L`Intermède
Le choix de la rédaction de L`Intermède

Les Femmes de Barbe Bleue,
Lisa Guez et Valentine Krasnochok,

Théâtre de Belleville,
jusqu'au 29 mars 2025.



En deux mots 

Les Femmes de Barbe Bleue est une écriture collective de plateau librement inspirée du conte La Barbe Bleue de Charles Perrault, dirigée par la jeune et talentueuse metteuse en scène Lisa Guez, et mise en forme par Valentine Krasnochok. Le texte de cette réécriture originale a été publié à la Librairie Théâtrale et sélectionné au Festival Impatience en décembre 2019, où il a reçu le prix des lycéens et du jury, et la pièce se joue jusqu’à la fin du mois au Théâtre de Belleville. Elle offre une vision vive et moderne du conte, portée par la polyphonie de cinq comédiennes, explorant les mystères et les parts obscures du conte de Perrault et révélant les rapports de domination dans notre société. Les Femmes de Barbe Bleue illustre avant tout la sororité de quatre de ses femmes qui ont trépassé, ainsi que leur détermination d’une part à se libérer de l’emprise psychique de leur bourreau et de la terreur qu’il suscite, et d’autre part à aider le triomphe, par leurs récits, de la dernière encore prise au piège.
 
La pièce se caractérise par un dualisme marqué entre les présences très fortes des comédiennes, toutes munies d’une grande personnalité et d’un don évident pour la narration, et l’absence du protagoniste principal, qui tout en étant au cœur de la pièce, est détrôné de la place de sujet qu’il tient, en apparence, dans le conte intitulé La Barbe-Bleue. La mise en scène joue sur le paradoxe de celui toujours absent physiquement mais omniprésent dans les esprits, en présentant initialement une scène quasi vide, ornée de cinq chaises inoccupées. L’espace vacant est pesant pour le spectateur, qui en ressent l’étrangeté, celle-ci étant accentuée par le monologue introductif nerveux de Valentine Krasnochok, la dernière épouse en date vêtue d’une robe rouge sang. Alors que l’envie de savoir ce qui se trouve derrière la porte du petit cabinet devient de plus en plus irrépressible, le spectateur assiste à la perte de contrôle progressive face à la tentation. Soudain, l’ouverture du cabinet morbide interrompt en climax de la tension. Celle-ci provoque l’entrée brutale des quatre autres sous forme d’une danse de zombies au rythme de guitares électriques, se révélant malgré toute la bizarrerie du moment, un soulagement, une respiration, avec le passage à un espace scénique rempli et à des vêtements et un éclairage aux tons bleutés. A contrario, l’absence physique de Barbe Bleue tout au long de la pièce accentue sa présence, sa mainmise psychique, que ce soit dans le récit des comédiennes de leur tragique histoire ou surtout dans les mimes poussés à l’extrême qu’elles réalisent de lui, afin de s’en exorciser. Chaque femme revit son histoire en en faisant le récit, de l’idylle initiale jusqu’à sa mise à mort. Le mime du bourreau est d’abord réalisé par la victime elle-même puis par une de ses sœurs. Les visages à l’œil mauvais grimacent, le dos se courbe, le ventre bedonne, les mains se crispent pour étrangler. Cet adversaire redevenu visible et tangible terrorise mais incarne désormais la menace, ce qui en permet la victoire.
 
Le spectacle se distingue en outre par la mise en avant des corps de chacune des comédiennes ; en les plaçant sur le devant du plateau, il les lave de leurs souillures. D’abord, chaque femme possède un style vestimentaire propre à sa personnalité , de celui de la lycéenne férue de montagne à l’élégante employée, montrant son individualité. Ensuite, les corps sont omniprésents dans les récits, les expériences et envies sexuelles étant décrites de façon libérée, sans pudeur mais avec un candide enthousiasme. Enfin, l’aspect charnel des histoires est placé au cœur du spectacle en particulier lors d’une transe érotique de trois des comédiennes sous un slow et une lumière de night-club rose tamisée ou encore lors du dîner mise à mort de Barbe Bleue, lorsque les quatre femmes vêtues de bleu, mimant leur bourreau avachi sur sa chaise, forment un carré autour de celle vêtue de rouge. La lumière joue également un rôle dans cette mise en exergue, isolant par un large projecteur la prochaine destinée à mourir car ayant cédé à la curiosité ou aux injonctions du tortionnaire.

Et pourtant, c’est bien cette même lumière adoucie et élargie qui révèlera la libération des cinq femmes devenues triomphatrices alors qu’elles partent, ensemble et victorieuses, loin du manoir maudit et de leurs démons passés. Sur la scène de Belleville, on assiste donc à une libération collective, permise par la catharsis de l’imitation théâtrale du persécuteur et par la parole entre sœurs d’armes, qui avec humour et détermination s’entraident pour trouver de nouveaux espaces de résistance, pour vaincre le mal. Une pièce remarquable, à voir et à revoir afin d’en saisir toutes les nuances, qui interroge sur les raisons de la séduction, les pièges dont on ne peut s’enfuir, les désirs ou dénis qui poussent certaines dans les bras de prédateurs.
 

Louise de Ferran
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le 15 mars 2025
 
 
Les Femmes de Barbe Bleue
Mise en scène Lisa Guez
Dramaturgie et mise en forme Valentine Krasnochok
Collaboration artistique Sarah Doukhan
Création lumière Lila Meynard et Sarah Doukhan
Création musicale Antoine Wilson et Louis-Marie Hippolyte
Avec Valentine Bellone ou Mathilde Panis ou Juliette Dutent, Anne Knosp, Valentine Krasnochok, Nelly Latour ou Ninon Perez et Jordane Soudre

Théâtre de Belleville
16, Passage Pivert, Paris XIe
Infos et réservations : 01 48 06 72 34 ou ici
Du 5 mars au 29 mars 2025
Mercredi, Jeudi, Vendredi et Samedi à 21h15
 

Crédit photos © Simon Gosselin



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