L`Intermède
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POUR LA CINQUIÈME ANNÉE CONSÉCUTIVE, le Festival du cinéma américain de Deauville a ouvert ses portes aux séries télévisées. Le 6 septembre, une table ronde animée par Stéphane Foenkinos a réuni quatre scénaristes – deux Français (Franck Philippon et Vincent Poymiro), un Britannique (Tony Grisoni) et un Suédois (Hans Rosenfeldt) – pour parler de l’écriture sérielle, des remakes transculturels et de l’évolution du genre. Quatre ans après la première table ronde de Deauville - Saison 1 (lire notre article), focus sur ces nouvelles séries qui façonnent le paysage audiovisuel international.

Par Sylvaine Bataille, Florence Cabaret et Sarah Hatchuel


No Limit & Ainsi Soient-Ils (2012)

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FRANCK PHILIPPON A AINSI PRÉSENTÉ la genèse de la série No Limit, diffusée sur TF1 depuis 2012, qu’il a créée avec Luc Besson et dont la deuxième saison est en cours de tournage. No Limit est une comédie d’action qui reprend l’univers de Besson, faisant notamment référence à Nikita (1990) ou Léon (1994). La série mêle espionnage et polar sur un ton qui se veut léger et comique. Les personnages doivent concilier leur vie d’espion avec leur vie privée et donc mentir à leur entourage. Besson, qui souhaitait créer une série, a pour ce faire racheté une société de production qui a intégré le groupe Europa, qu'il dirige. Philippon connaissait bien les deux producteurs de cette société et admire les films de Besson. Il lui a proposé plusieurs concepts de série, ce qui a conduit à un "ping-pong" créatif jusqu’à l’écriture du pilote. Si Philippon s’est occupé des phases intermédiaires de l’écriture, Besson est intervenu pour changer parfois la structure narrative. Il est resté très impliqué dans l’écriture des épisodes au début de chaque saison mais s’est retiré progressivement à cause de ses nombreux projets. Selon Philippon, la créativité bouillonnante de Besson et son œil de réalisateur lui permettent de penser en termes visuels et de mise en situation. Quant à un éventuel projet de remake de la série, Philippon pense que, s’il voyait le jour, ce serait dans le cadre de l’ouverture à l’international de la société de production.

EN FRANCE, UN MODÈLE SERAIT en train d’émerger progressivement où une personne incarnerait, un peu comme aux Etats-Unis, un vrai point de vue et une certaine continuité d’épisodes en épisode. Le "showrunner à la française"  est en train d’être inventé, mais lentement et au sein des traditions nationales. Cette personne référente doit nécessairement avoir un lien fort avec l’écriture ; elle doit aussi être impliquée dans les choix artistiques et la réalisation. Une équipe resserrée est nécessaire. Pour No Limit, les réalisateurs changeaient en cours de saison. Les épisodes étaient "cross-boardés", terme du jargon scénaristique pour décrire le tournage simultané de plusieurs épisodes. Cette façon de travailler décentre ainsi le référent : l’auteur-créateur-producteur exécutif devient la personne clé, plutôt que le réalisateur. Franck Philippon émet d'ailleurs le souhait d’une collaboration entre les figures du trio scénariste-producteur-réalisateur pour assurer une cohérence artistique sur la durée. C’est, selon lui, cette cohérence qui force le respect dans les séries américaines.

PHILIPPON CO-DIRIGE DEPUIS 2013 la section "Formation à la série" de la FEMIS, un programme de fin d’étude sur un an. Ce cursus s’est ouvert sous l’impulsion des élèves, tant la cinéphilie moderne se nourrit maintenant des séries. Il y a quatre ans, un module "séries" avait déjà été ajouté, mais la FEMIS s’est rapidement rendu compte qu’il fallait aller plus loin. Ce cursus vise à donner des clés et des outils de réflexion pour créer une série, prônant à la fois l’humilité et la créativité. Il s’agit en effet de faire de ces étudiants de "très bons auteurs de séries des autres". Les exercices pratiques sont nombreux : écriture d’épisodes de séries existantes ; travail sur un projet personnel et original (en gardant à l’esprit que ce projet doit être adapté à l’univers français de la fiction) ; rencontres avec de nombreux professionnels pour se confronter à tous les métiers de la création sérielle (acteurs, monteurs, réalisateurs...). Les étudiants tournent finalement le pilote de leur série, en 26 ou 52 minutes.

VINCENT POYMIRO, CRÉATEUR D’Ainsi soient-ils – série sur l’église catholique – pour Arte, souligne la liberté de création dont il a pu profiter parce que "personne n’attendait la série". La rencontre avec le public a eu lieu de manière inespérée et Arte a demandé qu’une deuxième saison soit écrite. La question de la religion et de l’engagement fort de certains individus parlent sans doute à tout le monde, mais la religion n’est pas institutionnalisée à ce point dans tous les pays. C’est peut-être pour cette raison qu’il n’y a pas de remake en pays anglophone ou scandinave ; mais il y aura sans doute un remake européen en langue anglaise. La série s’est surtout vendue dans des pays du sud de l’Europe avec lesquels la France a des convergences culturelles certaines. Le scénario d’Ainsi soient-ils a pu être retravaillé jusqu’au montage, afin de tenir compte de la réalité du tournage. Tout a été écrit avant de commencer à tourner et tout a donc été cross-boardé, notamment pour des raisons économiques. Le montage ne commence qu’à la fin du tournage. En conséquence, le temps de fabrication est très long. L’équipe de créateurs est resserrée, mais le travail est collectif. Les décisions sont prises en commun après discussions. Vincent Poymiro met l’accent sur le fait que le cinéma français a trop longtemps souffert de la prépondérance de "l’auteur singulier et inspiré". Le showrunner ne doit pas remplacer le réalisateur et bénéficier de ce même pouvoir.



Southcliffe (2013)

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LA TABLE RONDE était aussi l'occasion d'échanger sur deux séries étrangères, présentées par leur créateur mais aussi commentées par les scénaristes français présents. Ainsi de la mini-série Southcliffe, créée par Tony Grisoni (quatre épisodes) pour Channel 4 en 2013. L’action a lieu au bord de la mer dans une petite ville imaginaire. Grisoni a fait des repérages dans le Kent pour trouver l’endroit de tournage idéal et créer un vrai sens spatial dont se nourrit l’histoire. Il y a eu deux ou trois versions de Southcliffe, l’écriture tenant compte, en temps réel et de manière très réactive, des contraintes du tournage. Mais le travail de scénariste s’est également prolongé pendant le montage, qui joue à plein dans la réussite de la série. Ainsi, au début du récit, un personnage se met à décimer les habitants d’une manière qui semble totalement incompréhensible au préalable. La série va alors être construite en multipliant les torsions temporelles, à travers des flashbacks et des flashforwards qui font appel à l’intelligence des spectateurs pour les situer dans le temps et comprendre comment la fusillade a pu avoir lieu. A travers les flashbacks, on pénètre dans la vie de chaque personnage en sachant ce qui va arriver, ce qui produit un nouveau regard sur l’action. Grisoni s’est inspiré du film Rashomon (Akira Kurosawa, 1950) où le même événement est conté sous différents points de vue.

SELON VINCENT POYMIRO, LA VILLE, dans Southcliffe, est explorée comme un monde. Elle se présente comme une "fiction en éclats", un espace de colère qui égrène les éléments d’explication d’une tuerie qui ne pourra jamais être vraiment expliquée. Comme le fait remarquer Franck Philippon, la construction narrative tout en nuances dans le raccord entre les différentes temporalités maintient le suspense jusqu’à la fin même si le point culminant et le coupable sont connus dès le début de la série. Vincent Poymiro souligne également à quel point le lieu reflète l’action : en étant au bord de la mer, la ville fait face au vide et à l’inconnu.

AU COURS DE LA TABLE RONDE, Tony Grisoni a indiqué que le nom du réalisateur jouait, auparavant, le rôle d’une marque pour aider à financer des projets ; à présent, c’est la série elle-même qui devient sa propre "marque", c’est le projet que l’équipe sert qui devient le label permettant de vendre la série. L’arrivée de Netflix en France pourrait, à ce titre, être une bonne nouvelle : un nouvel acteur sur le marché pourrait, en effet, aider à financer des projets ; mais il faut que Netflix soit prêt à prendre des risques et à investir dans la production locale. Il ne doit pas finir par phagocyter tous les autres acteurs et imposer ses propres règles.



Bron (2013)

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LA SERIE SUÉDO-DANOISE BRON (littéralement "le Pont"), créée par Hans Rosenfeldt, a connu un tel succès international qu'elle a déjà fait l’objet de deux remakes : The Bridge, créé pour les États-Unis, et Tunnel, une coproduction franco-britannique. L'originale a vu le jour grâce à une contrainte de co-production. Alors que les Suédois achètent traditionnellement les productions danoises, la réciproque n’est pas vraie. Pour changer cet état de fait, il a fallu penser à une série co-produite par les deux pays, à une histoire criminelle qui nécessiterait la collaboration de policiers danois et suédois – d’où l’idée d’un cadavre retrouvé à l’exact milieu d’un pont séparant les deux pays. Métaphore, selon Poymiro, de la confrontation à l'altérité : la série met les personnages face à l’Autre (à la fois connu et inconnu), et le pont est à voir à la fois comme un mur qui sépare et un lien qui unit. Rosenfeldt a écrit quatre épisodes d’emblée avant que le tournage ne commence, puis a retravaillé l’écriture pendant le tournage lui-même.

EN SUÈDE, IL N'Y A PAS DE SHOWRUNNER comme aux Etats-Unis : c’est le scénariste qui a le dernier mot. Hans Rosenfeldt ne s’attendait pas à ce que sa série fasse l’objet de remakes dans d’autres aires culturelles. Les Pays-Bas et la Belgique ont été les premiers à diffuser la série, puis le Royaume-Uni – ce qui a accéléré le processus. Il a regardé quelques épisodes des autres versions, mais s’est arrêté car il ne cessait de repérer ce qui avait été gardé de la série originelle et ce qui avait été transformé. Par exemple, Tunnel n’utilise pas les mêmes contraintes de temps : chaque épisode dure environ dix minutes de moins que ceux de Bron. La Scandinavie a une longue tradition de littérature policière mais une étape a été franchie avec la trilogie des romans Millenium de Stieg Larsson et leur adaptation tant au cinéma qu’à la télévision. La chaîne anglaise BBC4 a alors commencé à diffuser des séries scandinaves comme The Killing ou Borgen. Les productions scandinaves ont, depuis, le vent en poupe (voir la diffusion des deux saisons de Real Humans sur Arte ces derniers mois). Ironiquement, les spectateurs découvrent souvent l’histoire à travers l’un des remakes, puis se mettent à regarder l’original.


S.B.F.C.S.H.
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à Deauville, septembre 2014

Compte rendu de la Table ronde Deauville - Saison 5  : "L’adaptation ou l’art de se réinventer", samedi 6 septembre, Terrasses du CID, 10h30-12h
 
 



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Crédits photos :
Photo 1 : No limit © Europacorp Television / TF1
Photo 2 : Southcliffe © Channel 4
Photo 3 : Bron © Nimbus Film ApS