
Music Awards - un échec cinglant, tant la chanteuse peine à exécuter le moindre pas de danse - et la promotion de l'album s'arrête quasi net. Quelque trois millions de copies de Blackout se seraient écoulées dans le monde. C'est le plus faible score pour l'artiste qui aura vendu, entre 2000 et 2010, 100 millions d'albums, faisant de celle dont le New York Daily News a dit : " si une poupée gonflable pouvait chanter, voilà sans doute le son qu'elle produirait", la chanteuse la plus vendue de la décennie.
aujourd'hui une forme débridée de sexualité qui ne souffrirait aucun complexe, aucune retenue. L'orgie collective en sueurs du clip "I'm A Slave For You" en 2001 a, en ce sens, marqué un tournant dans une carrière musicale dont les textes et les clips tournent désormais autour de deux idées centrales : danser et / ou faire l'amour - et, si possible, en même temps. Le geste dansé emprunte à l'érotique, et les chorégraphies de la scène et de l'intimité s'entremêlent jusqu'à ce que dans sa dernière tournée, le Circus tour, elle s'allonge sur une banquette et se carresse les yeux bandés, ou qu'elle simule un coït avec un danseur lors de son Onyx Hotel Tour sur "Breathe On Me".
CETTE CHARGE ÉROTIQUE dans la voix de Britney Spears ne tient pas tant à sa tessiture qu'à sa façon de respirer et de débiter les paroles de ses chansons. Chaque inspiration et expiration porte une lascivité patente, elle use et abuse des feulements et gémissements, et bon nombre de productions jouent sur sa diction ciselée. Si elle n'a aucune puissance vocale, Britney Spears possède dans sa façon même de prononcer, faite d'accélérations et de ralentis, une capacité à donner du relief aux paroles les plus plates. Max Martin et Dr. Luke, paradoxalement, n'utilisent que peu cet atout dans Femme fatale - seuls "Gasoline" et "Selfish", savoureux compromis entre la pop des débuts de la chanteuse et sa tendance actuelle à l'esbrouffe électrodance, tirent leur épingle du jeu : voir comment elle malaxe "be a little selfish" ou "you're setting me on fire" -, cet atout qui donne pourtant toutes leurs couleurs aux titres "Me Against The Music", "Freakshow" ou encore "Get Naked (I Got A Plan)". Si Britney Spears a un savoir-faire, c'est celui de placer sa voix le plus précisément possible sur la musique, au millième de seconde près, jusqu'à donner l'impression que c'est elle qui guide le morceau plus que la partition qui lui dicterait le rythme. C'est peut-être ce qui explique la tendance croissante, depuis trois albums, à ce que son chant ait cédé la place à une forme de son trafiqué qui n'a plus rien de naturel, autotuné jusqu'à la lie, qui change du tout au tout d'un morceau à l'autre - il n'y a pas deux chansons, sur Femme fatale, où Britney Spears a la même voix. Celle-ci devient un instrument parmi les instruments, une vibration sonore qu'il faut moduler pour obtenir les harmonies voulues, qui se fond et se confond dans un déluge de réverbérations et voice coder, ne disparaissant jamais tout à fait mais malmenée à l'envie.
que c'est bien elle qui chante, et pas une autre ? Si la voix est l'expression du sujet, alors que reste-t-il de Britney Spears ? Une image. Ou une ombre, plus exactement. Celle d'une femme qui, à la veille de ses 30 ans, n'exprime plus rien que son absence. Pendant que les autres divas de la pop commerciale actuelle saturent le petit écran - Rihanna, Lady GaGa et Katy Perry en tête - Britney Spears ne donne que deux interviews à la presse écrite, prévoit trois prestations dans des émissions télévisées, annonce une tournée du bout des lèvres. Signe que l'état de santé de la chanteuse n'est pas bon, ou stratégie marketing ? Si c'est la rareté qui dicte le prix, alors les apparitions de Britney Spears deviennent, chacune, un événement en soi. On annonce l'arrivée du clip de "Hold It Against Me", son nouveau single, pendant deux semaines avec la diffusion de quatorze extraits quotidiens de six à dix secondes chacun, qui ne montrent rien et ne servent qu'à faire monter le désir, comme des préliminaires. Avec Britney Spears, il y a la promesse permanente de quelque chose qui va advenir, d'un spectaculaire qu'on va bientôt toucher du bout des doigts. Le tour de force consistant à, systématiquement, décevoir les attentes tout en les suscitant à nouveau le tour d'après. On nous promettait une chorégraphie de haut niveau dans "Hold It Against Me" ? Britney Spears bouge à peine les bras. On nous assure qu'elle a retrouvé sa forme physique ? Sa première prestation live, le 25 mars à Las Vegas pour un mini-concert surprise, montre que la chanteuse paye encore le tribut de ses excès alimentaires et médicamenteux. On nous jure que Femme Fatale est le descendant de Blackout ? La sécheresse du second a laissé place à une dance festive dans le premier qui, parce que trop sophistiquée à certains moments, perd l'aspect baroque qui a fait de Blackout l'un des opus les plus influents de ces dernières années en matière de pop.
QUOI DE MIEUX que la frustration pour nourrir l'envie ? En érigeant en système cette dialectique du désir jamais assouvi, Britney Spears se met dans une position ambiguë où la projection vers l'à-venir se fait en restant focalisé sur le passé : l'impossibilité d'envisager le futur conduit au triomphe de l'instant présent, bloqué par la mémoire. Car c'est le souvenir d'images devenues cultes qui anime l'espoir que d'autres arriveront : que ce soit pour le fétichisme des accessoires - la tenue d'écolière dans "Hit Me Baby One More Time", la combinaison rouge dans "Oops...! I Did It Again" ou celle pailletée et transparente de "Toxic" - ou pour les prestations endiablées sur scène à ses débuts, la mythologie Spears s'auto-alimente à partir de ce qui n'est plus, comme un Michael Jackson à la fin de sa vie. Un "comeback" perpétuel qui fait que chacun des nouveaux albums de Britney Spears est, depuis 2004, considéré comme un "retour" alors qu'elle n'a quasiment jamais arrêté d'être en studio ou en tournée : sept albums, 34 singles et presque autant de clips en onze ans, on a connu moins actif. C'est depuis la période sombre de 2005-2007, où ses déboires s'étalaient sur des kilomètres de couvertures de magazines, que l'impression que Britney n'est jamais tout à fait revenue domine, à la manière d'une Buffy qui, en ressuscitant, n'arrive plus à être à nouveau vivante.
troublant. "Je dois croire que je suis ici pour une raison", confesse-t-elle, en pleurs, lorsqu'on l'interroge en 2006 sur le fait qu'elle poursuive sa carrière alors qu'elle est harcelée jour et nuit par les paparazzi, au prix de sa propre santé et de celle de son entourage. C'est là l'autre paradoxe qui nourrit l'image de la chanteuse : quand GaGa intitule son premier album The Fame, Spears incarne une forme de martyr de la célébrité, crucifiée sur l'autel de la gloire. Une fille normale dans un univers paranormal ("je ne suis pas parfaite, je suis humaine", dira-t-elle au cours de la même interview), dont chaque nouvelle apparition donne l'impression que toute son énergie a pour vocation à l'aider à survivre.
plus oxymorique que "Femme Fatale" pour son nouvel album. La femme fatale est par essence une figure sanguine et forte. Britney Spears, elle, oscille entre la femme privée dont le regard triste court d'une image à l'autre - voir son dernier clip, "Hold It Against Me", où le maquillage noir renforce l'impression de mélancolie - et la Britney Spears sur scène et papier glacé, évanescente, qui ne s'appartient plus. Comme en témoigne la fin de la chanson "Shattered Glass", sur son album Circus, où elle répète huit fois "glass". A chaque nouvelle occurrence, le mot se désagrège, se casse, disparaît, pour ne plus laisser place qu'à des "oh oh" aigüs, avant que le bruit d'un verre qui se brise ne résonne. Il n'y a plus personne.
