UNE PETITE FILLE ARCHI-GÂTÉE, des parents jeunes cadres dont la vie privée disparaît complètement derrière la vie professionnelle, un grand-père âgé préoccupé par l'urgence de tenir une promesse. Suite à une dispute ancienne, le fils refuse de parler à son père, qui n'ose pas venir assister à l'anniversaire d'une petite fille qui le rejette. Les parents eux-mêmes se croisent au gré de leurs voyages d'affaires, l'un à Tokyo, l'autre à Paris, et ne semblent plus véritablement former un couple. Trois générations qui se croisent, au début du Promeneur d'oiseau, sans véritablement parvenir à communiquer. Le réalisateur, Philippe Muyl, était venu défendre son film au dernier Festival du Film asiatique de Deauville. – Par Aurore Chemin
LES PREMIERES SCÈNES DU FILM, d'emblée, traduisent la distance qui s'installe entre les personnage. Dans un montage alterné, un père, une mère et leur enfant essayent chacun de joindre l'autre par téléphone sans y parvenir, car s'appelant tous en même temps. Au beau milieu de cette effervescence surgit pourtant le grand-père, qui promène calmement dans les parcs de Pékin un vieil oiseau que son épouse lui a jadis confié. Alors que ce dernier veut entreprendre un long voyage au coeur de la Chine pour retrouver son village natal, sa belle-fille, devant s'absenter pour affaires, lui confie leur fille pour les vacances, à l'insu de son époux.
– Renaître
UN LONG VOYAGE INITIATIQUE commence alors pour Renxing et son grand-père, qui vont tous deux s'enfoncer dans le coeur de la Chine. L'un dans le coeur de ses souvenirs, et l'autre dans le coeur d'une culture dont elle ignore quasiment tout et qu'il lui faut réapprendre au contact des anciens. Les personnages à bord du TGV chinois voient défiler cette Chine des contrastes : d'un côté Pékin, la ville moderne traversée par d'immenses artères routières où l'économie file à toute allure ; de l'autre, la Chine de l'intérieur, des villages anciens où, même si la modernité a pénétré et a touché les plus jeunes, la vie reste rythmée par le cadre naturel, à l'image du discours tenu par la petite fille appartenant à l'ethnie Dong, qui rappelle à Renxing le cycle immuable des saisons. À droite, la ligne droite de la vie moderne, occidentalisée ; à gauche, le cycle, l'éternel recommencement, propre à la civilisation asiatique.
L'ÉVOLUTION DE RENXING est emblématique de cette renaissance : uniquement préoccupée par les jeux solitaires auxquels elle se livre sur son iPad, la petite fille gâtée jette soudain son téléphone portable en pleine forêt et cesser de recharger la batterie des objets électroniques qui l'avaient jusque là détournée d'un monde qu'elle découvre. Mais pour cela, il lui aura fallu passer par une longue route, d'abord à bord d'un train ultra-moderne, puis d'un bus qui tombe en panne, prendre place dans la remorque tractée par une mobylette d'un autre âge, poursuivre ensuite par une marche éreintante à flanc de montagne, pour enfin se perdre dans une immense forêt de bambous et se voir contrainte de passer la nuit au fond d'une grotte. "Scène pivot", pour le réalisateur, l'image de la grotte est le moment où va s'opérer le renversement. La matrice recèle un secret, une ancienne promesse faite par le grand-père qui va soudain changer la petite fille. Renxing devient cet oiseau que le grand-père avait promis à son épouse de ramener dans son village natal. Et la petite fille, qui ne voulait pas quitter sa chambre pour suivre son grand-père dans son voyage, refuse finalement de quitter les magnifiques paysages naturels du Guangxi pour retrouver sa vie citadine à Pékin. Elle est devenue symboliquement cet oiseau que le grand-père avait promis de rapporter au village natal, qu'il a promené au coeur de la Chine et à qui il a ouvert la porte de la cage.
– Réconcilier
LE NOUVEAU REGARD que la petite fille porte sur les paysages de son pays, est sans doute celui que Philippe Muyl souhaite révéler à la jeune génération chinoise citadine qui n'a jamais connu d'autre mode de vie que celui finalement profondément occidentalisé et si peu chinois qui règne dans les grandes métropoles que sont Pékin et Shanghai. Mais au-delà, c'est aussi une invitation adressée aux spectateurs occidentaux et français : "J'ai voulu faire découvrir aux spectateurs français une Chine qu'ils ne connaissent pas", hors de l'image stéréotypée des villes modernes pollués et des villages arriérés. Tourné à Pékin, mais également dans la province montagneuse du Guangxi, le film de Philippe Muyl révèle l'immense patrimoine naturel du pays, en faisant évoluer ses personnages dans les rizières en terrasses de Guilin et les rivières de Yansghuo, réputées pour être parmi les plus beaux paysages de Chine.
FRUIT D'UNE COPRODUCTION SINO-FRANCAISE, Le Promeneur d'oiseau est né suite au succès rencontré en Chine par Le Papillon (2002) : dans le précédent film de Philippe Muyl, la relation très étroite nouée entre un vieil homme et un enfant a touché les spectateurs issus d'une société où la structure traditionnelle de la famille s'est trouvée bouleversée par la politique de l'enfant unique et un décollage économique sans précédent depuis une vingtaine d'années. La situation initiale de Renxing et de ses parents est désormais celle de bon nombre de chinois : l'enfant unique, placé au centre, est l'objet de tous les soins, de toutes les préoccupations, renversant l'ordre de valeur dans une société qui vouait traditionnellement un culte aux anciens. Les rôles sont alors amenés à s'inverser dans la seconde partie du film : si le grand-père avait été jusque là le guide pour Renxing, c'est désormais la petite fille qui va permettre au père de renouer avec le fils. Tandis que Renxing se ressource dans la rivière de Yangshuo, le père et le fils lavent l'affront à la fontaine d'un village. L'eau est le motif-clef du film : si elle purifie en Occident, elle est symbole de fécondité en Chine. Et tandis que les adultes se réconcilient dans une fontaine, les enfants renaissent en batifolant dans une cascade.
– Revisiter
À CHEVAL ENTRE LES CULTURES, Le Promeneur d'oiseau mêle motifs occidentaux et asiatiques : "La terre, l'air, le feu, l'eau : les personnages de mon film empruntent un chemin qui reprend les quatre éléments, et devront finalement passer par la matrice que représente la grotte pour renaître à la vie", explique le cinéaste. Ici, les visions françaises et chinoises sont invitées à se rejoindre sur des problématiques qui échappent désormais à toute sphère culturelle, et qui doivent faire l'objet d'une prise de conscience commune. La crise de valeurs dans un monde où le capitalisme est devenu roi est tout autant asiatique que française, et la nécessité de prendre conscience des menaces qui pèsent sur notre patrimoine naturel s'impose tout autant à la Chine qu'à l'Occident. Si le sujet du Promeneur d'oiseau porte explicitement sur le rapport entre les générations, il n'en demeure pas moins que l'élément végétal est omniprésent d'un bout à l'autre : "En choisissant de mettre l'accent sur des paysages traditionnels, je n'ai pas voulu porter à l'écran une oeuvre anti-moderne, mais plutôt exprimer la nature, l'évoquer plutôt que la dire." Préférant rester en dehors du débat politique, Le Promeneur d'oiseau se présente comme une douce fable qui ne prétend ni dénoncer ni prendre parti pour le régime chinois, mais qui invite au contraire à revisiter une Chine dont la modernité et les enjeux actuels nous sont finalement encore assez méconnus.
A. C. --------------------- à Paris, le 9 mai 2014
Le Promeneur d'oiseau, une comédie dramatique sino-française de Philippe Muyl Avec : Baotian Li, Yang Xin Yi, Li Xiao Ran... 1h40 Sortie le 7 mai 2014