Fantastic Mr. Fox, fantaisie en mode renard
Tout d'orange vêtu, à l'image du pelage de son héros, le nouveau film de Wes Anderson creuse le sillon de l'humour décalé déjà à l'oeuvre dans les longs métrages en prises de vue réelles du cinéaste américain, au service cette fois d'une adaptation animée du célèbre texte de Roald Dahl, Fantastique Maître Renard. "Au-dessus de la vallée, sur une colline, il y avait un bois. Dans le bois, il y avait un gros arbre. Sous l'arbre, il y avait un trou. Dans le trou, vivaient Maître Renard, Dame Renard..."
La Famille Tenenbaum (2001)
, La Vie aquatique (2004),
A bord du Darjeeling limited (2007)... les OVNIS cinématographiques de Wes Anderson se suivent comme une grande saga sur la famille dont les membres doux-dingues se frottent (et se piquent) à la dureté de la vie. Dans
Fantastic Mr. Fox, des poils roux ont poussé, mais les fidèles du réalisateurs suivent : Owen Wilson, Bill Murray ou Jason Schwartzman donnent de la voix, auxquels s'ajoutent les nouveaux venus George Clooney, Willem Dafoe et Meryl Streep. Sur le canevas extrêmement simple du classique de l'écrivain gallois Roald Dahl (1916-1990), auteur de
Charlie et la Chocolaterie et
Sacrées Sorcières - une famille de renards et leurs amis se trouvent confrontés à Boggis, Bunce and Bean, trois fermiers bêtes et méchants - Wes Anderson et Noah Baumbach brodent des personnages secondaires à foison, et dotent le fantastique Maître Renard d'une histoire et d'une personnalité plus complexes. A l'écran, ce rusé voleur a renoncé au banditisme au profit de sa vie familiale, mais s'ennuie comme éditorialiste dans un journal local. Aguiché par les trésors dont recellent les trois fermes ennemies, la tentation d'un dernier grand coup comme apothéose de sa carrière est trop forte. Les moustaches frétillent. Maître Renard est de retour.
Le passage à l'animation pour l'auteur de
Bottle Rocket ne pouvait se faire autrement qu'avec des marionnettes et une réalisation en
stop-motion, image par image.
Fantastic Mr. Fox travaille avec précision les possibilités visuelles de cette forme de cinéma, plus par plaisir de l'image et amour du détail que par réalisme. Wes Anderson souhaitait conserver un aspect traditionnel et brut à l'animation de son film : "
J'adore l'aspect de la fourrure de King Kong dans le film original. Comme les animateurs manipulaient la marionnette à chaque image, les poils n'arrêtaient pas de bouger, et c'est une des choses qui donnent à l'animation de cette époque toute sa magie." Le film, bien que pétillant comme les autres oeuvres du réalisateur, conserve une forme de sobriété et s'inscrit dans une certaine tradition cinématographique : du splastick, genre du début du XXe siècle faisant la part belle aux courses-poursuites et à un comique sophistiqué, au western, l'imaginaire du cinéma américain règne en
maître dans l'univers du fantastique renard. Un air de mélancolie et de nostalgie empreint ainsi l'atmosphère "seventies" du film - le roman de Roald Dahl date de 1970 - que la bande originale saturée de chansons des Rolling Stones ou des Beach Boys finit d'enrober.
Des références cinématographiques, certes, mais toujours en faisant un petit pas de côté. Le décalage chez Wes Anderson se veut subreptice : un cadrage légèrement inhabituel, un plan d'ensemble là où on attendrait des plans rapprochés, un montage parfois abrupt... sont autant de subtiles déviations qui font la marque du réalisateur. De même, le regard caméra des personnages déstabilise souvent l'illusion, surprenant le spectateur dans sa position d'observateur. Le décalage dans
Fantastic Mr. Fox alimente foncièrement le burlesque, ou plutôt l'héroicomique : l'histoire de vol de poulets est élevée au rang de lutte épique pour la survie. Le comique d'Anderson, plutôt fondé sur des situations et des gags visuels, fait mouche au même titre que les ruses élaborées par le renard et ses compagnons qui creusent des tunnels plus vite que leur ombre dans une ambiance de dessin animé de la Warner... alors que c'est la Fox ("
renard" en anglais !) qui produit le film.
La voix chaude et élégante de George Clooney porte le personnage ambigu de Maître Renard, et se pose comme un fil directeur évitant au film de sombrer dans la froideur d'un jeu de marionnettes. Le renard s'interroge sur sa vie et ce qui est important à ses yeux, sur ce à quoi il a renoncé - l'adrénaline de l'action - et ce qu'il y a gagné - l'amour d'une famille. Ce n'est pas l'originalité du propos qui importe mais le ton, qui fait passer en douceur et avec émotion un message quelque peu éculé, notamment grâce à quelques figures secondaires mais hautes en couleur ponctuant habilement l'histoire, à l'instar de Rat, doublé par Willem Dafoe, et Blaireau, auquel le nonchalant Bill Murray prête sa voix.
Tout comme Ned Plimpton (incarné par Owen Wilson) dans
La Vie aquatique qui tentait d'établir une relation avec son père, le célèbre cinéaste océanographe Steve Zissou (Bill Murray), dans
Fantastic Mr. Fox, Ash (Jason Schwartzman) essaye de prouver sa valeur aux yeux de son renard de père dont la réputation semble difficile à égaler. En particulier lorsque le cousin Kristofferson (Eric Anderson) débarque dans la famille et s'élève rapidement au rang de fils spirituel du fantastique chef de famille. Cet élément narratif, qui ne figure pas dans le texte original - chez Roald Dahl, Maître Renard a quatre enfants aux noms et rôles inconnus - est à l'origine des scènes les plus savoureuses du film, comme ce moment où l'adolescent venant de se lever déboule en arrière-plan dans la salle à manger pendant que son père, au premier plan, lit le journal et que sa mère s'affaire derrière, dans la cuisine. Chacun semble dans son monde, dans ses obsessions, parlant tour à tour mais sans se répondre. Le rythme saccadé s'accélère, et l'Anderson animé, contrairement à l'Anderson en prises de vue réelles, a un pouls qui monte parfois à cent à l'heure, mais sans perdre de son charme ou de sa facétie.