L`Intermède
Prise et reprise
Le cinéaste iranien Abbas Kiarostami filme en gros plan les
expressions de 108 femmes qui assistent à la projection d'un film, soit 90 minutes de face à face entre le spectateur et ces spectatrices cloisonnées par le cadre de l'image. Shirin sort le 20 janvier sur les écrans français.shirin, abbas kiarostami, cinéma, long-métrage, où est la maison de mon ami, répétition, niki karimi, juliette binoche, mahnaz afshar, khosrow et shirin, roméo et juliette

Une centaine d'actrices charismatiques qui représentent quatre générations de luttes, d'amours impossibles, de rêves en devenir ou simplement abandonnés sous le joug d'un Iran lapidaire. Kiarostami prend des risques en glissant quelques hommes dans la salle en arrière-plan, bravant la loi interdisant qu'hommes et femmes partagent un même lieu public. Il détourne aussi le voile qu'elles portent toutes par obligation et l'utilise pour surligner la pureté de leurs visages qui forment en mosaïque un seul et même portrait : celui de la femme.

Toutes réunies par la caméra du maître iranien, elles s'émerveillent devant le destin de la courageuse Shirin, les pupilles étincelantes comme deux flammes fougueuses. En creux, le spectateur suit  le film que ces femmes regardent à travers une bande-son très riche. Il s'agit de la célèbre légende perse de "Khosrow et Shirin", à laquelle le poète Nezâmi consacra son œuvre au XIIe siècle, et qui a inspiré le Roméo et Juliette de William Shakespeare. Shirin, princesse d'Arménie, tombe amoureuse du portrait gravé dans le bois de Khosrow, prince de Perse. L'un et l'autre traverseront leur royaume dans l'espoir d'être réunis. Mais si Shirin n'obéit qu'à un amour pur et sans limites, Khosrow, lui, souffre d'un mal que la légende veut masculin : le pouvoir. Éclairées par des projecteurs qui les sacralisent, les spectatrices de la salle crispent leur mâchoire, les yeux constellés de larmes, le cœur prêt à jaillir de leur poitrine, quand Shirin leur dit pour solde de toute une vie : "Mes sœurs vous êtes vous aussi comme Shirin, vous êtes seules. Vous avez de l'amour à donner, mais personne pour le prendre".

shirin, abbas kiarostami, cinéma, long-métrage, où est la maison de mon ami, répétition, niki karimi, juliette binoche, mahnaz afshar, khosrow et shirin, roméo et julietteAbbas Kiarostami a rassemblé toutes ces femmes, les plus grandes comédiennes de son pays -  Niki Karimi, Taraneh Alidousti, Golshifteh Farahani, Mahnaz Afshar, Hedye Tehrani... et, clin d'oeil au cinéma occidental, a invité Juliette Binoche dans l'assemblée -, pour alterner des gros plans de 15 secondes sur chacun de leur visage. Au-delà du simple principe de mise en abime - le spectateur regarde un film ou un spectateur regarde comme lui un film -, ce dispositif joue avant tout sur la répétition d'un même type de plan, procédé familier de l'oeuvre du cinéaste. Dans la fable Où la maison de mon ami ? (1987), le jeune Ahmad ne cessera de faire des aller-retours sur le chemin de terre qui doit le mener à Pochté ; Kiarostami filme alors ce trajet en utilisant à chaque fois la même musique et le même système de plans. Dans Le Vent nous emportera (1999), Behzad joue avec nos nerfs en hurlant sans cesse des "Allo ! Allooo !" et en prenant inlassablement sa voiture pour monter sur la montagne afin d'avoir du réseau téléphonique. Il en va de même dans chaque long métrage du réalisateur iranien, qu'il s'agisse des trajets interminables de M. Badii dans Le Goût de la cerise (1997) ou de ceux de la conductrice de Ten (2002) ou encore, plus extrême de Five (2004), où tout le long-métrage ne repose que sur ce système de répétition.

C'est grâce à ce dispositif hypnotique qu'Abbas Kiarostami finit par casser les attentes et préjugés du spectateur : il lave son regard. A force de répétitions, l'agacement préalable se mue en abandon total. Il n'y a pas à intellectualiser, mais à vivre. Par ce jeu, le cinéaste veut réapprendre à voir, tel le nouveau-né. Récemment, le film La Graine et le mulet d'Abdellatif Kechiche (2007), adoptait une posture quelque peu similaire : quand le personnage de Rym, incarné par Hafsia Herzi, effectue sa danse du ventre finale, Kechiche shirin, abbas kiarostami, cinéma, long-métrage, où est la maison de mon ami, répétition, niki karimi, juliette binoche, mahnaz afshar, khosrow et shirin, roméo et juliettemonte la scène en parallèle avec la course effrénée de Slimane, mélangeant répétitions, alternances et surtout longueur de la situation. La fin brutale et le système de répétitions casse une à une chacune des résistances du spectateur. Il en va de même dans Shirin, où les moindre traits des multitudes de visages sont magnifiés par la langueur de la caméra d'Abbas Kiarostami. Entre la jeune fille de 17 ans à la peau fraîche comme un beau fruit et la femme de 60 ans au regard marqué par les épreuves et à la bouche cernée de ridules, il n'y a qu'un infime espace : la grâce.
 

Florence Rochat
Le 15/01/10


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Avec Golshifteh Farahani, Mahnaz Afshar, Niki Karimi...
Sortie le 20 janvier 2009
1h32

Le réalisateur iranien rencontre les étudiants au Mk2 Bibliothèque pour une Master Class en 2 parties :
- 1ère partie, lundi 18 janvier de 10h à 13h:
Visionnage de Shirin et 10 on Ten
- 2ème partie, mardi 19 janvier de 10h à 13h:
Master Class d’Abbas Kiarostami

Entrée libre sur présentation de la carte étudiante, dans la limite des places disponibles.
Inscription obligatoire au 01 43 07 55 22
ou par mail : anne-charlotte.gilard@mk2.com

Crédits photos : Mk2 images

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