UN MEURTRE, deux suspects. L'enquête est menée. Ils ont été amants et la femme du suspect est retrouvée assassinée : tout les désigne. Mais aujourd'hui, ils se déchirent et chacun nie toute reponsabilité dans ce meurtre. Avec La Chambre bleue, adapté d'un roman de Simenon, Mathieu Amalric, devant et derrière la caméra, signe un film aux antipodes du thriller classique. Non résolutoire, le film n'est pas une marche vers la vérité mais l'exposition froide et destabilisante d'une situation qui a mal tourné. – Par Claire Cornillon
DES PLANS FIXES d'un appartement vide. Vide, sauf cette chambre bleue qui abrite les amants. La musique suggère déjà un drame dont on ne sait encore rien. Dès les premières minutes du film, tout est fait pour que les personnages soient à distance. Un fossé nous sépare et nous ne les comprendrons jamais. Ils restent inaccessibles. Froids et distants, ils s'expriment dans une langue si théâtrale qu'ils en paraissent irréels. Mais cette artificialité contraste avec la force des sentiments qu'ils expriment. Car tout a commencé avec la passion, physique, déchirante, celle qui renverse tout. Tout a commencé par les corps. Des corps filmés de manière brute, sans fard, exposés. Des corps dont on ne voit pas tout de suite le visage.
– Fragmentaire
LES ÉVÉNEMENTS sont ressaisis par la caméra en flashbacks au fur et à mesure que progressent les interrogatoires du juge. L'histoire est partielle et ne peut être reconstituée qu'à partir des données et témoignages, de même que l'image suggère toujours l'inconnu du hors champ en filmant, en particulier au début du film, des détails en gros plan. Pas de vue d'ensemble qui permettrait d'interpréter et de comprendre mais seulement des indices pour suggérer. Même la nature du crime reste au départ inconnue. Il y a bien ces interrogatoires par la police qui suggèrent que quelque chose s'est passé. Un meurtre sûrement. Mais qui a tué qui ? Le film est un jeu de piste mais anti-ludique. Aucun plaisir à découvrir les faits mais plutôt une approche froide d'un drame humain.
QUI SONT MÊME ces personnages dont on ne possède que des aperçus extérieurs, ceux qu'ils veulent bien nous donner ou qu'ils laissent échapper par indavertance ? Mais suffisent-ils à les définir ? Les personnages sont avant tout seuls. Tout commençait par le contact mais la manière même dont ils sont filmés retire toute sensualité. Il ne reste que l'après. L'indéchiffrable. Les deux amants ne se comprennent pas. Et rien ne vient faire le lien. La caméra est là, non pour unir des êtres ou des événements, mais pour les juxtaposer dans leur solitude radicale.
– Apparence
C'EST BIEN CETTE DISTANCE qu'explore La Chambre bleue, tout entier résumé dans cette phrase prononcée par un personnage : "La vie est différente quand on la vit et quand on l'épluche après-coup." C'est la relecture des faits, les différentes versions, les différentes motivations des personnages et même la relecture de la vie d'avant le crime qui s'inscrivent au coeur du film d'Amalric. Lorsque les deux temps se superposent, c'est avec amertume et ironie : Julien évoque en voix off les journaux "qui parlent de [lui] comme un monstre" alors que sa famille modèle se fait prendre en photo aux Sables d'Olonne. L'apparence du bonheur, de la normalité vole en éclat au contact de l'adultère et du meurtre. Dès lors le quotidien glisse rapidement vers l'angoisse. L'ambiance glauque du bureau où sont interrogés les suspects déteint en quelque sorte sur les images du passé. La réalité n'a jamais été colorée, si ce n'est en apparence.
QUE VOULAIT Julien ? Lui qui a trompé sa femme mais est revenu vers elle, laissant finalement sa maîtresse. Car c'est moins la résolution du meurtre lui-même que la quête pour comprendre ces personnages, ces altérités, qui guide le film. Quête impossible car le récit ne peut être que fragmentaire, dépendant qu'il est de ce que chacun veut bien dire. Bien sûr le privilège du film est de présenter les images du passé, mais nous laisse-t-il pour autant en percer son mystère ? Après tout, ces images ne disent-elles aussi le réel que de manière fragmentaire, détournée, orientée. Il faudrait pénétrer dans les pensées de ces personnages, aller au-delà de ce regard qui nous renvoie à l'impossibilité de les comprendre. L'autre n'est pas tant celui que l'on voit mais celui qui nous regarde.