Qui est le diable ?
Philippe Martin,
Presses Universitaires de Lyon,
Août 2024.
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En deux mots
« Le Diable est partout, sous mille formes, mille visages, mille individualités. Sa biographie est tout aussi floue. Quelle est sa date de naissance ? Son costume ? Quelles sont ses actions ? » Tel est le propos d’un ouvrage absolument passionnant paru aux Presses universitaires de Lyon l’été dernier : Qui est le Diable ? de Philippe Martin. Ce professeur des universités en histoire moderne à l’Université Lyon 2, 
spécialiste des comportements religieux et de piété des XVIe-XIXe siècles, nous livre en 150 pages une explosion fascinante de comportements les plus bigarrés vis-à-vis de cette figure haute en couleurs.
Car si « le Diable est partout » (p. 9), c’est d’abord dans la variété des sources convoquées ici, qui témoignent de l’importance de cette figure en Europe catholique et protestante (l’espace choisi pour cette étude), et de la complexité de son traitement dès lors qu’on l’aborde sous l’angle de l’évolution des mentalités. L’ouvrage bénéficie de l’immense connaissance des écrits théologiques de son auteur, articulée à la passionnante profusion d’exemples artistiques et de témoignages de celles et ceux qui ont effectivement rencontré des figures démoniaques, qu’ils aient été condamnés à mort pour cela, ou non.
Il en ressort un ensemble édifiant, détaillant la nature du Diable (chapitre 1), ce à quoi il ressemble (chapitre 2), ce qu’il fait (chapitre 3), amplifié de deux chapitres sur le motif de la tentation (chapitre 4) et enfin sur les pratiques sataniques (chapitre 5). Philippe Martin, en choisissant non pas une approche chronologique mais problématisée, permet d’engager des réflexions comparées sur les phénomènes qu’il décrit, sans jamais céder à l’explication facile d’une évolution simplifiée aux besoins pédagogiques de cette « synthèse ». Les questionnements ne sont pas schématiques, mais épousent les complexités d’une histoire des mentalités qui ne peut se faire de manière linéaire, tout en établissant quelques jalons nécessaires, cependant : les mutations de la modernité, l'emprise du médical et du psychologique, les retours de la mystique, etc.
Finalement, parler du Diable, alors, revient à aborder de très nombreuses problématiques transversales : « voir Satan, c’est lire les mentalités, les peurs et les fantasmes de toutes les époques. Parler du Diable n’est pas une lubie, c’est une des pièces du paysage intellectuel. Ceux qui y croient ne recyclent pas des poncifs, ils n’accumulent pas les naïvetés. Ils s’inscrivent dans les débats scientifiques ou philosophiques de leur temps. Traquer Satan, c’est observer la modernité à chaque période, le rapport au corps, l’émergence de l’inconscient… C’est personnifier le Mal, l’expliquer, le jauger, essayer d’enrayer sa progression. » (p. 12) À cet égard, une mention particulière peut être faite sur la dizaine de pages consacrée aux phénomènes de possession par les forces diaboliques, et sur l’évolution que ceux-ci présentent, entre la période de l’Inquisition et celle de l’emprise du médical (que Michel Foucault a si bien décrite) (p. 82-89). On notera également l’ouverture originale et bienvenue du sous-chapitre sur la convocation du Diable comme insulte, et son réinvestissement dans les médias contemporains, par exemple au cours de la guerre en Ukraine (p. 91).
Finalement, Qui est le Diable ? est un ouvrage remarquablement accessible, et d’une extrême érudition, dans lequel on lit, comme une histoire, et avec souvent beaucoup d’humour, que cette figure que nous connaissons si bien se révèle être, au cours des siècles, « le miroir déformant où nous nous regardons » (p. 71). Philippe Martin réussit le pari d’une synthèse didactique là où les sources, foisonnantes, sont souvent disparates, une contextualisation extrêmement utile pour faire le point sur une notion qui se disperse dans les sources et dans les approches critiques. À lire d’une traite, tout autant que comme un précis pour affiner, ci et là, des problématiques que tout esprit curieux est amené à rencontrer sur son chemin dans sa lecture de la culture occidentale. –
Cécile Rousselet
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le 2 novembre 2024
Qui est le diable ?
Philippe Martin,
Presses Universitaires de Lyon,
Parution août 2024,
160 pages,
10,00 € © Matthias Grünewald, Le Retable d'Issenheim (1512-1516) 
