VOILÀ MAINTENANT plusieurs générations que la silhouette énigmatique au costume rouge et blanc fascine les plus jeunes et fait sourire (parfois) les adultes. L’air bienveillant, la bedaine débordant largement du pantalon, le Père Noël est symbole de fastes, de rires, de magie, mais aussi, pour certains, de la surconsommation occidentale. Qu’il soit apprécié ou critiqué, une chose est sûre : le vieux monsieur n’a jamais été aussi populaire. Halloween passé, son effigie se retrouve partout : figurines, papiers cadeaux, ornements ou assiettes en carton. Aujourd’hui, Papa Noël est une rock star. Pourtant, il a fallu bien des siècles au bonhomme pour asseoir sa position de maître incontestable des fêtes de fin d’année. – Par Amandine Duphil
L’HISTOIRE DÉBUTE AU IIIème siècle après JC. La neige, les rennes et les petits lutins ne font pour l’instant pas partie du paysage. D’ailleurs, l’incipit prend place non pas sur la banquise mais dans la région de Patara, en Asie Mineure, actuelle Turquie. Pas de barbe blanche ou de bonnet fourré, donc. Père Noël a pour nom Nicolas de Myre. Il est l’héritier d’une riche famille de commerçants et le neveu de Nicolas l’Ancien, évêque de Myre. D’abord ordonné prêtre et régisseur du monastère de Saint-Sion, il succède ensuite à la position de son oncle où il multiplie les bonnes actions.
– "Grand Saint Nicolas"
SAUVANT LES JEUNES FILLES de la prostitution et secourant les navires en perdition, Nicolas sait ce qu’il faut faire pour être apprécié. Les rumeurs ne tardent pas à faire de lui le bon samaritain, ami du peuple et des miséreux. Ce qui d'ailleurs n’est pas du goût de tout le monde. Jugé trop bruyant et miséricordieux, Dioclétien le jette en prison d’où il ne sortira qu’à l’arrivée au pouvoir de Constantin. Il est néanmoins des bruits qu’il ne faut pas faire trop fort : critiquant ouvertement l’arianisme du Concile de Nicée, Nicolas est arrêté, jugé et exécuté le 6 décembre. Quelques temps plus tard, l’Église le canonise. La légende peut enfin débuter.
SI L'HOMME A FAIT PARLER de lui, le mythe qui l’entoure est encore plus grand. Sa dépouille n’est pas encore embaumée que les miracles débutent, puisqu’une huile miraculeuse s’écoule lentement du cadavre. Certes, le glamour des fêtes n’est pas encore au rendez-vous, il n’empêche que Nicolas est déjà une célébrité. Son corps est jalousement protégé par le monastère dont il était le gardien avant d’être confié à des soldats italiens lorsque les Musulmans envahissent la région, au XIème siècle. Un siècle plus tard, un chevalier lorrain, de retour de croisade, récupère les reliques. Saint-Nicolas vient d’arriver en France.
– "Ils étaient trois petits enfants"
PENDANT TOUT CE TEMPS, Nicolas ne chôme pas. Un peu partout, les récits affluent. Mais c’est l’histoire selon laquelle Saint Nicolas aurait ressuscité trois petits enfants tués par un boucher qui scelle son destin. Le ventre rebondi et la hotte chargé d’Action Man et autres poupées Barbie ne sont alors pas encore au programme, mais déjà Saint Nicolas est célébré en Belgique, aux Pays-Bas et dans le nord de la France comme étant le patron des enfants. La tradition de Noël commence à se mettre en place.
MALGRÉ TOUT, LES CADEAUX sont loin d’être garantis. Car si chacun peut déposer ses souliers devant sa porte accompagnés de lait, de sucre et de carottes pour la mule (la voiture neuf rennes n’était pas encore sur le marché), rien ne garantit en effet que les présents soient au bout de chemin. Si l’enfant n’est pas sage, Père Noël délègue et Père Fouettard prend le relais. Au menu : fouet, moutarde, charbon, pommes de terre et oignons. Les Autrichiens iront même plus loin en menaçant leurs chers petits d’un séjour chez les Maures qui ont alors envahi l’Espagne ou d’un plongeon dans la Mer Noire. Mais pas de souci si les règles ont été respectées, Nicolas attend gentiment avec biscuits, confiseries et petits jouets.
– "Santa Claus arrive en ville"
AU XVIème SIECLE, le Père Noël connaît un coup de mou. Les protestants affirment leur pouvoir et voient ce distributeur de cadeaux d’un mauvais oeil. Jugé trop catholique, certains veulent mettre un terme à son règne. Mais les Hollandais apprécient trop leur "Sinter Klaas". Lorsqu’ils déposent leurs valises à New Amsterdam (aujourd’hui New York), celui-ci part avec eux. Au fil des ans, la coutume s’installe, Santa Claus s'impose. Les chrétiens, face à ce nouvel engouement un peu proche de la naissance de l’Enfant sauveur, trouvent alors un compromis qui arrange à peu près tout le monde : Père Noël viendra désormais distribuer ses cadeaux le 24 décembre, en l’honneur du Cher Petit.
AUX XIXème ET XXème SIECLES, c’est relooking total pour Nicolas. La première opération a lieu en 1821. Le pasteur américain Clement Clarke Moore, le scalpel à la main, trouve que l’habit clérical et le petit âne ne sont pas assez vendeurs. À grands coups de bistouri, l’écrivain transforme le bonhomme : 30 kilos en plus, un bonnet et un attelage de rennes. Le Père Fouettard, jugé vraiment trop antipathique, disparait du tableau. Son conte "Twas the Night Before Christmas" fait un carton, le look débonnaire du monsieur est unanimement adopté.
QUARANTE ANS PLUS TARD, nouveau botox. Le caricaturiste du journal new-yorkais Harper’s Illustrated Weekly, Thomas Nast, présente un Père Noël à l’habit rouge rehaussé de fourrure blanche. Vingt ans plus tard, il le domicilie au Pôle Nord. Enfin en 1931, à la demande de la célèbre marque américaine Coca-Cola qui voyait ses ventes chuter durant la saison froide, Haddon Sunblom présente un Père Noël en pantalon rouges et blancs, l’air joyeux, le nez rougi par le froid, une bouteille de boisson gazeuse à la main. Coup de maître pour la marque et succès garanti pour Papa Noël. Rire, joie, faste et opulence ; tout y est. Près d'un siècle plus tard, la fourrure blanche sur fond de rouge vif tapisse le mois de décembre, et les kilos en plus sont toujours là.