UNE AUSTRALIE post-apocalyptique, des personnages sur la route, la violence qui rôde à chaque tournant. Avec The Rover, le réalisateur australien David Michôd propose un Mad Max du XXIe siècle, sec et brutal, autour d'un duo caustique incarné par Guy Ritchie et Robert Pattinson. Le film était présenté hors compétition au dernier Festival de Cannes.
AUSTRALIE. Eric (Guy Pearce), le visage buriné, attend dans sa voiture, au milieu de nulle part. Des mouches volent autour de lui, la chaleur est écrasante. On ne sait pas qui il est, ni ce qu'il recherche. Lorsqu'on lui vole sa voiture, il n'a plus qu'un seul but : la retrouver. Et pour ce faire, il va être aidé par Rey (Robert Pattinson), jeune homme un peu lent, que son frère, Henry, a abandonné derrière lui, blessé, à la suite d'un casse. Ce frère aîné, c'est celui-là même qui a volé la voiture d'Eric avec son gang. La poursuite s'engage alors au milieu de l'outback australien, désertique et hostile.
– Fin du monde
SI LE POST-APOCALYPTIQUE envahit à nouveau les écrans ces dernières années, ce n'est plus tant pour parler de terrorisme ou de guerre nucléaire que de crise climatique ou économique. Les craintes ont changé mais la marche vers la catastrophe semble plus que jamais présente. Dans une Australie ravagée par la crise, comme Max en son temps, on ne marche pas, on roule, balayant les kilomètres qui séparent chaque communauté isolée, traçant un chemin sans fin et sans horizon. La voiture, objet mécanique et symbole même du monde tel qu'il a été et tel qu'il va disparaître, engage une interrogation sur la société capitaliste libérale. "The Rover, écrit David Michôd, se déroule dans un futur assez proche, mais par essence, c'est un film sur notre époque. Il parle de la capacité des économies occidentales insuffisamment régulées à s'autodétruire à cause de leur rapacité".
OR, TOUT EST DÉJÀ FINI. Le monde s'est déjà écroulé quand commence le film et il ne sera finalement que peu question de cet avant. Il n'y a que ce qu'il reste, c'est-à-dire pas grande chose. Des intérêts individuels, surtout, et des alliances temporaires dans le but de survivre. Rien d'étonnant à ce que le film commence de manière fragmentée, présentant chacun de ces protagonistes de manière isolée, in medias res, sans que l'on sache qui ils sont ni ce qui les relie. Car rien ne les rassemble, si ce n'est les événements qu'ils vont vivre ensemble. Chacun pour soi. Ainsi, la peinture post-apocalyptique renvoie en une même image à la fois aux conséquences de l'après et à l'allégorie du maintenant. C'est bien à cause du chacun pour soi et de la course effrénée au profit que la fin survient et que les masques tombent. Une fois le verni social écaillé, il reste la sauvagerie des rapports de pouvoir.
– Pas de héros
NON SANS HUMOUR, et avec style, David Michôd joue des codes comme s'ils n'avaient jamais existé. Le réalisateur australien les traite avec nonchalance tout autant que gravité. Le personnage d'Eric est de ces hommes de peu de mots qui peuplent les films d'action. Lorsqu'on lui vole sa voiture, il ne dit rien, mais part immédiatement à la poursuite des malfaiteurs. Efficace, souvent froid, il est pourtant habité par une souffrance qui ne cesse de transparaître. Mais il existe à l'écran comme le héros d'un film d'action qui n'aurait plus lieu d'être. Dans un monde sans héroïsme, il n'y a pas de place pour une telle figure. Il semblerait que tout passe sur lui sans l'atteindre, telle cette voiture qui fait un tonneau spectaculaire, passant devant la fenêtre en arrière-plan de l'image sans qu'il s'aperçoive de rien. The Rover joue de ces décalages. Dans ce western post-apocalyptique, c'est la lutte pour la survie dans le désert. Tous les personnages sont des tueurs ou peuvent potentiellement le devenir. De fait, ils sont aussi tous des cibles. Il n'y a pas lieu de marchander, au risque de se retrouver une balle logée dans le corps. Pas de justice ou de règle : lorsque Eric cherche à se procurer une arme, il n'hésite pas une seconde à abattre celui qui voulait la lui vendre. La musique non mélodique, aux percussions dissonnantes, accentue l'hostilité ambiante.
"C'EST ÉTRANGE DE S'ÉNERVER pour si peu à une époque comme la nôtre", dit une femme à Eric. Non seulement il n'y a plus de règles, mais il n'y a plus d'enjeu. Dès lors que chacun est livré à lui-même, quel sens donner aux événements qui surviennent ? Mais aussi désabusé qu'il soit, Eric représente une position ambiguë, car même si sa voie est violente et qu'il semble ne se soucier de rien si ce n'est de lui-même, il crée du sens en se donnant un but, un but qui se révèlera à la fois absurde et tragique. Eric n'est pas si inhumain qu'il n'y paraît et le duo qu'il forme avec Rey le montre aisément. Les deux hommes s'apprivoisent, essaient de communiquer et, même si l'issue est loin d'être la meilleure dans le meilleur des mondes possibles, ils parviennent au moins l'espace d'un temps à construire un lien. De longs plans sur les visages aux phrases laconiques et répétitives : le western est bien là, mais un western qui pose la question fondamentale du rapport à l'autre dans le monde contemporain. Derrière les pratiques économiques résident des enjeux avant tout humains et la catastrophe que met en scène le film est bien une catastrophe humaine. Michôd réinvestit les codes du film de genre parfois avec distance et humour mais en creuse aussi la substance pour rendre à l'argument son efficacité et son mordant au regard dur qu'il pose sur le monde. Et si Robert Pattinson, star de la saga Twilight et idole des jeunes, prête ses traits à ce personnage décalé et attachant, ce n'est pas sans ironie de la part du réalisateur. "Don't hate me because I'm beautiful", fait-il chantonner à ce visage d'un système marchand qui oublie si facilement l'humain.