L`Intermède
Le choix de la rédaction de L`Intermède

Black Label,
David Bobée et JoeyStarr,
Scène Nationale Carré-Colonnes,
Février 2025.



En deux mots 

En s’emparant des écrits des plus grands poètes, artistes, hommes politiques, romanciers noirs, ou figures de mouvements pour les droits civiques – comme Langston Hughes, Elemawusi Agbedjidji, James Baldwin, Gérald Bloncourt, Aimé Césaire, Léon-Gontran Damas, Souleymane Diamanka, David Diop, Éva Doumbia, George Jackson, JoeyStarr, Sundjata Keita, Kiyémis, Lisette Lombé, Marc-Alexandre Oho Bambe, Sonny Rupaire, Tracy K.Smith, Lyonel Trouillot, Malcom X, Julien Delmaire – David Bobée et JoeyStarr proposent une traversée de la littérature, de l’Histoire, l’Histoire du courage et de la colère de ceux qui luttent pour l’égalité, en une fresque de la pensée antiraciste. Black Label résulte en effet de l’envie pour les deux artistes de partager des écrits qu’ils se faisaient lire. De cet échange de textes, durant des mois, résulte une sélection d’une cinquantaine d’écrits, pour devenir une sorte de concert littéraire et chorégraphique, pour que les textes de l’antiracisme d’hier et d’aujourd’hui vibrent et résonnent jusque dans nos corps.

Black Label, loin de résider en une simple lecture de textes ou de se contenter d’effets visuels ou de performances, interroge, émeut, tout en offrant un intense moment de théâtre, convoquant chant, danse, musique et projection vidéo. Le spectacle est une immersion dans un univers où les individus sont contraints de se redéfinir, de lutter contre l’oppression. La mise en scène joue sur les contrastes, entre plateau vide et projections ponctuelles d’images multiples venant saturer par leur horreur et leur nombre le regard des spectateurs. Les éclairages vifs et incisifs créent des zones d’ombre et de lumière qui jouent avec les corps des comédiens. Chaque mouvement, chaque geste est accentué par ces variations, conférant à la scène une dimension presque cinématographique. La création de différents tableaux, organisés autour de la lecture des textes, et ponctués de danse, de musique et de chant, se déploie comme un hymne incarné à la résistance face à l’oppression de la foule muette qui s’amasse petit à petit sur scène – grâce à l’accumulation de silhouettes mutiques et immobiles disposées sur le plateau dans la dernière partie du spectacle.

Le spectacle se distingue par ailleurs par sa création musicale – qui associe musique enregistrée par Jean-Noël Françoise (compositeur qui a entre autres signé la création musicale du Dom Juan de Bobée) et musique live avec le jazzman tout droit venu de la Nouvelle Orléans Wilbur Thompson – mais surtout par sa puissance visuelle et sa capacité à fusionner le langage corporel et la parole. Puisque les interprètes incarnent des personnages en quête d'émancipation, la chorégraphie prend également une place essentielle, qu’il s’agisse des moments dansés de Nicolas Moumbounou ou de l’interprétation signée des textes par Jules Turlet. Car il ne s’agit nullement de proposer une simple traduction des textes proclamés. L’artiste sourd et chansigneur est pleinement interprète de ce qui est dit, conférant à ce qui se joue sur scène une accessibilité universelle. Par le corps, les interprètes – comédien, danseur, signeur – dévoilent ce que les mots ne peuvent exprimer, créant ainsi un langage propre à la pièce, fait de gestes et de silences, toujours éloquents, sur la souffrance et la quête d'affirmation. Dans les propositions chorégraphiques de Nicolas Moumbounou – où rien n’est réellement écrit mais ressenti dans l’instant – chaque tension musculaire devient une métaphore de l’emprisonnement ou de l’émancipation.

Dans une société où l’on tente de nous « étiqueter », David Bobée rend palpable l’effort de chacun pour exister pleinement. Le directeur du Théâtre du Nord signe ici une œuvre qui présente l’histoire d’une reconquête, celle de la dignité et de la liberté, par le biais de la littérature. Si l’œuvre est éminemment politique, elle n’en demeure pas moins esthétique. Bobée s’empare des pouvoirs du théâtre pour interroger ou du moins mettre en scène une violence à assumer, loin de vouloir culpabiliser le spectateur. Si l’on ne peut « défaire le passé, il s’agit au moins de bien faire le présent et de pouvoir marcher en responsabilité ». Ainsi, ces témoignages littéraires, déclamés, proférés, saccadés, parfois de manière obsédante, brutale, viennent rappeler les luttes intérieures des personnages incarnés, dont la parole se heurte à la violence de la société.
 

Émilie Combes 
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le 18 février 2025
 

Black Label,
David Bobée et JoeyStarr
Avec JoeyStarr, Nicolas Moumbounou, Jules Turlet, Wilbur Thompson et Noëmi Saint-Aimé
Scénographie David Bobée et Léa Jézéquel
Décor Les ateliers du Théâtre du Nord
Lumières Stéphane Babi Aubert
Son Jean-Noël Françoise
Vidéo Wojtek Doroszuk
Production Théâtre du Nord - CDN Lille Tourcoing Hauts-de-France
 
Dates de la tournée 2025 :
le 1er mars - DSN Dieppe Scène nationale (76)
le 5 mars - Maison des arts de Créteil (94)
le 11 mars - Le Carreau scène nationale, Forbach (57)
du 15 au 22 mars - Théâtre du Nord, Lille (59)
le 27 mars - Equinoxe Scène nationale, Châteauroux (36)
le 31 mars - Maison de la Culture d'Amiens (80)
le 4 avril - Théâtre de Choisy-le-Roi (94)
le 10 mai - La Vilette, Paris (75)



Crédit photos © Arnaud Bertereau


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