Amours peu orthodoxes
Premier long métrage du cinéaste Haim Tabakman, Tu n'aimeras point montre l'homosexualité à l'épreuve de la religion.
Sous la pluie battante, un chapeau noir roule, tourne sur lui-même, et tombe à même le sol. Un jeune homme tend sa main pour le ramasser, mais ne le remet pas sur sa tête. A l'intérieur, de l'autre côté de la vitrine de sa boucherie, Aaron scrute l'inconnu. Celui-ci croise son regard, et pousse le battant de porte. Il s'appelle Ezri, a 22 ans, cherche du travail. Le boucher l'engage, et lui offre le logis.
C'est ainsi, délicatement, en un plan, que le garçon entre dans la vie de ce père de famille et membre respecté de la communauté juive orthodoxe de Jérusalem. C'est tout aussi discrètement que, de disciple d'Aaron, Ezri va devenir son amant, bouleversant son équilibre de vie. Car le Sefer Hmamitzvot ("Livre des prescriptions"), un ensemble de sentences écrites dans la Torah, est clair sur ce point : le Mitzvot 157 stipule que le pratiquant ne peut "pas avoir de relations homosexuelles". Aaron lutte dans un premier temps, vivant cette attirance comme un défi à relever, avant de succomber, devant cacher sa relation avec Ezri. Le rabbin, et d'autres membres de la communauté lui conseillent (le menacent) de ne plus fréquenter cet être impur dont "on dit des choses", et à retourner vers sa femme, qui ne dit mot même si elle n'est pas dupe. Et Aaron, qui dit "revivre" au contact de ce garçon "magnifique", après la mort de son père, doit choisir.
Cette vitalité, le cinéaste Haim Tabakman la fait éclater par à-coups dans l'intimité du couple, où les baisers des deux hommes sont comme des points d'orgue de sensualité, aussi fragiles qu'intenses, à peines croyables. La soudaineté et la force des sentiments est d'autant plus impressionnante que tout, dans le quotidien des personnages, s'inscrit dans la religion pieuse. Peu nombreuses, ces scènes d'amour sont toujours courtes, comme des soupirs dans cet univers claustré, silencieux, où les deux hommes sont soumis au jugement et à la condamnation permanente des autres. Dans l'arrière-cuisine, dans le chambre d'Ezri, sur les toits de la ville, à l'abri des regards, c'est tout le poids du dogme qui s'envole. Puis Aaron, fervent pratiquant, s'en retourne aux lectures de la Torah, discute des sentences qui appellent à "ne pas suivre les caprices du coeur ou de ce qui s'offre à la vue des yeux" (Mitzvot 25), confronte sans cesse sa croyance à son désir.
Sans esbroufe, le réalisateur place sa caméra dans les angles des pièces, et compose des plans aussi riches qu'épurés, jouant sur la profondeur du champ tout en éclairant les scènes avec des néons, gommant la couleur. La lumière est clinique, comme dans l'objectif d'un Jeff Wall, et l'image naturaliste, laissant les comédiens aller et venir du premier à l'arrière-plan, jouant des cloisons et des murs comme des parois d'un labyrinthe. Le bruit incessant des psalmodies dans les lieux de culte cesse quand les deux hommes sont seuls. Les comédiens, Zohar Strauss et Ran Danker, splendides l'un et l'autre, n'ont que leurs regards pour parler de leur désir.
Le titre original, Eyes wide open ("Les yeux grands ouverts"), bien plus heureux que la traduction pesante Tu n'aimeras point, inscrit d'emblée le poids du regard dans le film. Une scène, en particulier, montre l'ingéniosité des plans et le travail sur le hors-champ. Les deux amants arrivent devant la boucherie, mais Aaron, usé par la culpabilité et la peur, n'ose pas entrer avec Ezri. Celui-ci saisit le trousseau de clé, et ouvre la porte. Un van passe devant la caméra. Ses vitres reflètent un groupe d'hommes amassés. Leurs regards chargés de dégoût apparaissent subrepticement en plein écran, le temps du passage du véhicule. En silence, ils aboient.
Bartholomé Girard
Le 31/08/09
Tu n'aimeras point, drame israelien de Haim Tabakman
Avec Zohar Strauss, Ran Danker, Tinkerbell, Tzahi Grad...
1h30
Sortie le 2 septembre