L`Intermède
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COMME IL Y A CINQ ANS, déjà, la "star" de la rentrée littéraire est un livre politique. Après L'aube le soir ou la nuit de Yasmina Reza, sur les coulisses de l'élection de Nicolas Sarkozy, c'est cette fois Laurent Binet, et son Rien ne se passe comme prévu, qui a eu l'honneur de se faufiler dans l'ombre de François Hollande. Lecture comparée.
ENTOURÉ DE MICHEL DENISOT et Jean-Michel Apathie, Jean-Luc Mélenchon, visiblement détendu ce soir-là, réagit à l'actualité de ce 27 août 2012. Le leader du front de gauche aimerait aller sur Mars, "la planète rouge !", s’oppose farouchement aux déclarations de Montebourg sur le nucléaire et déclare, au sujet des expulsions récentes de Roms, que Manuel Valls et Claude Guéant, "c'est la même chose". C'est alors qu'il apparaît. Il faut avoir l'œil pour le repérer, alors qu'à une heure de si grande écoute l'image n'a pas pour habitude de s'immobiliser très longtemps. Là, sagement posé aux côtés de la présentatrice Daphné Bürki. Alors que Jean-Luc Mélenchon se rappelle au bon souvenir de Jean-Michel Apathie, Rien ne se passe comme prévu, de Laurent Binet, et sa couverture illustrée par Stéphane Lagoutte, est arrivé avant son auteur, encore dans les starting-blocks. Cinq ans plus tôt, le 24 août 2007, lors de la traditionnelle rentrée littéraire, un autre roman faisait déjà l’évènement : en suivant la campagne de Nicolas Sarkozy, de sa déclaration de candidature jusqu'à son avènement, l’écrivain et dramaturge Yasmina Reza avait remis sur le devant de la scène un genre littéraire bien connu : le livre de campagne.


Découpe

laurent binet, binet, françois hollande, hollande, rien ne se passe comme prévu, prévu, grasset, livre, critique, analyse, campagne, yasmina reza, reza, sarkozy, nicolas sarkozy, aube, soir, nuitL'INTERVIEW DE BINET, sur le plateau du Grand Journal, suit exactement le même cours que celle de Reza réalisée cinq jours plus tôt par Bruno Duvic sur les ondes de France Inter. Laurent Binet, auteur de HHhH, petit évènement littéraire de l'année 2010, salué par le prix Goncourt du premier roman, ce "beau gosse agrégé de lettres" selon la formule désormais célèbre de Valérie Trierweiler, ne sait pas vraiment qui est François Hollande, puisque c'est la question que tous les journalistes s'acharnent à lui poser depuis plusieurs semaines et le début de son marathon promotionnel, organisé par les éditions Grasset. Si l'on en croit son auteur, Rien ne se passe comme prévu n'est pas un portrait, mais bien un récit, celui d'un monde, rivalisant souvent avec le théâtre burlesque, où "tout est plus compliqué qu'il en a l'air", où ses personnages sont "en composition permanente".

PUBLIÉE AUX ÉDITIONS FLAMMARION, la couverture du livre de Yasmina Reza, L'Aube le soir ou la nuit, ne laisse rien deviner, que ce soit dans sa première version ou celle de poche, sortie deux ans plus tard. Il y a là le nom de l'auteur, le titre, le nom de l'éditeur mais nulle part n'apparaît le nom de Nicolas Sarkozy, le seul et unique sujet du livre, le véritable argument commercial de cette œuvre - et unique projet littéraire. Dans le roman lui-même, Yasmina Reza tarde à nommer l'ancien Président de la République : c'est d'abord "il" pendant une petite dizaine de pages. Puis son prénom. Et enfin, après vingt-trois pages d'un suspens qui ne veut tromper personne, son nom est écrit. Laurent Binet, lui, ne s'embarrasse pas. François Hollande est nommé dès la première page. Mieux : son visage, découpé, retouché, apparaît sur la couverture, entre le titre et le nom de l'auteur. Annoncé comme l'un des évènements majeurs de cette rentrée littéraire 2012, le livre de Laurent Binet en a en tout cas les apprêts.

DANS LES DEUX CAS, tous les journalistes semblent d'accord pour reconnaître leur position privilégiée et délicate, tant d'écrivain à écrivain officiel il semble parfois n'y avoir qu'un pas. Si ces deux ouvrages, qui ont hérité du même sujet, dans un contexte politique assez proche, permettent de mesurer à quel point l'élection présidentielle en France est une élection codifiée, scénarisée, elle permet aussi et surtout de mesurer les différences fondamentales dans le travail et l'approche du pouvoir pour ces deux écrivains.


Accords

L'ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE, en France, passionne les foules. Cette année, peut-être encore plus que les autres, des primaires socialistes à la victoire de François Hollande, chaque geste, chaque mot, chaque mouvement a été décortiqué d'abord sur Internet, puis à la télévision et enfin dans la presse écrite. Les livres de Binet et Yasmina Reza, en plus de laisser une trace dans le temps, semblent mettre un point final à ce large mouvement médiatique, fermer un chapitre important de l'histoire d'un homme et d'un pays - puisqu'il ne s'agit que d'hommes pour l'instant. Dans les deux ouvrages, il est curieux de constater à quel laurent binet, binet, françois hollande, hollande, rien ne se passe comme prévu, prévu, grasset, livre, critique, analyse, campagne, yasmina reza, reza, sarkozy, nicolas sarkozy, aube, soir, nuitpoint l'histoire semble écrite, plus ou moins, de la même façon. La situation initiale est exactement la même : François Hollande reçoit Laurent Binet dans son bureau de l'Assemblée Nationale, Nicolas Sarkozy accueille Yasmine Reza dans celui de la place Beauvau. La fin est déjà connue : ce sera l'Elysée. Le 22 janvier 2012, au Bourget, François Hollande répond au discours de Nicolas Sarkozy, prononcé cinq ans plus tôt à la porte de Versailles. Les titres, le lendemain, dans la presse, sont les mêmes : "Décollage au Bourget", "Examen réussi", "Tournant de la campagne ?", "Sarkozy a-t-il perdu ?" Le story-telling fonctionne déjà à pleine caisse.

A BIEN DES ÉGARDS, la présidentielle ressemble au Tour de France. Ses cols, ses incontournables, les gens amassés au bord de la route. La foule. "Où il est absolument impossible de l'apercevoir, et où les bêtes sorties, n'ont aucun présence […] je ne retiens rien. Comment écrire la forteresse ambulante, le toit dansant des perches noires qui épousent le moindre de ses pas ? Depuis le début de ses pages, je n'y suis pas parvenue", écrit Yasmina Reza dans L'aube le soir ou la nuit. Cinq ans plus tard, Laurent Binet semble lui répondre : "Je n'avais jamais songé qu'en terme de notoriété et d'exposition médiatique, les politiques rivalisent avec les acteurs et les chanteurs et les surpassent parfois […] Donc l'étrange comète aperçue à la Rochelle, composée d'un noyau (Hollande) et d'une chevelure (la meute des journalistes, avec leurs perches, leurs caméras et leurs micros) se referme instantanément à mon arrivée, encore plus dense, encore plus agitée, avec un service d’ordre plus nombreux et plus nerveux." Ces chocs du temps permettent aussi, parfois, de mieux situer les hommes : au salon du Livre, en 2012, François Hollande déjeune à une belle tablée : Emmanuel Carrère, Daniel Pennac, Alexis Jenni, Enki Bilal et Eric Reinhardt. En 2007, "parce qu'un type qui vend à des millions d’exemplaires, ça l'intéresse", Nicolas Sarkozy prend le thé avec… Marc Lévy.

IL Y A AUSSI le premier tour, la même joie tenace, les petits fours, le champagne, la même mesquinerie, toutes ces mains serrées, la répétition du débat (Xavier Bertrand épatant en Ségolène Royal, Manuel Valls imitant à la perfection Nicolas Sarkozy), la dilution progressive de l'homme dans la fonction, la déshumanisation du candidat. Yasmina Reza, comme Laurent Binet, semblent se rejoindre sur ce point-là : "Tout le monde le commente. Il appartient à tout le monde", écrit la première. "Hollande, c'est l’Etat-providence ! C’est celui qu’on appelle 'le monsieur' au guichet, le monsieur de la poste, le monsieur de la sécu, le monsieur de la préfecture… c'est le mec derrière l’hygiaphone. Complètement désincarné. La seule qui l'humanise, c’est Valérie. Avec elle, il est encore humain mais sinon c'est juste une machine." Le second ne dit pas mieux.


Dissonances

POUR L'ÉCRITURE de Rien ne se passe comme prévu, Laurent Binet a privilégié la forme d'un journal de bord, très classique, très moderne aussi. La date est indiquée en amont de chaque paragraphe développé, ce qui permet de se repérer très facilement dans la chronologie du roman. Le territoire littéraire de L'aube le soir ou la nuit, s'il respecte lui aussi l'agenda présidentiel, est bien moins balisé et liant : aucune transition d'un paragraphe à l'autre, les phrases ne reprennent jamais leur souffle, le sujet est souvent emmêlé et l'écriture semble finalement adopter le rythme infernal imprimé par Nicolas Sarkozy, omnicandidat. "Il a vu chez lui, sur sa nouvelle télévision, Le silence des agneaux, il a trouvé le film formidable et aussi Jodie Foster, il dit plusieurs fois que Jodie Foster est formidable, formidable aussi l'écran large, il dit qu'il n'avait jamais eu envie de voir Le silence des agneaux mais que finalement il n'a pas trouvé le film trop angoissant, il dit qu'ils ont mis le petit au lit et regardé le film avec Cécilia et Jeanne-Marie, il dit, Anthony Hopkins est formidable aussi, il dit qu'il n’a jamais eu de maison secondaire mais que maintenant il aimerait bien en avoir une, donner des racines aux enfants, un petit cheval pour Louis, des chiens, une moto, il commente l’Equipe avec les journalistes invités à bord, les dernières nouvelles de l’OM, il dit, Santoro il est toujours dans le coup, il est tellement habitué à être celui qui parle et celui qu'on écoute, il a le droit d'exposer sa vie ordinaire sans être interrompu, sans que personne ne manifeste d'ennui, ça ne lui vient plus à l'idée que son ordinaire est aussi ordinaire que celui d'un homme courant", est un exemple parmi tant d’autres.

LE CANDIDAT n'est donc pas seulement au cœur du récit de Yasmina Reza, il est également au cœur de son écriture ; il la tord et la décompose. Là réside d'ailleurs certainement la différence la plus fondamentale entre les deux projets, entre les deux hommes politiques aussi : le lien que tisse Yasmina Reza avec son sujet, que ce dernier lui permet de tisser, semble bien plus important, bien plus intime, bien plus troublant que celui que se montre incapable de développer Laurent Binet avec François Hollande ; ou que François Hollande ne lui permet pas de faire naître. La littérature sépare davantage encore ces deux personnalités politiques. Contrairement à Nicolas Sarkozy, François Hollande ne donne rien à son auteur, ou si peu. Le chapeau de la critique du journal Le Monde, "Binet-Hollande rendez-vous manqué", ne pouvait, à cet égard, pas être mieux trouvé. Alors que les échanges entre Yasmine Reza et Nicolas Sarkozy semblent nombreux, les minuscules tête à tête entre François Hollande et Laurent Binet sont d'une banalité affligeante. Comme le livre Malek Boutih, président de SOS racisme entre 1999 et 2003, dans le livre de Binet, "essayer d'approcher Hollande, c'est un cauchemar. Hollande, il livre rien, il fait pas de confidences, et il se laisse pas approcher".

Voilà certainement pourquoi Rien ne se passe comme prévu s'apparente davantage à un récit qu'à un portrait. Voilà certainement aussi pourquoi les personnages secondaires (aujourd'hui tous au gouvernement) représentent une part aussi importante de cet ouvrage alors que Juppé ou Raffarin n'existent presque pas dans celui de Yasmina Reza. Seul Claude Guéant, la plume de l’ancien président, arrive à peine à sortir la tête de l'eau dans l'univers romanesque de la dramaturge. Contrairement à Nicolas Sarkozy, François Hollande n’a pas accepté de prendre la pose. La proximité de Yasmina Reza n'empêche d'ailleurs pas l'auteur d'être parfois cruel avec son sujet, tant l'image de l'enfant lui saute souvent aux yeux en l'observant lui : "Il est vraiment le garçon qui a piqué la loge de Johnny, et qui n'en revient pas / Il rit. C'est un rire sans sujet particulier, un rire de contentement creux comme peut l'avoir un enfant."


R. A.
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À Lyon, le 12/09/12

L'Aube le soir ou la nuit
Yasmina Reza
Sortie le 28 août 2007
Editions Flammarion

Rien ne se passe comme prévu
Laurent Binet
Sortie le 22 août 2012
Editions Grasset

 



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