Oskaras Koršunovas relève l’ambitieux défi de proposer une adaptation originale, juste et moderne de
La Mouette, pièce la plus jouée du dramaturge russe, et montée plus de quatre fois cette saison à Paris. Figure emblématique du théâtre lituanien, le metteur en scène – fondateur de l’Oskaro Korsunovo Teatras de Vilnius en 1998 – est un des prodiges du théâtre européen révélé en France au Festival d’Avignon avec son
Songe d’une nuit d’été ou
Visage de feu.
Cela faisait des années que Koršunovas projetait le projet de monter cette pièce, mais elle nécessitait selon lui une certaine expérience, du plateau mais aussi de la vie. Car monter Tchekhov, "
c’est faire le diagnostic des maladies de notre époque, de la goutte de notre âme, en utilisant les répliques comme des scalpels". La vie ne se contente pas de passer dans les pièces du dramaturge russe, "
elle s’ouvre aux personnages et au public avec tout le pouvoir de son amour et de son horreur existentielle".
Grâce à un théâtre d’émotion pure, reposant sur le jeu d’acteurs formés dans la grande tradition russe, Koršunovas joue avec son public, bouleverse, et insuffle une tension violente, parfois oppressante à la pièce que Tchekhov présentait en ces termes : "
Quatre actes, un paysage (vue sur un lac), beaucoup de discours sur la littérature, peu d’action, cinq tonnes d’amour". Mais un amour source de souffrance, tandis que la nécessité de la création et sa fonction salvatrice sont également mises à mal : l’instituteur aime Macha qui aime Kostia qui aime Nina qui le quittera pour Trigorine, lequel n’aime personne mais est aimé par Nina et par Arkadina, elle-même adulée par Dorn, lui-même aimé par Paulina qui se détache de Charmaïev. L’art sera le territoire sur lequel ces passions, les désillusions et les conflits se jouent. Dans
La Mouette, tous rêvent de quelque chose : Nina aspire à devenir une grande actrice, Kostia à révolutionner l’écriture théâtrale, sa mère à rester une actrice éternellement jeune et reconnue, quant à l’oncle Sorine, il aurait voulu être quelqu’un d’autre. Mais tous sombrent dans la désillusion et la perte.
La puissance du théâtre de Koršunovas – qui tient également au fait que le public français le découvre en lituanien – est d’offrir une lecture précise et intense de Tchekhov en plaçant chaque personnage dans l’attente d’un changement, dans l’attente d’irréel, tout en proposant une création théâtrale renouvelée et fondée sur "
la quête du réel, en prenant le milieu du théâtre comme prisme d’observation", où chacun se cache et se révèle à la fois, dans une tension permanente.
Crédits Photos © D. Matvejev