L`Intermède
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Synopsis tout entier contenu dans le titre et casting réduit à la portion congrue : par son minimalisme, Buried, qui sort dans les salles françaises ce 3 novembre, s'inscrit dans une lignée de films-concept dont certains sont, aujourd'hui, des leçons de cinéma. Comment tenir
quatre-vingt dix minutes de pellicule avec un seul comédien dans une boîte ? En jouant d'abord sur la claustrophobie pour, très vite, plonger dans les abîmes de peurs autrement plus anxiogènes : l'abandon, l'isolement, la solitude.

"The more we quarrel, the bigger the ocean gets and the smaller the boat"*, avertit Charles D. Rittenhouse à bord du bateau où lui et sept autres naufragés se retrouvent suite à l'attaque de leur navire par un sous-marin allemand. Nous sommes en 1943, et Alfred Hitchcock signe l'un des premiers huis-clos du Septième art qui, de l'apparition du titre au panneau "The End", ne quittera pas l'espace circonscrit d'un canot de sauvetage. A l'origine, Lifeboat doit être la contribution de Hitchcock à l'effort de guerre contre le Troisième Reich ; mais l'ambiguïté qui imprègne le personnage du nazi empêche une lecture univoque du film. Un refus de manichéisme qui anime également l'Espagnol Rodrigo Cortés, en 2010 : son huis-clos Buried prend bien place sur fond de conflit militaire et géo-politique, celui de l'Irak, mais il n'est qu'un prétexte - un "McGuffin" dans le langage hitchcockien - pour brosser un portrait désespéré de l'humanité. Ainsi l'Irakien qui a enfermé Conroy réfute-t-il l'étiquette de "terroriste", lui dont la prise d'otage est un acte de rébellion mû par la détresse dans laquelle l'ennemi américain, qui lui a pris sa famille et fait saigner son pays, l'a plongé.

Alors qu'Hitchcock joue une partition à plusieurs instruments dans un espace ouvert où le bateau circule - sans savoir où il va, certes, mais toujours en mouvement -, Cortès va plus avant dans la radicalité : il fait le choix de l'immobilité, de l'enfermement et d'un seul comédien, Ryan Reynolds, davantage réputé pour son histoire d'amour avec Scarlett Johansson et ses pectoraux huilés au service de blockbusters de seconde zone - Blade Trinity, X-Men Origins : Wolverine... - que les nuances de son jeu. A croire que c'est six pieds sous terre qu'on peut prendre son envol : celui qui prête ses traits à Paul Conroy, entrepreneur américain pris en otage et forcé de trouver un million de dollars en quatre-vingt dix minutes pour ne pas faire de ce cercueil son tombeau, se transforme en stradivarius, passant d'une octave à l'autre en un mouvement de cil. Cortés joue du plaisir Buried, ryan reynolds, rodrigo cortés, film, cinéma, critique, analyse, lifeboat, hitchcock, alfred hitchcock, enterré, six feet under, huis-clos, paul conroy, mcguffin, irak, conflit, guerre, otagepervers de voir cet Action Man au cou de taureau, baignant dans le sang, la sueur et la poussière, cloîtré dans une boîte, avec pour armes ni pistolet ni sabre mais simplement un briquet, un téléphone, un stylo, une lampe torche et une poignée de bâtons de lumière chimique.

Autant d'accessoires dont le réalisateur use comme moyens de ne pas enfermer la mise en scène dans la répétition. Si le film s'ouvre sur une séquence aveugle, où seuls le souffle haletant et les gémissements de Conroy résonnent dans l'obscurité, la suite se déclinera en chapitres dont chacun est marqué de façon chromatique : orange pour la flamme du zippo, bleu pour l'écran du téléphone portable, vert pour les bâtons de lumière, rouge pour la lampe électrique... Un éventail de couleurs qui tranchent avec le noir absolu de la terre dans laquelle gît le cercueil. Et qui donnent à ces deux mètres cube d'oxygène une grande plasticité, avec laquelle joue Cortés par les mouvements de caméra. C'est sans doute ce qui, après quelques minutes, rompt l'angoisse de la claustration : pour faire éprouver physiquement le calvaire de Paul Conroy, il eût sans doute été nécessaire d'avoir recours à une caméra subjective, comme celle du Projet Blair Witch (Daniel Myrick & Eduardo Sanchez, 1999) et de [Rec] (Paco Plaza & Jaume Balagueró, 2007), à des plan-séquences immobiles ou au temps réel, pour faire éprouver la durée, le manque d'air, la sensation d'oppression.

Craignant d'ennuyer le spectateur, la caméra préfère sonder chaque recoin du cercueil, jouant des plans en plongée et contre-plongée, virevoltant sur le visage de Conroy pour mieux souligner / surligner les différents états psychologiques par lesquels il passe - crise de panique, prise de conscience, espoir, incompréhension, colère, rage, détresse, mais également fantasmes et paranoïa - le tout porté par les cordes stridentes du compositeur Victor Reyes qui ne sont pas sans rappeler celles d'un Bernard Herrmann... Huit cercueils ont ainsi été construits pour permettre différents mouvements de caméra, jusqu'à ce travelling arrière qui rompt définitivement l'illusion : le visage de Reynolds, ahuri, fixe l'objectif tandis Buried, ryan reynolds, rodrigo cortés, film, cinéma, critique, analyse, lifeboat, hitchcock, alfred hitchcock, enterré, six feet under, huis-clos, paul conroy, mcguffin, irak, conflit, guerre, otageque l'appareil remonte à plusieurs mètres au-dessus de lui, dévoilant des planches de bois à perte de vue. Le cercueil devient labyrinthe, et l'on bascule dans l'illusion, la caméra renversant l'apesanteur, jouant avec la gravité. A l'enfermement corporel de Conroy répondent des tentatives d'échappatoire psychique - principalement le déni et son corollaire, les hallucinations -, qui sont projetées à l'écran pour faire adhérer à la vision du personnage.

Si cet effort porté à ne jamais filmer de deux façons similaires le visage de Ryan Reynolds et sa prison nuisent au caractère sensoriel de Buried et à l'angoisse de savoir si l'homme s'en sortira ou non, ils permettent au film, précisément, de dépasser son propre genre - ni horreur ni thriller, mais film à suspens dans le sens plein du terme - et la physicalité qui va de paire pour basculer dans l'irréel, se focalisant sur les interactions entre cet homme abandonné au fond des ténèbres et les voix métalliques qui résonnent dans son téléphone, en passant par un satellite extraterrestre. La déréalisation vaut autant pour l'espace confiné du cercueil que pour le hors-champ : Conroy butte sans cesse contre l'incompréhension, le doute et les questions de ses interlocuteurs - "je comprends votre frustration", avant "vous avez fait le mauvais numéro" -, devant répéter jusqu'à la folie les mêmes phrases pour faire comprendre l'urgence de sa situation face à une bureaucratie kafkaïenne. Et quand le preneur d'otage l'oblige à faire une vidéo pour demander une rançon, il apprend quelques minutes plus tard qu'elle a été visionnée 57000 fois sur YouTube...

Tout l'enjeu, pour Paul Conroy, est Buried, ryan reynolds, rodrigo cortés, film, cinéma, critique, analyse, lifeboat, hitchcock, alfred hitchcock, enterré, six feet under, huis-clos, paul conroy, mcguffin, irak, conflit, guerre, otagede se faire localiser. Peut-être est-il proche de la surface, peut-être est-il à dix mètres sous terre. Peut-être est-il en Irak, peut-être est-il ailleurs. Mais peu importe : l'obscurité dans laquelle baigne son cercueil pourrait aussi bien être un trou noir, un horizon infini, sous terre ou dans l'espace ; Conroy est introuvable, dans un hors-monde qui, de fait, rend tout le reste inaccessible. Pour le gouvernement américain, il ne devient qu'une cartouche qu'il faudra sans doute perdre sans se faire griller. Pour son patron, il est une nuisance possible à qui il faut faire enregistrer une déclaration pour qu'il ne l'attaque pas en justice, si jamais il s'en sortait. Sa mère, atteinte d'Alzheimer, ne le reconnaît pas au bout du fil. Et sa femme reste injoignable. Autant de pistes qui renvoient en permanence l'otage à son absence de libre-arbitre, prisonnier de l'absurde. "L'enfer est tout entier dans ce mot : solitude", écrit Victor Hugo dans son poème "La Fin de Satan". C'est bien une forme de purgatoire que Rodrigo Cortés met en scène, où chaque tentative d'espérer tombe dans le néant. Que Conroy s'en sorte ou non, il est et restera seul, enseveli non par le sable qui s'infiltre à travers les planches de son cercueil comme un sablier que rien ne peut arrêter, mais par le cynisme et le mensonge.
 
Bartholomé Girard
Le 30/10/10
 


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Buried
, drame espagnol de Rodrigo Cortés
Avec Ryan Reynolds, Erik Palladino, Robert Paterson...
Sortie le 3 novembre 2010
1h30

* "Plus nous nous disputons, plus l'océan grandit et notre bateau rétrécit."













Bande-annonce du film



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Crédits photos : Rezo Films