L’espace du rêve
Durant les trois jours centraux de ce colloque de Cerisy, les intervenants ont tenté d’explorer l’espace de la science-fiction contemporaine, notamment ses marges à différents niveaux.
(24-26 juillet)
L’interrogation sur la fiction et son rapport à la réalité constitue l’un des enjeux majeurs de plusieurs communications. Ainsi, Thierry Jandrok, psychologue clinicien et psychanalyste, dénonce le dogmatisme, inconciliable avec la démarche science-fictive qui se fonde sur le doute et l’interrogation, des romans intitulés The Greys et 2012 de l’écrivain Whitley Strieber, un abductee, autrement dit quelqu’un qui clame avoir été enlevé par des extraterrestres. Celui-ci, devenu une sorte de prophète parmi ses adeptes, brouille les frontières entre autobiographie et fiction en présentant ses récits comme réels. A l’inverse, Mael Le Mée, artiste, lors d’une conférence-performative, utilise la fiction dans une démarche ludique mais qui éclaire de manière tout à fait étonnante le rapport au corps du monde contemporain et les conséquences potentielles de cet état de fait dans l’avenir. A travers l’Institut Benway, entreprise fictive censée vendre des "organes de confort", il explore avec originalité et humour les rapports entre corps, technologie, société et économie. Enfin, Maryse Petit, Maître de conférences à Lille II, montre comment les romans particulièrement sombres de Jean-Michel Truong ne sont précisément pas si éloignés de la réalité contemporaine et que les pires cauchemars de la fiction peuvent malheureusement devenir réels.
Ce sont bien l’espace de la science-fiction et les frontières qu’elle se fixe elle-même qu’interroge aussi l’écrivain Claude Ecken dans sa communication. Selon lui, se couper de la base populaire et ne pas renouveler le lectorat en dédaignant la littérature de jeunesse sont des menaces majeures pour la vitalité du genre. Il suggère également de pousser la science-fiction vers sa démarche conjecturale plutôt qu’imprécatrice et montre comment, en se documentant sur la science actuelle, les écrivains de science-fiction peuvent trouver des "pépites narratives " selon ses termes.
Par ailleurs, le genre pose aussi le problème de ses frontières avec la fantasy, frontières qu’explore Anne Besson, Maître de conférences en littérature comparée à l’université d’Artois, dans son analyse de deux nouvelles de Greg Egan et du roman de Vernor Vinge, Rainbow’s end. Ces textes mettent en scène un désir de fictionnaliser le monde notamment à travers un imaginaire de fantasy, très prégnant dans l’époque contemporaine, mais cet imaginaire n’a d’existence dans le réel que grâce à des interfaces techno-scientifiques. Ces œuvres, paradoxalement, appartiennent donc de plein droit à la science-fiction. Enfin, puisque la question posée était comment rêver la science-fiction, Sylvie Bérard, professeur agrégée à l’université Trent au Canada et écrivain, interroge le thème du rêve dans l’oeuvre d’Elisabeth Vonarburg pour montrer comment ce motif, qui pourrait faire osciller le texte vers la fantasy, n’a pourtant rien à voir avec l’illusion. Le rêve, ici, est structurant dans la mesure où il est le fondement du fonctionnement de l’univers fictif présenté dans une démarche, donc, tout à fait science-fictive.
D’autre part, ces trois jours ont encore été marqués par une diversité des approches liée à la variété des orateurs. Deux communications entrent ainsi dans le cadre des cultural studies et des gender studies. Margaret Galvan, doctorante à CUNY graduate center à New York, présente trois romans interrogeant le statut de la femme, (Les Guerrillères de Wittig, The Female Man de Russ et Ammonite de Griffith), utopies féministes pour certaines, évoquant même parfois des mondes sans homme. Anne Kustritz, docteur en culture américaine à l’Université du Michigan, quant à elle, interprète la série Battlestar Galactica en montrant son ambivalence entre modernité et archaïsme des représentations, à travers ce qu’elle appelle un "eugénisme postmoderne" autour du thème fondamental de la survie biologique.
Enfin, perspective originale, Juan Ignacio Munoz propose une introduction à la littérature cyberpunk latino-américaine en la resituant dans l’histoire du genre et dans les spécificités de l’espace de l’Amérique centrale et du sud.
Claire Cornillon
Le 28/07/09
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Légendes photos :
photo 1 Aurélie Villers et Thierry Jandrok
photo 2 Daniel Tron et Claude Ecken
photo 3 Mael Le Mée
Crédits photographiques : Claire Cornillon