Fondé à Lyon en 1985 par Michel Laubu – et à présent co-dirigé par Emili Hufnagel – Le Turak Théâtre est une compagnie qui se nourrit d’objets détournés de leur usage initial, de langages poétiques et imaginaires. À partir d’éléments usagés, chinés, ramassés dans la rue ou sur les plages, les artistes se livrent à un travail « d’archéologie imaginaire » (Michel Laubu), font raconter une histoire à ces objets et créent des personnages insolites. Ils font sortir ces trouvailles « usées par le regard » de leur logique utilitaire pour les faire entrer dans une logique poétique où leur pouvoir d'évocation se déploie. Peu à peu se dessine devant le spectateur un étonnant univers, celui de la Turakie, pays qui ne figure sur aucune carte, mais qui peut exister dans l’imaginaire de chacun.
Depuis l’année dernière, Le Turak Théâtre sillonne la France et propose au public un spectacle poétique et populaire, plein de fantaisie, qui peut se lire sur plusieurs niveaux. Dans la continuité de leur dernier spectacle – Incertain Monsieur Tokbar – la compagnie poursuit ses questionnements sur le rapport de l’être humain aux souvenirs et à la mémoire. Comment celle-ci se retrouve-t-elle dans les objets du quotidien ? 7 sœurs de Turakie s’inscrit dans le prolongement de cette recherche : sept sœurs, venues de sept recoins du monde, se retrouvent au sein de la maison familiale en vente, menacée par une tempête, et par l’oubli. L’occasion pour cette fratrie attachante et cocasse de remettre un peu d’ordre dans leur mémoire. Le point de départ est la découverte du baby-foot de leur enfance métamorphosé en théâtre portatif pour marionnette ; et les nombreuses portes de la demeure sont autant de portes de leurs souvenirs qu’elles ouvrent et referment.
Dans cet immense « cabinet de curiosité », chaque objet usé, transfiguré, convoque une mémoire sur scène. Tout droit extraits du réel, le babyfoot, les planches à repasser, les gilets de sauvetage, les globes terrestres, sont porteurs d'une mémoire collective et personnelle. Et parce qu'ils sont reconnaissables par tout le monde, ces objets nous parlent, et parlent de nous. Alors que tout se passe sans mots, ou très peu, les objets prennent en charge la fiction par l’intention que projettent en eux les manipulateurs-acteurs. Comme souvent dans le Théâtre de marionnette aujourd’hui, c’est à vue que ces derniers manipulent les sœurs – des marionnettes portées – et l’ensemble des objets, n’hésitant pas à prendre la parole sur scène pour rompre définitivement le quatrième mur. Le Turak Théâtre affirme alors la présence des comédiens, jouant d’allers-retours entre présence et effacement, entre hybridation et manipulation.
Pour préserver leur mémoire de la fonte des glaces, les sœurs font surgir des mythes étranges. Si Michel Laubu et Emili Hufnagel sont seuls à l’écriture, ils laissent la possibilité aux comédiens d’improviser, et aux techniciens de créer, d’explorer des mythologies imaginaires. À partir de ces improvisations, les directeurs de la troupe tirent un fil rouge pour créer la structure du spectacle. La création est influencée par la mythologie égyptienne et balinaise, mais aussi par Les Trois sœurs de Tchekhov, Les Sept Samouraïs, Le Lac des Cygnes, ou encore Stravinsky et Star Wars, autant de références qui constituent un véritable creuset au sein duquel se met en place une forme de « folklore imaginaire » (Béla Bartok). Mais tout n’a pas nécessairement d’explications, et le spectateur y mettra le sens qu’il veut. Dans une succession de scènes et de moments de vie, aussi émouvants qu’amusants, le souvenir ressurgit, mais le passé, fragile, est toujours prêt à disparaître, dans un éclat de poésie. Émilie Combes
-------------------------- À Bordeaux, le 15 mars 2022
En Tournée : - 17 et 18 mars 2022, Théâtre de Roanne
- Du 30 mars au 2 avril 2022, Théâtre de Saint Quentin en Yvelines
- Du 8 au 16 avril 2022, Théâtre National Populaire, Villeurbanne
Bande d’annonce du spectacle.
Pour plus d’informations sur le Théâtre d’objet, n’hésitez pas à consulter l’article de Justine Duval, « Le Parti pris des choses », publié par L’Intermède en 2012.
Crédits photos © Raphaël Licandro / Turak Théâtre