le voyage dans l'espace, les transformations de l'humain, la ville, la société. Des costumes colorés de la série Star Trek (Gene Roddenberry, 1966-1969) qui explorait l'espace, "l'ultime frontière", aux préoccupations écologiques de Dune (David Lynch, 1984) que révèlent les costumes adaptés à l'environnement désertique de la fameuse planète, en passant par les distorsions de l'histoire des uchronies comme Le Maître du Haut château (Philip K. Dick, 1962) et les sociétés totalitaires (Brazil, Terry Gilliam, 1985 ou militaristes représentées par les uniformes de Starship Troopers (Paul Verhoeven, 1997)... Tous ces costumes, objets et images ouvrent l'univers des possibles de la science-fiction qui explore toutes les énigmes auxquelles est confronté l'humain : le réel, l'espace, le temps, l'esprit, la société, soi et autrui.  "La science-fiction conjugue une absolue liberté de ton avec une ambition philosophique, sinon métaphysique, rarement égalée, résume Ugo Bellagamba. Elle confronte l'homme à ses contradictions, à l'univers qui l'entoure, et interroge son besoin de transcendance." Elle se construit ainsi sur des motifs, des images qui poussent à l'extrême certains principes pour émerveiller - on parle de "sense of wonder" à propos de l'effet que provoquerait la science-fiction sur ses lecteurs -, surprendre, questionner. Rien d'étonnant, dès lors, à ce que le genre trouve un relais efficace dans le cinéma, cet art de l'émerveillement et de l'image par excellence.

La science-fiction, après des prémices européennes en France et en Angleterre avec H.G. Wells (1866-1946), Maurice Renard (1875-1939) ou encore J.H. Rosny Aîné (1856-1940), connaît un développement fondamental aux Etats-Unis à l'ère des pulps, ces magazines bon marché où les genres populaires vont trouver un terreau fertile. Des directeurs de magazines encadrent les écrivains et imprègnent de leur vision du genre la production de l'époque, à commencer par Hugo Gernsback à qui l'on doit le terme "science-fiction", et surtout John Campbell qui chapote toute la génération de la science-fiction de l'âge d'or, imposant une conception exposition science et fiction, science-fiction, cité des sciences, bnf, archives, manuscrits, costumes, maquettes, films, cinéma, séries plus scientifique du genre, construisant un cadre narratif spécifique et allant jusqu'à co-écrire un grand nombre de textes. Dans les années 1960, le genre se diversifie, occupe le terrain fondamental des sciences humaines, inaugure le livre-univers avec Dune de Frank Herbert (1965) et laisse s'exprimer des sensibilités aussi différentes que la science-fiction humaniste et sociale de Ursula Le Guin et les délires solipsistes et paranoïaques du génial Philip K. Dick (1928-1982). Puis, avec la décennie 1980, naît le courant Cyberpunk, inauguré par William Gibson et son roman Neuromancien (1984) qui lance la science-fiction dans les méandres de la cyberculture et des techno-thrillers inspirés de la tradition du film noir. Le dernier mouvement né au sein du genre doit son nom au précédent : le steampunk, par référence à la vapeur de la révolution industrielle. Variante de l'uchronie - récits où l'on réécrit l'Histoire à partir d'une hypothèse : ainsi dans Le Maître du Haut Château de Philip K. Dick (1962), les forces de l'Axe ont gagné la Seconde guerre mondiale -  il met le plus souvent en scène une époque victorienne revisitée où l'occulte et la science se côtoient de manière étrange.

Grands ancêtres et cahiers raturés
Pour la première fois, des extraits significatifs des collections science-fictionnelles de la Bibliothèque Nationale de France sont exposées, mettant ainsi en valeur le travail de constitution et de conservation réalisé depuis 2006 par Clément Pieyre, conservateur et commissaire scientifique de l'exposition. Des trésors comme le manuscrit de La Planète des singes de Pierre Boulle (1963) ou le grand cahier d'écolier sur lequel Pierre Bordage a écrit à la main Les Guerriers du silence (publié en 1993 mais écrit en 1984) côtoient des notes de travail, des journaux intimes et des correspondances. Dans les vitrines, les schémas, les cartes, les fiches de personnages montrent le processus de création d'un univers imaginaire. Ainsi, "les quatre-vingt volumes de La Compagnie de Glaces de G.-J Arnaud partent d'une idée qui tient sur une fiche bristol", rappelle Clément Pieyre. C'est au coeur de "la genèse du travail de ces bâtisseurs d'univers", selon ses termes, que ces papiers si divers permettent d'entrer. (Voir l'article qu'il a rédigé avec Simon Bréan : "Les chaînes de l'avenir : La science-fiction est-elle une littérature à contraintes?")

L'objectif premier de la constitution de ces collections à la BnF est d'assurer "la représentativité de la science-fiction dans les collections nationales", souligne le conservateur. "Car il y avait une lacune dans les collections. J'ai donc démarché les auteurs ou leurs ayants droits pour leur proposer d'accueillir leurs archivesexposition science et fiction, science-fiction, cité des sciences, bnf, archives, manuscrits, costumes, maquettes, films, cinéma, séries littéraires dans le département des archives et manuscrits. C'était à l'été 2006." Il en résulte, de fait, une forme de légitimation patrimoniale du genre, comme s'il en fallait encore une. L'évidence, qui ne semble pourtant pas si évidente pour tout le monde, éclate sur ces documents : les écrivains de science-fiction raturent, travaillent leur texte tout autant que n'importe quel écrivain, se souciant des mots aussi bien que des idées jaillissant de leur imagination. La genèse de ces textes s'offrent ainsi aux chercheurs qui peuvent approfonfir leur connaissance des oeuvres et du milieu de la science-fiction à travers les correspondances ou les journaux intimes conservés dans le fond, tels le journal de Jacques Spitz qui montre bien "comment il est passé du surréalisme à une forme de merveilleux scientifique", précise Clément Pieyre. Ce travail assure aussi un sauvetage de documents qui, sans cela, pourraient être irrémédiablement perdus.

Sans oublier la quincaillerie
Mais si les romans et nouvelles sont le fondement même du genre, il ne faut pas sous-estimer ses avatars graphiques : les illustrations de couvertures, de livres comme de magazines, mais aussi les affiches de films. C'est par leur biais que l'imagerie science-fictive, que l'on pourrait presque qualifier de quincaillerie du genre, s'est inscrite dans l'imaginaire collectif et que les petits hommes verts, les soucoupes tirant au laser sur une foule en panique ou les monstres tentaculaires se sont imposés. Les affiches prêtées par la BnF en témoignent, ainsi que les vitrines de pulps aux couvertures colorées et stéréotypées, dont les images devenues classiques dictaient parfois le contenu même du magazine, et la très riche iconographie du catalogue de l'exposition. Sur l'affiche du Jour où la terre s'arrêta (Robert Wise, 1951), le robot géant porte la belle héroïne blonde évanouie dans ses bras, une image devenue un cliché du genre.

exposition science et fiction, science-fiction, cité des sciences, bnf, archives, manuscrits, costumes, maquettes, films, cinéma, sériesCertains longs métrages postérieurs au 2001, l'Odyssée de l'espace de Stanley Kubrick essaieront d'en finir avec ces visions de tableaux de bords aux boutons clignotants et autres rayons lasers. Les deux films de Ridley Scott notamment, Alien (1979) et Blade Runner (1982), marquent un tournant décisif dans la réprésentation au sein des films de science-fiction, et l'on ne compte plus les longs métrages qui ont depuis copié l'esthétique sombre et cosmopolite de la ville dans laquelle évolue le chasseur de réplicants Rick Deckard ou les tréfonds sales et humides du vaisseau de transport de marchandises, le Nostromo. Les montages d'extraits de films qui ponctuent l'exposition sur des écrans géants ainsi que les pièces exceptionnelles de la collection Arnaud Grunberg, qui depuis vingt ans a rassemblé des objets originaux provenant de films et de séries de science-fiction afin de les conserver mais aussi de les rendre accessibles au grand public, invitent à observer l'évolution des réprésentations. 

L'exemple des robots est significatif : les machines qui ressemblaient au départ à des grille-pains sur pattes laissent place au cours du temps aux androïdes et autres cyborgs que l'on ne distingue plus des humains. Les combinaisons spatiales, dont celle dessinée par Moebius pour Alien ou la combinaison solaire de Sunshine (Danny Boyle, 2007) ainsi que les maquettes de vaisseaux dont le Viper de la série Battlestar Galactica ( Ronald D. Moore, 2004-2009), côtoient les extraterrestres de Men in Black (Barry Sonnefeld, 1997), rappelant que si la science-fiction littéraire est lue au sein d'une cercle restreint d'amateurs, le cinéma de science-fiction, lui, a connu un développement phénoménal et s'est imposé aux côtés des films mainstream, au point que la plupart des plus gros succès au box-office sont des films de genre. Les millions de spectateurs du dernier film de James Cameron, Avatar (2009) ne sont pas, de toute évidence, des fans de science-fiction, mais le genre a trouvé sa place dans l'imaginaire collectif par le biais du cinéma. Preuve, s'il en est, que la science-fiction a pu déployer toute sa force de séduction avec les images, au-delà des mots.

Claire Cornillon
Le 01/01/2011
Les fonds d'archives de science-fiction
D'autres fonds d'archives de science-fiction existent par ailleurs dans le monde. L'Université Texas A&M aux Etats-Unis possède un fond très important : la "science fiction and fantasy research collection", qui naît en 1970 lorsque deux bibliothécaires, Hal Hall et Vicki Anders, acquièrent quelque deux-mille magazines de science-fiction. Le fonds s'est enrichi de magazines, de livres, d'éditions originales, de manuscrits et compte aujourd'hui plus de 46 000 documents, dont une centaine de manuscrits et de documents d'archives, parmi lesquels des extraits de la correspondance de William Gibson, des documents d'Arthur C. Clarke ou d'Isaac Asimov.  En Angleterre, à l'Université de Liverpool, dans la section "collections spéciales" de la Bibliothèque Sidney Jones, aux côtés de plus de trente-mille livres, magazines et revues spécialisées, se trouve aussi un fond d'archives recueillant des documents de John Wyndham, John Brunner ou encore Harry Harrison, et surtout la très imposante collection des archives de l'écrivain anglais Olaf Stapledon, comprenant ses manuscrits, sa correspondance, des textes inédits, des notes de travail, etc. "Ce fond, explique le professeur Andy Sawyer qui en est l'actuel responsable, a été créé au même moment que la Science Fiction Foundation au début des années 1970. Récemment, nous avons reçu des chercheurs venant d'Australie, des Etats-Unis, de Suède ou d'Italie. Nous fournissons également des informations à la presse, à la BBC et je travaille actuellement avec la British Library pour l'exposition à venir Out of this world :  Science fiction but not as you know it (2011)".
C. C.
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Cité des sciences et de l'industrie
30 avenue Corentin Cariou
75019 Paris
Tlj (sf lun) 10h - 18h
Dimanche 10h - 19h
Tarif plein : 11€
Tarif réduit : 8€
Rens. : 01 40 05 80 00

Pour en savoir plus:
La catalogue de l'exposition:
Sciences et science-fiction
Patrick J. Gyger, Roland Lehoucq, Clément Pieyre et Ugo Bellagamba
Editions La Martinière, 2010
29,90 €

Les fonds d'archives de science-fiction:
- Bibliothèque nationale de France

Archives et Manuscrits
Site Richelieu
5 rue Vivienne
75002 Paris
- Science Fiction and Fantasy Research Collection
Cushing Memorial Library and Archives
Texas A&M University, Etats-Unis 
- Science Fiction Foundation Collection
Sidney Jones Library
University of Liverpool


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Crédits et légendes photographiques :
Vignette sur la page d'accueil : 2001 l'Odysée de l'espace de Stanley Kubrick
1 Traverser la matrice © eppdCSI / JP. ATTAL / ScienceFictionArchives.com
 2 La galerie des extra-terrestres. Men In Black © eppdCSI / A. Robin / ScienceFictionArchives.com
3 Affiche de La Planète des singes de Franklin J. Shaffner
4 Affiche de Le jour où la Terre s'arrêta de Robert Wise
5 "The 40 Credit Tour of Earth" Illustration Emsh pour Galaxy Science Fiction 1952 © Collection Maison d’Ailleurs/Agence Martienne
6 Livre-catalogue de l'exposition Sciences & Science-Fiction © eppdCSI/Éditions de La Martinière