Tous les chemins mènent à l'arôme
divers : afin de capturer les molécules odorifères des végétaux, on utilise des cires qui permettent la création d'onguents parfumés, tandis que l'encens, l'ambre et les bois sont brûlés. L'apparition à la fin du Moyen-Âge de la distillation à l'alambic, rapportée des contrées orientales avec de nombreuses épices et fleurs nouvelles, permet de fixer les essences sur un solvant alcoolisé, ouvrant la voie aux parfums liquides à conservation longue. Pour se prémunir contre la Grande Peste, qui fauche un tiers de la population européenne au XIVe siècle, et contre les diverses épidémies qui la suivent, le Collège Royal de Médecine de Paris recommande ainsi l'usage d'eaux aromatiques, dont l' "Eau de la Reine de Hongrie", une essence de romarin fixée sur de l'esprit de vin qui est l'une des premières créations à l'alcool. Peu à peu, la pratique se professionnalise, en réponse à l'engouement de la noblesse et de la bourgeoisie aisée pour ces inventions odorantes dont on nourrit les peaux, les intérieurs, les vêtements et les gants.
Habit Rouge et Shalimar de Guerlain (1921 et 1965), Eau Sauvage de Dior (1966) ou Opium d'Yves Saint-Laurent (1977). A partir de 1980, cependant, deux phénomènes changent la donne : d'un côté l'essor du marketing, de l'autre le rachat des établissements de création par des grand groupes comme L'Oréal, Unilever ou LVMH qui initient une production de masse.
requêtes, au point d'aller contre ses convictions esthétiques." Les campagnes publicitaires massives utilisant des stars comme Diane Kruger (Beauty, Calvin Klein) et Uma Thurman (Ange ou Démon, Givenchy), augmentent les ventes autour des thèmes invariables de la beauté, de la richesse et de la fausse innocence - ou de la virilité joliment mal rasée pour ces messieurs. Au détriment, souvent, du facteur poétique.
dans un jardin à la terre humide. L'Artisan Parfumeur explore des terres lointaines : de l'oriental Al Oudh, qui porte le nom d'un bois précieux, aux Caraïbes de Vanille Absolument, un enivrant cha-cha-cha de rhum et de tabac doux sur un lit de vanille et d'amandes. Pour accoucher de son dernier-né, Traversée du Bosphore, le nez Bertrand Duchaufour a pris le temps de s'immerger plusieurs semaines dans l'ambiance d'Istanbul, du port aux marchés, des mosquées aux champs de tulipes. L'aboutissement de ce voyage est une fragrance animale, sucrée, fruitée, qui surprend par la légère mauvaise odeur qu'elle dégage aux premières giclées. Le cuir des tanneries impose sa sueur vanillée. Ce n'est qu'au fil de la journée qu'elle s'estompe pour laisser s'exprimer les notes de loukoums, de thé, de fleurs et d'épices enveloppées d'une légère brise marine.
peu de temps. La note de coeur livre l'identité du parfum : on y trouve des fleurs (rose, jasmin, iris, muguet, lavande…) ou des épices (badiane, cardamome, poivre, clou de girofle, anis…). Puis la note de fond - de bois, de vanille, de résines (ambre) ou de notes animales (musc, civette, ambre gris) - confère au résultat son poids et son assise dans le temps. Les matières premières de synthèse trouvent toutefois leur place dans cette gamme, à laquelle elles apportent des reliefs ou des impressions non disponibles dans la nature. Selon Maurice Maurin, la très grande majorité des mélanges aboutissent à des cacophonies ou les notes odorantes s'étouffent. En de rares cas seulement se subliment-elles mutuellement pour aboutir à un grand parfum.
L'un des traits marquants de cette parfumerie rêvée tient à la place qu'elle accorde à la saleté. Le nez occidental contemporain s’est accoutumé aux nettoyants domestiques, qui sentent le propre et l'air frais. Des succès comme CKone, une cologne rajeunie, sont dénués de toute trace de décadence. Le castoréum - une sécrétion de castor qui fleure les excréments à l'état pur, mais confère à très petite dose une douceur animale de fourrure au parfum - ne s'utilise plus que rarement. "Aujourd'hui, on rejette les mauvaises odeurs d'origine rurale, explique Brigitte Bourny-Romagné, auteure de Des Epices au Parfum. Les tests consommateurs favorisent une aseptisation de la parfumerie, et cela crée une norme du propre dont on ne sort plus." La fragrance finit par se confondre avec le désodorisant d'intérieur, en même temps que le parfum, jadis un objet de luxe et de désir, devient produit de consommation dont on change souvent. "Les gens vont d'un flacon à l'autre et aspergent dix touches pour les jeter n'importe où ensuite, regrette une vendeuse dans une grande chaîne de distribution. Ils ne prennent pas le temps de savourer les accords ni d'apprécier les compositions." Ne s'échappent alors du flacon que des "pschitt"… Ni souvenirs, ni personnalité. Nul voyage à Cythère, nulle soirée de rêve.