JIM MICKLE, QUI AVAIT FAIT FRÉMIR le public de Deauville en 2013 avec son remake de film de cannibales mexicain, We are what we are, était de retour cette année sur les planches du Festival du cinéma américain avec un thriller aussi implacable que surprenant, qui revisite les classiques des années 1980 en leur donnant un nouveau souffle. Cold in July, présenté en compétition à Deauville, sort en salles le 31 décembre en France. –
Par Claire Cornillon PERSONNAGE D'AMÉRICAIN MOYEN confronté à l'angoisse et à la violence, mise en scène carrée, maîtrise de la lumière, de l'espace et du montage, musique lugubre au synthétiseur : on croirait se trouver au beau milieu d'un film de John Carpenter. Mais le visage de Michael C. Hall, malgré la coupe mulet, indique que nous ne sommes plus à cette époque. Celui qui interprète le tueur psychopathe le plus aimé de la planète dans la série Dexter est ici un père de famille ordinaire qui se trouve mêlé à une histoire sordide. Richard, qui tremble en tenant un pistolet parce que quelqu'un s'est introduit chez lui la nuit et tue l'intrus par erreur à cause du bruit inattendu de l'horloge, est bien loin de la froideur du policier/tueur de la série. Précisément, Dexter, - même si Mickle avoue ne pas avoir vu la série - joue inévitablement comme un sous-texte du film, comme si la capacité à la violence de l'acteur n'attendait que le moment de ressurgir sous le masque de ce nouveau rôle.
– Derrière la fenêtre
LE VIOLENCE EST PARTOUT, sous le vernis de la vie quotidienne d'une petit ville. Il y a d'abord cette première mort, matricielle, et puis les conséquences qu'elle va avoir. Car le jeune homme que Richard a tué avait un père qui compte bien venger la mort de son fils. Mais les choses ne sont pas si simples et les deux hommes découvrent que le décédé n'est pas celui qu'ils pensaient. Il est temps de mener l'enquête pour découvrir ce qui se cache derrière cette mise en scène. Au-delà des petits jardins et des porches fleuris, on découvre des policiers véreux, des ex-taulards et des détectives pittoresques, le tout sur fond d'industrie du snuff movie. Le bain de sang est dès lors inévitable. Pas dans une violence triomphante à la Tarantino mais bien en une violence ambiguë et glauque qui crée le malaise et qui pose la question centrale : de quoi chacun est-il capable ?
LA FORME MÊME DU FILM D'HORREUR, à laquelle emprunte beaucoup la première partie de Cold In July, construit intrinsèquement ce soubassement du quotidien. Dans tout espace vide du cadre peut surgir le danger. Et Mickle joue de ce procédé, faisant sortir son personnage du champ, laissant des espaces libres, qui infligent au spectateur une tension permanente, même lorsqu'elle est déçue. Si l'on ne voit rien pour l'instant par cette fenêtre, il se pourrait bien que l'on voie quelque chose apparaître la seconde d'après. Inscrivant réellement son travail dans le cinéma de genre, Mickle en propose une lecture organique qui se sert des codes non parce qu'ils existent mais parce qu'ils peuvent construire du sens.
– Derrière l'écran
EN CE SENS, L'HISTOIRE, tirée par les cheveux, soulignée par un second - voire un troisième ou quatrième - degré omniprésent, se construit comme l'exploration d'un imaginaire qui s'est exprimé dans le cinéma hollywoodien, du western au thriller, en passant par le film d'horreur. La question de la violence y occupe une place centrale et trouve chez Mickle, un traitement à la fois traditionnel et contemporain. En revisitant un temps du cinéma qui n'est plus, il se situe à une distance médiane, ni trop près ni trop loin de son sujet. Sans tomber complètement dans le grotesque ou l'auto-référentialité, il ne les laisse pour autant jamais tout à fait de côté. Dans un jeu d'équilibriste, il parvient à surprendre tout en savourant le plaisir du même. Finalement, c'est le rythme et la construction du film qui assurent son efficacité. S'inscrivant in fine comme un véritable thriller qui aurait pu se transformer en tout autre chose, Cold In July dévoile une ligne directrice malgré l'ensemble des embranchements, des décrochages et des revirements. C'est là que se situe peut-être sa plus grande surprise.
MICKLE EXPLIQUE ÊTRE INFLUENCÉ par les thrillers coréens qui mettent en place un cinéma "auquel on ne pense même pas à Hollywood. Ils peuvent combiner une intense violence et un comique presque splastick". Ce qui l'a intéressé dans le livre, dont est issu le scénario du film, c'est "qu'à chaque fois que l'on croit l'avoir cerné et savoir où il va, il part sur une autre voie. Et ce n'est pas seulement un effet de style, mais il le fait de manière organique". Ainsi, l'arrivée de Don Johnson, dans sa décapotable rouge et ses bottes de même couleur, donne une toute nouvelle énergie au film qui se lance sur la piste du trio improbable après la tension forte des débuts de l'histoire. Du film glauque à la lueur des phares de voiture, on passe à la couleur d'un humour, tout aussi noir, mais plus marqué. Le personnage pittoresque de Jim Bob Luke revisite à son tour une partie de l'imaginaire américain. De la même manière, le personnage incarné par Sam Shepard représente une autre génération, une sorte de personnage de western qui demeure comme une résurgence d'un passé pas si lointain. Ce sont ces différentes facettes de l'Amérique qui se superposent à travers les personnages mais aussi à travers les références cinématographiques qui leur correspondent. Pas étonnant alors que le film projeté au drive-in soit The Night of the living Dead, film culte de Romero mais qui inscrit aussi le cinéma de genre dans un regard critique sur la société américaine.
– Derrière le masque AU-DELÀ DE CES JEUX, tout tourne finalement autour de Richard, qui est de tous les plans, homme seul qui se trouve embarqué dans des événements qui révèlent à la fois une part du monde dans lequel il vit mais aussi une part de lui-même. S'il doit au départ gérer sa propre culpabilité et, littéralement, laver le sang sui s'étale désormais sur le mur de son salon, alors que le shériff local a l'air de penser que son action était tout à fait normale, il se trouve par la suite plus profondément confronté à sa propre capacité de violence. La question du retour à la normale devient récurrente. En quoi consiste ce "normal", ce "quotidien" ? Le jeu métafictionnel subtil que pratique ici Mickle se dessine en écho avec l'ensemble des thématiques du film qui travaille constamment sur les retournements de situation et sur la dynamique de dévoilement : il s'agit d'ôter les masques pour tenter de comprendre qui est le bon et qui est le méchant. Etant entendu dès le départ, comme chez William Friedkin - autre référence très nette du film -, que les bons se feront plutôt rares.
C. C. --------------------------- à Deauville, septembre 2014 Cold in July, thriller américain de Jim Mickle Avec Michael C. Hall, Sam Shepard, Don Johnson...
Durée : 1h49
Sortie le 31 décembre 2014