Le parti pris de la synecdoque
Frederick Wiseman a posé sa caméra dans les coulisses de l'Opéra de Paris pendant trois mois. Son documentaire atmosphérique La Danse, le Ballet de l'Opéra de Paris rend compte du travail du corps dans l'un des plus célèbres ensembles dansants du monde.

Frederick Wiseman, pionnier américain du documentaire sociétal, ne propose pas pour l’Opéra de Paris un regard sur le mode organisationnel de l’institution. Il n’est pas question de montrer les rapports internes agissant au sein de la compagnie ou si peu. Non, résolument ce qui transparaît à travers ces 2 heures 39 de film, c’est une approche du langage du corps made in Opéra. La vision est parcellaire, on passe d’un studio à un autre, d’un corps seul face au miroir à un duo, sans transition. Comme toujours chez Wiseman, pas d’interview, pas de commentaire et aucun sous-titre. Très peu de voix, place au corps ! Et on l’avoue sans mal, on a rarement vu des corps de danseurs si bien filmés.

Sur scène, la caméra s’immisce au plus près et donne le sentiment de partager l’intimité de la chorégraphie, que cela soit pour Roméo et Juliette (Sasha Waltz) avec Aurélie Dupont et Hervé Moreau ou pour Le songe de Médée (Angelin Preljocaj) avec Delphine Moussin. En studio, la caméra est plus distante et rend davantage compte d’une atmosphère : la recherche d’une interprétation – joli moment entre Laurent Hilaire, maître de ballet, et Émilie Cozette, danseuse étoile –, le doute du danseur, la présence de photographes ou un échange caustique entre deux répétiteurs, Ghislaine Thesmar et Pierre Lacotte à propos d’un pas de deux de Paquita. Les danseurs sont avant tout dansants. Le corps est aussi celui du peintre, de l’apiculteur, de la directrice de la danse, du cuisinier, de la costumière, de l’homme de ménage. Une ode au mouvement.

Le documentaire de Frederick Wiseman est inclusif. Partant du particulier, le réalisateur additionne les plans fixes, et au plein des studios fait répondre le vide des couloirs. Le détail, une perle et une aiguille dans les ateliers de couture, choit entre deux vues d’ensemble. Les parties sont constitutives d’un tout – qui s’apparente davantage à Garnier qu'à Bastille d’ailleurs. Ce monde ainsi composé est celui d’un intérieur, si intense, qu’il clôture le spectateur entre les murs. Les plans d’extérieur, qui captent la rumeur de la ville, sonnant comme de petits intermèdes, viennent à point nommé. On respire. Pour mieux replonger.