L`Intermède
Le ruban blanc Das weisse Band Michael Haneke cinéma film palme d`or festival de cannes 2009Y'a comme un malaise
Quatrième fois qu'il concourrait pour la palme : le réalisateur Michael Haneke a enfin (?) été sacré au dernier Festival de Cannes pour Le Ruban blanc, un drame dont le traitement de 2h25 est à la mesure du sujet : lourd.
 
Ils sont là, cintrés dans leurs rôles : lunettes pour l'instituteur, soutane pour le pasteur, fourches à la main pour les paysans, tablier pour la bonne. Calés dans leurs caractères de surface : curiosité pour l'un, intransigeance pour l'autre, bonté pour celui-ci, sens du sacrifice pour celle-là. Et ils ne bougent pas d'un iota. Tout au plus versent-ils une larme de temps en temps, pour prouver qu'ils ont encore quelque chose d'humain. Mais les habitants de ce village allemand, dont on suit des faits divers - incendie, sabotages, kidnapping... - au cours de l'année 1913, ressemblent davantage à des figures qui ne sont plus que l'ombre de leurs âmes, aussi froides que la mort, placées dans un bocal où le cinéaste autrichien Michael Haneke immisce sa caméra. Avec le regard d'un entomologiste qui n'aurait pas attendu qu'on lui apprenne comment manier le scalpel pour disséquer tout ce qui passe dans le champ de l'image.

Le réalisateur, ancien étudiant en philosophie et psychologie, fait encore une fois, avec Le Ruban blanc, son miel des intrigues qui brouillent les chemins et des personnages aux apparences d'archétypes psychiques, tendant moins à expliciter les mécanismes de pensée qui les régissent qu'à en montrer les dégâts. Leurs fonctions sociales, et donc le semblant d'appartenance à une communauté, sont aussi factices que ne sont fortes les pulsions et affects dont ils sont, les uns et les autres, plus que des véhicules, des incarnations. Dans ce village, comme dans la maison de Funny Games, sur le tabouret de piano dans La Pianiste ou dans l'appartement bourgeois de Caché, ce sont encore la cruauté et le déchaînement discret des passions qui sont passés au vitriol de la photographie clinique de Christian Berger (déjà à l'oeuvre sur les deux derniers longs métrages cités) et des cadres implacables du réalisateur : inceste, viol, maltraitance... Avec, comme d'habitude dans le cinéma de Haneke, l'impression de montrer tout en dissimulant, jouant sur le cadre et le hors-cadre.

Le ruban blanc Das weisse Band Michael Haneke cinéma film palme d`or festival de cannes 2009Le cinéaste pose chaque tenant de son récit l'un après l'autre, à travers la figure de l'instituteur, qui, portant aussi la voix du narrateur, raconte l'histoire comme un conte. Et Haneke fait mine de recueillir le plus froidement possible, avec une rigueur quasi-scientifique, le disloquement des relations entre les adultes du village, qui ne semblent avoir comme alternative que la cruauté ou le pathétique, et les enfants, brimés par l'éducation protestante rigoriste que les aînés leur inculquent à grands coups de savate. Voici comment, avec une apparente subtilité, il propose sa lecture de la montée du nazisme en Allemagne : ces enfants seront les adultes dans vingt ans, lors de l'accession d'Adolf Hitler à la chancellerie nationale, et les remugles de haine enfouis dans leur enfance se catalyseront alors en haine collective.

Autant peut-on reconnaître au réalisateur un certain talent pour la mise en scène de l'horreur, même s'il a tendance à la rendre quelque peu mécanique au risque de pasticher le cinéma d'un Ingmar Bergman - comme la scène, presque gratuite, où le médecin dit à son amante tout le dégoût qu'elle provoque en lui, d'une facilité narrative énervante... Autant faire glisser Le Ruban blanc vers le film à thèse est un virage que Haneke semble avoir du mal à négocier. Surtout que le manque criant de chair des personnages, qui les rend aussi sympathiques que de vieilles photographies d'une famille qui n'est pas la nôtre, et la froideur de l'image, qui donne l'impression de toujours chercher à rendre plus noir le noir et plus blanc le blanc, laissent le spectateur derrière la vitre glacée de ce monde clos. Elle se voudrait verre teinté, nous renvoyant par la même occasion notre propre reflet, nos propres abjections, notre propre propension au mal. Mais elle reste transparente, et, surprise, il n'y a pas grand chose d'autre, derrière, qu'un trop-plein de psychologisme qui tourne à vide.
 
Bartholomé Girard
Le 18/10/09


Le ruban blanc Das weisse Band Michael Haneke cinéma film palme d`or festival de cannes 2009
Le Ruban blanc
(Das weisse Band), drame allemand de Michael Haneke
Avec Christian Friedel, Leonie Benesch, Ulrich Tukur...
2h25
Sortie le 21 octobre 2009













Bande-annonce du film




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