L`Intermède
Les gammes de Barbara Hendricks
Elle sillonne les scènes du monde entier depuis plus de quarante ans, se moquant des frontières sociales et nationales. Barbara Hendricks, l'une des plus célèbres sopranos contemporaines, déchiffre aujourd'hui la partition de sa vie avec un nouveau public : celui des lecteurs. Laissant tomber le -x pour un -e final, Ma Voie, ses mémoires parus en novembre 2010 aux éditions Les Arènes, retrace le parcours de la petite fille aux pieds nus de l'Arkansas devenue messagère, au sens le plus noble du terme. Lorsque ce n'est pas Mozart qu'elle rappelle au présent, ce sont les réfugiés pour qui elle se bat inlassablement. Leçon de vie en une gamme.

Do. 
Décembre 1993, le Laudate Dominum de Mozart Barbara Hendricks, Ma Voie, mémoires, Les Arènes, soprano, partition, leçon, musique, humanisme, Arkansas, réfugiés, HCR, Mozart, Sarajevo, biographie, parcours, portrait, autobiographie, écritureretentit dans Sarajevo défigurée. Alors que la chanteuse s'apprête à faire face aux musiciens bosniaques réunis pour l'accompagner, une violente émotion la gagne : les visages qui l'observent sont squelettiques, creusés par des jours interminables de siège, par la peur et par le deuil. Barbara Hendricks ferme les yeux et se met à chanter pour ne pas pleurer. Le concert est diffusé en direct à la télévision française et en Bosnie. Le lendemain, Isabella, membre de la chorale des enfants, vient offrir à la soprane son petit collier en guise de cadeau d'au-revoir. Trois années durant, jusqu'à ce que les Serbes quittent leurs positions au-dessus de la ville, le souvenir de cette enfant hantera l'ambassadrice de bonne volonté du Haut Commissariat pour les Réfugiés : "Si tu es vivante et si ta famille est vivante, pardonne-moi. Cette situation est inacceptable et nous n'avons rien pu faire pour toi", lui écrira-t-elle dans une lettre ouverte.

Lorsqu'elle reçoit cette lettre, cela fait déjà près de dix ans que la cantatrice, jamais très loin des scènes de récitals, veut en finir avec l'image caricaturale des réfugiés victimisés en quête de dons perpétuels et révéler au monde l'humanité perçue dans leurs regards. Elle ne s'en cachera jamais, son métier lui sert de repoussoir. En 1986, alors qu'elle vient de s'installer en Suisse où de nombreux organismes humanitaires ont leur siège, le Haut Commissariat pour les Réfugiés lui propose de participer au nouveau programme d’ambassadeurs de bonne volonté tout juste inauguré, bien que ne faisant pas l'unanimité. Ranimer l'intérêt de l'opinion publique et pousser les gouvernements à agir est l'idéal avoué de cette haute instance des Nations Unies qui allait devenir si essentielle dans l'existence de l'artiste. Lusaka, capitale zambienne, sera la première d’une longue liste de destinations où les réfugiés du monde l'attendent. Très vite, aider ces hommes, ces femmes et ces enfants à regagner paix et dignité devient viscéral pour la soprano. En Malaisie, au camp de Pulau Bidong où les vietnamiens, baptisés alors les "boat people", affluent par milliers pour fuir leur pays ravagé par la guerre, Barbara Hendricks comprend combien il est important qu'elle se rapproche des femmes et des enfants pour se faire leur meilleur porte-parole possible. "Je voulais incarner le sens même du mot 'ambassadrice' - en allemand Botschafterin, 'porteuse de message'." En 1998, elle se bat pour l'instauration de la Cour pénale internationale. Et la même année, la Fondation Barbara Hendricks pour la paix et la réconciliation, sa propre structure humanitaire, voit le jour. La soprano lui reverse les prix reçus ainsi que les cachets de certains concerts. Elle peut alors faire de la culture pour les enfants l'un de ses objectifs principaux.

Ré. Un retour à l'enfance, car c'est là que l'engagement humanitaire de la chanteuse prend ses racines. Assister à la lutte pour les droits civiques de la communauté noire américaine aiguise en effet son sens de la justice. Née en Arkansas une journée de novembre 1948, dans la ferme de ses grands-parents, elle précède de peu la ratification de la Déclaration universelle des droits de l'homme par l'Assemblée générale des Nations Unies. Une Déclaration qui ne change d'abord que peu de choses pour l'enfant negro qu'elle est, et qui se vit longtemps comme une réfugiée dans son propre pays. La réalité lui donne alors raison : en 1955, l'histoire tragique d'Emmett Till, adolescent de quatorze ans cruellement assassiné, la marquera durablement. Puis en septembre 1957, alors que la rentrée scolaire à North Little Rock, où elle vit avec sa famille, est l'occasion d'une première expérience de "déségrégation", Barbara Hendricks prend toute la mesure de la Barbara Hendricks, Ma Voie, mémoires, Les Arènes, soprano, partition, leçon, musique, humanisme, Arkansas, réfugiés, HCR, Mozart, Sarajevo, biographie, parcours, portrait, autobiographie, écriturehaine des blancs et de sa virulence. Neuf étudiants noirs, dont Elizabeth Eckford, retenus pour intégrer un lycée blanc, se font verbalement lynchés et couvrir de crachats. "La peur avait désormais un visage, celui de la foule en colère crachant sa propre peur à Elizabeth Eckford. Elle prenait la forme hideuse du corps mutilé d'Emmett Till." Barbara Hendricks demeure toutefois protégée de cette violence.

Elle reçoit une éducation protestante, dont elle gardera l'enseignement essentiel de ne chercher ni l'éloge ni la flatterie, et qui la conduit à l'église où son père, pasteur, prononce ses sermons. C'est là que l'enfant a ses premières émotions musicales : "Les voix s'élevaient, traversaient les murs de l'église et gagnaient les prés environnants. L'assemblée chantait d’une seule et même voix, emportée dans une catharsis collective d'où émanait une puissance extraordinaire." Barbara Hendricks commence alors à chercher des éléments de réponse au sens de la vie dans les nombreux negro-spirituals qu'il lui est donné d'entendre et de chanter. Deux années de chorale au collège Merill Junior and High school constituent la base essentielle de sa formation musicale. Un apprentissage que la jeune fille poursuit au lycée Horace Mann avec Arthur Porter, directeur de la chorale. C’est dans le salon de ce dernier qu'elle aime à se perdre dans une foisonnante discothèque de jazz, où elle découvre les grandes voies et les compositeurs incontournables. Count Basie, Oscar Peterson, Sarah Vaughn, Billie Holiday… Elle ignore qu'elle participera un jour à un hommage à Duke Ellington au Festival de Montreux et qu'elle nourrira ensuite de nombreuses collaborations, remontant jusqu'au blues. Chanté pendant plus de dix ans, le jazz lui offre une liberté d'interprétation dont elle s'inspire pour son répertoire classique. Mais, à l'époque, une carrière de chanteuse lyrique est à peine envisagée pour une enfant noire qui doit surtout se taire si elle veut vivre.

Mi. Au fil de ses mémoires la chanteuse révèle un caractère dont la force explique qu'elle ait pu s'ouvrir des chemins inespérés. Son âme franche rappelle celle d'un Beethoven : "Si j’arrive à interpréter ce rôle, ce sera malgré vous, et non grâce à vous", lance-t-elle un jour à un metteur en scène de la Juilliard School, non sans rappeler ce billet du compositeur allemand à son mécène Lichnowsky : "Prince, ce que vous êtes, vous l'êtes par le hasard de la naissance. Ce que je suis, je le suis par moi. Des princes, il y en a et il y en aura encore des milliers." C'est avec la même verve et le même affranchissement qu'elle défend ses programmes musicaux et fait valoir sa pensée politique. Ce qui nous vaut quelques bons mots, à l'égard de la communauté internationale devant le drame de Sarajevo notamment, à propos de quoi la chanteuse écrit : "L'épuration ethnique [a] réussi et la communauté internationale pitoyablement échoué."

Ce tempérament ne commande pourtant jamais aucun acte gratuit. Barbara Hendricks ne prend, au contraire, les décisions les plus radicales et les plus ambitieuses que lorsque son indépendance est menacée. C'est ainsi que, devant ce qu'elle estime être une vraie perdition morale des maisons de disques, elle crée en mars 2005 son propre label, Arte Verum. Après vingt-cinq années d'enregistrement chez EMI France, puis EMI Classics, les conditions d'enregistrement se dégradent et la logique commerciale ronge de plus en plus la reconnaissance des chanteurs lyriques ainsi que des répertoires. EMI décide de retirer de son catalogue tous Barbara Hendricks, Ma Voie, mémoires, Les Arènes, soprano, partition, leçon, musique, humanisme, Arkansas, réfugiés, HCR, Mozart, Sarajevo, biographie, parcours, portrait, autobiographie, écritureles disques qui ne se seraient pas suffisamment écoulés durant l'année. Devant les faits - il ne finit plus par rester que cinq disques sur une cinquantaine de Barbara Hendricks - la soprane se sent dénaturée, chaque enregistrement ayant demandé des années de recherche et de travail. C'est alors qu'elle cesse d'enregistrer en exclusivité pour EMI et se met à enregistrer ses propres archives avec Nicolas Bartholomée, son producteur.

Fa. "Les politiques et les artistes ont la responsabilité de proposer à chacun des nourritures de l'esprit […]. La musique classique est l'une de ces nourritures. Elle nous rend plus humain." Cet engagement politique, Barbara Hendricks le porte dès ses études à New York, où elle intègre le Programme étudiant du Lincoln Center. Un certain nombre de jeunes artistes sont sélectionnés pour aller rencontrer des collégiens et lycéens des quartiers pauvres de la ville afin de les sensibiliser aux arts du spectacle. "Certains quartiers du South Bronx et de Brooklyn ressemblaient à un pays déchiré par la guerre", écrit-elle. Confrontée à un public captif et parfois hostile, la jeune femme s'engage dans la rencontre avec authenticité. L'approche est efficace et fait de cette expérience l'un des évènements les plus formateurs de ses études. "Ces adolescents m'ont appris combien la relation que j'entretiens avec ce que je chante est importante et combien elle influence mon lien avec le public. Je voue un très grand respect à ceux qui viennent m'écouter, autant qu'à la partition. Je ne me suis jamais montrée condescendante envers ces élèves, ni dans mes choix musicaux ni dans ma présentation. Prendre le temps de se préparer permet à la musique de parler d'elle-même, organiquement (…). Cela m'a aidé à affronter les publics les plus difficiles que j’ai eus par la suite et, à ce jour, je n'ai pas changé d'attitude, ni envers ma musique ni envers mon public."

Ce souci de la vérité demeure la priorité de l'artiste avec tous ses publics et le point névralgique de l'équation existentielle qu'elle découvre : "responsabilité = liberté". Nul besoin de rechercher l'amour et la reconnaissance chez le spectateur et l'auditeur. Toute partition exige d'être servie avec humilité, et aller sur scène doit être une décision parfaitement assumée. Barbara Hendricks choisit de ne jamais rien laisser paraître de ses blessures, et d'annuler toute représentation qu'elle ne puisse pas décemment honorer. Cette exigence vis-à-vis d'elle-même vaut pour tout ce qui est susceptible de perturber la "mission" qu'elle se donne de communiquer l'émotion de la musique à son public : "Je suis intransigeante [...] avec tout ce qui dérange le public et ne lui permet pas d'obtenir ce qui lui est dû." La cantatrice ira jusqu'à interrompre un concert pour demander à ce que sorte une photographe dont les déambulations frisaient l'insolence. Lors de ses récitals, elle invite son public à ne pas applaudir après chaque mélodie afin de respecter l'intégrité de chaque cycle et de mieux profiter du voyage. "Je veux aider les auditeurs à trouver leur propre concentration, non à penser ou à analyser, mais à laisser la musique opérer sa propre magie." Pour ce faire, l'artiste veut et doit apprendre à maîtriser son énergie, comme elle l'avait vu réalisé par Rudolf Noureev au Metropolitan Opera lors d'un inoubliable Romeo et Juliette. Ce qu'elle apprendra à faire auprès de son professeur, Jennie Tourel.

Sol. La rencontre a lieu au Festival d'Aspen, dans les Rocheuses du Colorado en 1969. Neuf semaines décisives, durant lesquelles Barbara Hendricks, qui termine alors une licence de mathématiques, prend des cours de chant, de français et d'art dramatique auprès, entre autres, de Madeleine Milhaud. Ayant tout le loisir d'assister à de nombreux concerts, elle découvre la musique de chambre, qui devient sa principale famille musicale. L'intimité et l'immédiateté de ce genre lui permettent d'aller au devant des gens dans les plus petites villes. Toute son approche de la musique s'en ressent : "La première fois que j'ai travaillé ainsi avec d'autres musiciens, j'ai tout de suite su que c'était la manière dont je voulais aborder toute la musique que je chanterais. J’aime le dialogue silencieux qui s'installe quand on joue et qu'on écoute les autres en permanence, en modulant spontanément les couleurs, les textures et les dynamiques. J'ai tenté d’appliquer la même démarche avec l'orchestre et l'opéra, ce qui est possible si tout le monde y met du sien. La satisfaction du résultat appartient à tous et pas seulement au soliste." L'artiste cherche ensuite à travailler avec un nombre restreint de pianistes qui ne soient pas seulement des accompagnateurs mais de véritables partenaires musicaux, au nombre desquels les plus grands noms : Staffan Scheja, Radu Lupu, Michel Béroff, Maria-João Pires, Dmitri Alexeev, Roland Pöntinen, Love Derwinger… Cette passion pour la musique de chambre n'est pourtant pas vécue au détriment du récital, dont Barbara Hendricks ne peut s'empêcher de noter le déclin en Europe. Quant aux opéras, c'est en Richard Strauss et Wolfgang Amadeus Mozart que la chanteuse salue les génies qui lui ont offert ses plus beaux rôles.

Aspen est surtout le baptême musical de Barbara Hendricks, qui y rencontre Jennie Tourel, unique professeur de chant à qui elle doit d'avoir intégré la Juilliard School de New-York. Appartenant à une génération d'artistes-professeurs européens en voie de disparition, Jennie Tourel, immigrée russe d'origine juive ayant fui l'Allemagne nazie, rattache la jeune chanteuse à une tradition et une époque bientôt révolues. Un temps "Barbara Hendricks, Ma Voie, mémoires, Les Arènes, soprano, partition, leçon, musique, humanisme, Arkansas, réfugiés, HCR, Mozart, Sarajevo, biographie, parcours, portrait, autobiographie, écriturel'on ne parcourait pas le monde en avion - et encore moins en Concorde - mais en bateau et en train : un rythme plus lent, qui reflétait naturellement sans doute le temps nécessaire pour devenir un grand artiste. Elle m'a transmis un héritage aussi rare qu'inestimable. Pas seulement à travers ses cours, mais par sa personnalité, qui m'inspira ma propre définition du mot 'artiste' : l’artiste répond à l'appel de l'art et le sert en permanence." Les deux femmes attachent une même valeur à l'itinéraire qui conduit de la partition écrite à la représentation scénique. La technique vocale, la diction, le rythme doivent être au service de la recherche d'un instant de grâce. C'est avec Miss Tourel que Barbara Hendricks identifie sa voix. Avec un timbre pur et une extension vers l'aigu, la professeure ne diagnostique ni une soprano colorature, ni une soubrette, mais une soprano lyrique. En écoutant et en travaillant les Lieder de Schubert, les airs de concert de Mozart et quelques mélodies russes, l'apprenti commence à construire son répertoire, n'hésitant pas bientôt à s'aventurer ailleurs que dans l'espace réservé à sa tessiture.

La. A la Juilliard School, la chanteuse fait la connaissance de Staffan Scheja, pianiste suédois prodige en son pays, qui devient un ami par qui elle découvre la Suède et rencontre Martin Engström, son premier mari. Lors de son premier concert à Stockholm en 1974, la jeune femme est loin de se douter qu'elle est en train d'entamer une relation forte et durable avec le public suédois et qu'elle épousera deux hommes de ce pays nordique. En janvier 1977, Barbara Hendricks prend un vol direct pour Paris, où Martin Engström, alors devenu agent artistique, l'invite à chanter le Stabat Mater de Pergolèse. C'est un aller sans retour et les premiers pas officiels dans la capitale française. C'est aussi le début de son idylle avec Martin Engström, qu'elle épouse à l'été 1978, et avec qui elle aura deux enfants. Après le concert de Pergolèse, la soprane entame une série d'auditions infructueuses en Allemagne. Mais l'essentiel est arrivé : Daniel Barenboïm l'engage pour chanter Suzanne des Noces de Figaro, avec le Deutsche Oper de Berlin.

Suzanne devient un personnage cardinal dans la carrière de Barbara Hendricks. Premier rôle à Berlin, Munich, Hambourg, Aix-en-Provence, La Scala, Suzanne l'engage dans un long travail d'appropriation, qui dure jusqu'à la dernière interprétation de sa carrière. Mais c'est sans doute sous la direction exigeante de Ricardo Mutti que la cantatrice apprend le mieux à la posséder. S'inspirant de la manière dont le chef d'orchestre italien travaille les longs récitatifs mozartiens, elle finit par aimer ces derniers plus que l'aria elle-même.

Si. Ces géants, ses maîtres. Trois chefs d'orchestres, trois grands hommes reçoivent dans ces mémoires un vibrant hommage, permettant de les approcher comme il s'en trouve peu d'occasions dans le parcours d'un mélomane. Herbert von Karajan, Carlo Maria Giulini et Leonard Bernstein. Elle écrit sans emphase : "J'ai eu la chance de travailler avec les plus grands chefs d'orchestre de mon temps. J'en ai conclu qu'il faut trente ans pour qu'un jeune musicien brillant et talentueux devienne un grand chef d’orchestre. C'est le temps nécessaire pour acquérir une connaissance profonde du répertoire (…) et pour développer le degré d'humanité qui permet de mériter le titre de Maestro." Et de conclure que, dans toute chose, un délai quasi organique est nécessaire pour atteindre le meilleur. Herbert von Karajan est dépeint comme un sculpteur et un coloriste. La cantatrice noue avec lui une relation musicale intense qui s'achèvera comme elle avait commencé, avec le Requiem allemand de Brahms et la Neuvième symphonie de Beethoven. La chanteuse raconte combien "il avait une façon unique de porter la voix sur un coussin de sons qu'il faisait naître de l’orchestre. Parmi les plus grands noms de l’orchestre, il y a très peu de chefs qui comprennent la respiration et savent accompagner le chant. Quand je chantais avec Karajan, j'avais le sentiment qu'il me réservait un espace de liberté et de flexibilité dans le phrasé." A ses côtés la soprane prend une vraie leçon de musique : la respiration n'est pas seulement une contrainte technique, elle fait partie de l'expression musicale. Karajan l'encourage à avoir confiance en ses capacités et à égaler sa rigueur, à rechercher le son le plus vrai. Au lieu de chercher en lui le professeur perdu en Jennie Tourel, Barbara Hendricks s'inspire de cette rencontre pour gagner en responsabilité artistique et musicale.

Barbara Hendricks, Ma Voie, mémoires, Les Arènes, soprano, partition, leçon, musique, humanisme, Arkansas, réfugiés, HCR, Mozart, Sarajevo, biographie, parcours, portrait, autobiographie, écritureMais c'est en Carlo Maria Giulini qu'elle trouve un modèle de perfectionnisme. Elle le décrit comme "grand, silhouette fine, maintien noble, il incarnait le seigneur italien dans toute sa splendeur". Héritier direct des grands chefs d'orchestre italiens du XXème siècle, il dirige à la Scala les triomphes de Maria Callas. Giulini prépare chaque oeuvre pendant des mois "et tant qu'il n'avait pas l'impression qu'elle faisait partie de lui, il refusait de jouer devant le public". En 1967, après une représentation du Don Giovanni de Mozart qui se passe mal, le chef d'orchestre renonce à l'opéra. En 1982, pourtant, le directeur de l'orchestre philarmonique de Los Angeles réussit à le convaincre de diriger Falstaff, l'ultime opéra de Verdi. Barbara Hendricks est retenue pour le personnage de Nanetta. Cette production marque aussi le retour sur scène de la chanteuse après la naissance de son premier enfant. Rétrospectivement, la soprane réalise qu'elle partage avec le Maestro les mêmes exigences de fidélité à la partition : "Je ne pouvais pas deviner qu'un jour, comme lui, j'en viendrais à refuser des productions qui ne me permettaient pas de répéter suffisamment avec tous les chanteurs de la distribution." Loyal et dévoué, Giulini est dépeint comme un homme majestueux dont l'autorité semble venir d'un autre monde. Avec lui, la musique prend une dimension spirituelle que la chanteuse ne retrouve auprès d'aucun autre.

Quant à Leonard Bernstein, Barbara Hendricks le qualifie d'homme de la Renaissance. La chanteuse admire sa passion pour l'étude et son désir de partager ses connaissances avec les autres. "Il était fait pour enseigner", confirme-t-elle. En janvier 1984 il l'engage pour la 2ème symphonie de Gustave Mahler, dite La Résurrection. L'année suivante, Lenny, comme l'auteure peut se permettre de l'appeler, l'invite à chanter pour son "Voyage de la Paix" à l'occasion du quarantième anniversaire de l'attaque atomique d'Hiroshima. Tous deux entament alors une tournée de concerts qui les mènera à Athènes, Hiroshima, Budapest, puis Vienne. Fascinée, Hendricks constate alors à quel point Bernstein se rend accessible. Pianiste, compositeur et chef d'orchestre au plus niveau, il s'avère être également passionné de sciences, d'histoire et de philosophie. Un encyclopédiste, en somme, qui a la réputation d'être exubérant mais qui envoûte l'orchestre. La soprane travaille avec cet artiste engagé jusqu'à sa mort en 1990. Avec un regard clairvoyant, elle conclue que cet homme, dont l'attitude fut souvent mal comprise, est parvenu à faire de la musique classique une institution culturelle à vocation politique mais surtout thérapeutique.

Do. Fidèle en tout et toujours à sa quête de vérité, l'artiste s'est imposé un devoir de séparation avec Martin Engström lorsqu'elle réalise que son couple ne s'épanouit plus. "Ma décision d'affronter le divorce et de briser l'unité de ma famille fut l'épreuve la plus difficile et la plus pénible que j'ai eue à vivre." Mais cette rupture lui offre l'espace d'une autre rencontre décisive, avec son second mari, Ulf Englund. Elle parle alors d'un "inépuisable tête-à-tête" qui dure depuis quinze ans avec un homme qui est aussi devenu son meilleur partenaire artistique.

Barbara Hendricks, Ma Voie, mémoires, Les Arènes, soprano, partition, leçon, musique, humanisme, Arkansas, réfugiés, HCR, Mozart, Sarajevo, biographie, parcours, portrait, autobiographie, écritureL'humaniste est réaliste. Barbara Hendricks accepte l'idée qu'elle ne sera peut-être plus là pour voir les fruits de son activité en faveur des droits de l'Homme. Mais à l'heure de ces mémoires, rien en elle ne s'est essoufflé. Sa voix continue de gagner les ondes dans le respect d'une devise empruntée à Maxime Gorki - "Ma vie a pour leitmotiv la lutte contre les faux scintillements qui éclipsent la vraie lumière, contre la complexité qui tue la simplicité, contre les apparences vulgaires qui diminuent la vraie grandeur." Et cette certitude qui reste, que la musique sait rendre l'homme à l'humilité qui convient devant la vie, que les sensations qu'elle procure le ramènent à la source commune de l'humanité. "Je crois profondément que de cette même source a jailli la Déclaration universelle des droits humains", confie une grande voix, dans un écho qui reste.
 
Marion Genaivre
Le 23/02/11

Ma Voie, Mémoires,
Barbara Hendricks
Les Arènes, Paris, 2010



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