Mauro Lanza,
le chimiste des sons
Compositeur de 34 ans, l'Italien Mauro Lanza n'en est pas à sa première création dans le domaine de l'électroacoustique. Avec une vingtaine de pièces à son actif, cet assembleur de sons de haute volée aime combiner, superposer, retrancher, à la recherche d'une écriture toujours plus fluide.
On franchit la porte de son appartement. Tout respire le propre. Tout est bien ordonné. "
J’ai fini hier ma pièce créée pour la Biennale de Venise", nous glisse-t-il en préparant le café.
I funerali dell’anarchico Acciarito (1) a, depuis, été jouée le 3 octobre 2009 au Teatro alle Teese, temps d'un bref retour au pays pour ce Vénitien, devenu Parisien qui part pour plusieurs mois à Stuttgart. Compositeur très sollicité, il planifie toujours son emploi du temps un ou deux ans à l'avance. Avant de quitter le sol français, attablé tranquillement et entouré de partitions, Mauro Lanza nous embarque dans son labyrinthe sonore et technique.
Ses compositions sont souvent purement instrumentales - surtout à ses débuts ainsi que pour sa toute dernière création -, mais elles sont également le fruit d’un savant enchevêtrement entre acoustique et électronique. Ce mélange n’est pas dû au hasard. Dans les années 1980, il avait déjà pris goût à l’intégration d’effets à la limite de l’usage classique auprès de Salvatore Sciarrino et de l’ensemble Laboratorio Novamusica où il s’amusait à jouer du piano préparé (2). Dans ses premières compositions, il cherchait déjà à obtenir des sons inouïs avec ce qu’il appelle des instruments d’enfant de type sifflets sans-gênes et autres ustensiles de farces et attrapes. "
Devoir travailler avec des objets à possibilité réduite, oblige à penser d’une autre façon, explique-t-il
. On s’éloigne d’une pensée définie par les notes, la hauteur et la durée. Avec de tels instruments, les paramètres ne sont plus dissociables. On ne peut pas à la fois jouer une note et jouer piano, car en jouant plus fort, la note sera différente. C’est ce que j’appelle une pensée à objets sonores, sans dissociation possible."
L’informatique n’est venu que dans un second temps, en 1998 avec l’Ircam. Toujours attiré par les nouvelles sonorités, véritable créateur de son, il a souvent composé la partie électronique de ses pièces avec la synthèse par modèle physique. Désignation d’initié, la définition est pourtant simple : à partir d’un logiciel, des instruments inédits sont créés. Selon Mauro Lanza, "
la synthèse par modèle physique ne se présente pas comme de l’électronique pur, elle est à la frontière entre le monde acoustique et l’électronique, car l’approche est la même que si l’on prenait une chaise, que l’on commençait à scier une jambe et que l’on essayait d’obtenir telle ou telle note. Je suis confronté aux mêmes problèmes que dans le monde physique, mais les possibilités sont étendues avec le logiciel. Il m’est arrivé de faire du bidouillage impossible pour obtenir la note que je voulais obtenir !"
On s’étonne aussitôt qu’il puisse, avant même de créer un son, avoir en tête sa sonorité. Il rétorque, esquissant un sourire : "
Je n’ai rien dans la tête ! Ce n’est que du travail, je ne suis pas quelqu’un qui serait inspiré par une muse. J’ai en tête des choses abstraites comme des mouvements ou des processus. Travaillant beaucoup avec l’informatique, j’ai une approche assez rationnelle. Parfois, j’ai davantage l’idée d’une technique qui m’obtiendrait tel effet que l’effet lui-même !"
Les logiciels développés par l’Ircam, comme Modalys pour la synthèse par modèle physique, n’ont plus de secrets pour lui. Bien que la complexité des enchaînements soit difficile à gérer et que "
créer une cathédrale soit compliqué" sur ces structures très ouvertes, Mauro Lanza, en inventeur de langages, a trouvé une solution. Depuis dix ans, il a travaillé à la création d'un code informatique qui génère des données pour une interface directement en lien avec le logiciel.
Mauro est un touche-à-tout, un bricoleur. Aucun son ne lui est désagréable et chaque son l’inspire. Récemment, en juin 2009, il réalise sa première pièce entièrement électronique pour le film
Häxan, la sorcellerie à travers les âges (3). Un autre processus de création est alors utilisé, l’échantillonnage : "
Ce sont des sons issus d’une base de données, c’est-à-dire, enregistrés à droite et à gauche. À partir de cet échantillonnage, une synthèse, employons le terme même s’il n’est pas tout à fait exact, dite concaténative ou par concaténation de segments, est créée. Elle permet d’analyser, de couper en morceaux, de pêcher dans la base de données pour construire des séquences." Le regard pétille.
Retrousser les manches, avoir quelque chose à dire. Mauro Lanza aime les sons chaotiques, inquiétants et préfère la clarté du message à un entre-deux sonore. La musique spectrale, liée à Gérard Grisey, demeure sa référence. "
Je vais utiliser une forme toujours très procédurale qui passe du point A au point B. Tu commences par un chien, il se transforme et devient oiseau." Magicien des sons? Rien n’est moins sûr.
Ce soir, il se rendra à un concert d’un ami compositeur. Avant de partir, Mauro nous propose du chocolat pour accompagner le café, mais pas n’importe lequel, du presque pur, cacao 99%. Le goût est fort en bouche. L’indifférence n’est pas de mise.
Biographie
1975 Naissance à Venise.
1994 Entre à l’Université Ca’ Fosacari pour suivre des cours d’écriture et de musicologie.
1996 Obtient le premier prix au concours international de composition "Valentino Bucchi" (Roma).
1998 Sélectionné par le Comité de Lecture de l’Ensemble intercontemporain et de l’Ircam.
2004 Professeur invité à l’Université McGill de Montréal.
2009-2010 En résidence à la
Akademie Scloss Solitude de Stuttgart.
(1) Cette pièce vient après
I funerali dell’anarchico Passannante (2005-2006) et constitue la seconde partie d’une trilogie sur les trois anarchistes ayant attenté à la vie du roi Humbert 1er (1844-1900).
(2) Instrument exploité pour la première fois par John Cage. Il s’agit d’un piano sur les cordes duquel ont été placés des objets divers (clous, vis, morceaux de gomme) qui altèrent le son et en se déplaçant produisent des effets sonores imprévisibles.
(3) Pièce créée en collaboration avec Olivier Pasquet et présentée à l’auditorium du Louvre dans le cadre du festival Agora.
Crédits et légendes photos
Vignette sur la page d'accueil : Mauro Lanza par Penelope Bortoluzzi