L`Intermède

collections, édition, science-fiction, folio SF, moutons électriques, rayon fantastique, ailleurs et demain, présence du futurL'édition SF : des livres et des mondes

Qu'on nous l'ait mis entre les mains, qu'ils nous ait appelé sur les étagères d'une bibliothèque ou d'une librairie, qu'on l'ait choisi pour son titre, sa couverture, sans raison précise ou avec une curiosité farouche, en sachant où l'on mettait les pieds ou par le plus grand des hasards, tout commence par un livre. Malgré le raz-de-marée de la fantasy et le retour remarqué du fantastique et de l'horreur autour de la "bit-lit" - des histoires de vampires - il semblerait que la science-fiction continue à tenir la barre et à exister.  A l'occasion des dix ans de Folio SF, l'une des collections de poche phares du genre aujourd'hui, petite randonnée sur les sentiers de l'édition du genre.


Historiquement, la science-fiction est une littérature qui se publie en poche. La première collection française  consacrée au genre est ainsi Le Rayon fantastique, éditée par Gallimard et Hachette et créée en 1951. On y trouve pour la première fois des oeuvres incontournables  comme Fondation d'Isaac Asimov, Planètes à Gogos de Frederik Pohl ou La Trilogie Cosmique de C.S. Lewis. Les collections grands formats importantes sont rares, si l'on excepte bien sûr la celèbre Ailleurs et demain chez Robert Laffont, dont les couvertures dorées puis argentées marquent d'une empreinte indélébile l'histoire des collections françaises de science-fiction. Son directeur, Gérard Klein, y fait paraître des chefs-d'oeuvres comme Dune de Frank Herbert ou Le monde du Fleuve de Philip José Farmer. A la fin des années 1990 et au début des années 2000 cependant, les habitudes de consommation changent et les lecteurs achètent davantage de grands formats. L'Atalante, le Bélial, Memnos ou Bragelonne font alors leurs premiers pas. A cette même époque, la prestigieuse collection de poche Présence du futur chez Denoël, qui appartient au groupe Gallimard, se vend de moins en moins et les coûts de publication des livres augmentent. La collection est arrêtée. Lunes d'encre chez Denoël est créée pour les grands formats et l'on propose une nouvelle déclinaison "SF" de la collection Folio qui rassemble tous les poches chez Gallimard. C'est ainsi que naît Folio SF en Octobre 2000. Trente titres sortent dès le lancement, dont des poids lourds comme Farenheit 451  de Ray Bradbury, Les neuf princes d'Ambre de Roger Zelazny, Fondation d'Isaac Asimov, Substance Mort de Philip K. Dick ou encore La couleur tombée du ciel de H.P. Lovecraft. La collection a en effet la chance de disposer des ressources du catalogue de Présence du Futur où ont été publiés entre 1954 et la fin des années 1990 plus de six cent titres. Et non des moindres.

"Le ton était donné dès le départ, expliquait  Pascal Godbillon l'actuel directeur de Folio SF, le 11 décembre dernier lors d'une conférence aux Rencontres de l'Imaginaire de Sèvres. Folio SF serait LA collection de référence. C'est ce qui était en tout cas souhaité dès le départ. Il s'agissait aussi de présenter les textes dans les meilleures collections, édition, science-fiction, folio SF, moutons électriques, rayon fantastique, ailleurs et demain, présence du futurconditions possibles, avec de nouvelles traductions ou des traductions revues, des préfaces, des textes complets et dans un ordre le plus cohérent possible. Les meilleurs exemples de cela sont l'Histoire du futur de Robert Heinlein et Les Seigneurs de l'Instrumentalité de Cordwainer Smith". En effet, les textes tronqués et les traductions plus qu'approximatives n'étaient pas rares par le passé dans le domaine de de la SF. Aujourd'hui, dix ans après sa création et trois directeurs plus tard - Sébastien Guillot laisse la place en 2004 à Thibaud Eliroff et Pascal Godbillon en prend la tête en 2006 - la collection représente 324 titres, 150 auteurs et plus de cinq millions de livres vendus. Et quand on interroge son directeur sur la ligne éditoriale, il répond simplement : "La ligne éditoriale de Folio SF, c'est moi. J'ai la chance d'avoir une confiance quasi aveugle de ma hiérarchie. Folio SF ce sont mes coups de coeur à moi, mes choix, les livres que j'ai envie de défendre. Par exemple, Janua Vera de Jean-Philippe Jaworski, lorsque j'ai fait une offre de reprise en poche, s'était vendu à moins de trois milles exemplaires, c'est un recueil de nouvelles de fantasy écrit par un auteur français : le contrôleur de gestion penché sur votre épaule dans ces cas là, il est par terre, exsangue et il crie non. Mais on m'a dit ok. Aujourd'hui on a dépassé les neuf mille exemplaires écoulés." Tout comme Le livre de poche science-fiction dirigée par Gérard Klein, Folio SF s'est imposée aujourd'hui comme une référence.

Parce que le marché du poche était largement dominant dans le domaine de la SF, contrairement à d'autres champs éditoriaux, les inédits étaient souvent publiés directement en poche sans passer par le grand format. Une spécificité qui demeure chez Folio SF, qui propose à son catalogue une trentaine d'inédits. Bios de Robert Charles Wilson avait ainsi ouvert la voie en 2000. Depuis, La voie du sabre de Thomas Day et tout récemment le dernier Hal Duncan Evadés de l'enfer ont suivi. "Folio SF est une collection qui se veut une bibliothèque idéale et une sorte de musée mais il faut montrer la palette la plus large possible, d'où la présence des inédits d'auteurs que nous croyons être les classiques de demain", poursuit Pascal Godbillon.

Dans le nouveau contexte du poids massif de la fantasy et de l'arrivée de termes comme "transfictions" qui désigne, selon Francis Berthelot, des textes qui sont à la frontière entre les genres, la question des limites génériques se pose de plus en plus. Dans les années 1990, le terme de fantasy était encore peu connu et tous les genres de l'imaginaire se trouvaient au rayon SF des librairies. Aujourd'hui, la réalité est plus complexe. Une collection comme Folio SF, même si son catalogue puise essentiellement dans la science-fiction, publie pêle-mêle de la fantasy, de l'étrange, des transfictions, du fantastique... "Au moment de la création de la collection, rappelle  Pascal Godbillon, il y a eu des batailles épiques concernant le nom qu'elle devait porter : certains écrivaient de longues lettres pour expliquer pourquoi elle devait absolument s'appeler collections, édition, science-fiction, folio SF, moutons électriques, rayon fantastique, ailleurs et demain, présence du futurFolio SF et d'autres pourquoi elles ne devaient absolument pas s'appeler Folio SF. Antoine Gallimard a tranché." Cette question de l'étiquette pourrait paraître futile si elle ne constituait un vértiable enjeu dans le domaine de l'édition. André-François Ruaud, directeur et créateur de la maison d'édition spécialisée Les Moutons électriques, remarque ainsi : "Si l'on ne considère que le genre littéraire "science-fiction" et que le rayon de librairie qui porte ce label, alors force est d'avouer que ce marché est moribond. S'y vendent en quantité la bit-lit et la grosse fantasy qui tâche ; il n'y a plus ni la place ni le public dans ce rayon pour une SF un tant soit peu exigeante, qui aille au-delà du simple space opera. En revanche, on peut considérer qu'en réalité la SF, imaginaire majeur du XXe siècle, s'est intégrée partout au tournant du XXIe siècle - la SF est devenue moins visible et donc plus ou moins invendable sous ce nom, mais elle a tout contaminé. Il se publie beaucoup de SF en-dehors du rayon spécialisé. Seulement, elle n'est plus étiquetée SF". De fait des romans comme La route de Cormac MacCarthy, Comme le fantôme d'un jazzman dans la station Mir en déroute de Maurice G. Dantec ou La possibilité d'une île de Michel Houellebecq ne sont pas publiés dans une collection science-fictionnelle, et y trouveraient pourtant aisément leur place.

Sur la couverture d'un livre s'appose donc les étiquettes de genre mais aussi certains codes graphiques. La présence ou non d'illustrations est un choix stratégique important. La SF est traditionnellement un genre de l'illustration, et ses collections se distinguent par leurs parti-pris esthétiques ou le choix de leur dessinateur fétiche : on repère sans difficulté les couvertures aux univers surréalistes peints par  Wojtek Siudmak pour Pocket SF comme on connaissait la facture spécifique  et expressive des dessins de Jean-Michel Nicollet pour les Editions Néo. Mais au-delà de la seule illustration de couverture, l'aspect  général du livre semble aujourd'hui plus que jamais un enjeu essentiel. Selon Andre-François Ruaud, "l'évolution qui s'amorce vers le livre numérique force dans un premier temps à reconsidérer l'objet livre-papier. Il nous semble que seuls survivront les livres-papier, qui ne sont pas qu'un simple support de texte, qui ne sont pas qu'un bête tas de feuilles, mais qui apportent un surcroît d'information (images) et de qualité (présentation très soignée, confort de lecture, beauté de l'objet). D'où notre volonté d'avoir une large marge à l'intérieure des pages, par exemple. Un livre-papier est un artefact, et les lecteurs aiment les conserver - cet objet doit donc être beau, désirable, et valoir la peine d'être effectivement conservé." Dans un domaine comme la littérature de genre où les pratiques de collectionneurs sont fréquentes, l'objet-livre est bien un enjeu de taille. 

collections, édition, science-fiction, folio SF, moutons électriques, rayon fantastique, ailleurs et demain, présence du futurEt qu'en est-il des essais sur le genre ? Si Folio SF a fait paraître quatre guides de lecture inédits sur la science-fiction, la fantasy, le fantastique et les transfictions, et si Bragelonne publie des actes de colloque sur les littératures de l'imaginaire, Les Moutons électriques ont particulièrement développé cette pratique,  encore peu présente sur les rayons des librairies. "Le projet de départ, explique André-François Ruaud, était de publier des romans, recueils et essais de science-fiction et de fantasy, de relancer la revue Fiction (version française de la revue américaine F&SF), et de lancer aussi une collection d'étude sur les grandes figures du roman policier et de la littérature populaire (la Bibliothèque rouge). Cette ligne éditoriale a partiellement échoué, nos romans se vendant trop peu. Nous avons donc recapitalisé, réorganisé l'équipe et redéveloppé nos publications vers une approche non pas différente mais mieux ciblée, mieux organisée et non restreinte au seul rayon SF des librairies, qui s'avérait être un ghetto de plus en plus étroit." Les Moutons électriques publient donc deux revues  (Fiction, toujours, et l'annuel Yellow Submarine) et trois collections : la Bibliothèque rouge, la Bibliothèque voltaïque - romans et recueils - et la Bibliothèque des miroirs pour les essais/beaux-livres (selon l'optique du rayon "Popular Studies" des librairies anglo-saxonnes). "Le tout orienté de manière large sur les genres de l'imaginaire, du polar et de toutes les grandes thématiques nées de la culture de masse (zombies, vampires, mangas, super-héros, etc.)."  La preuve par les pages que les genres de l'imaginaire, dont on a maintes fois prédit la disparition, renaissent aujourd'hui de multiples façons, en mutants de l'édition.
 
Claire Cornillon
Le 14/01/11


Légendes et crédits photographiques:
1 Couverture de May Le monde, Michel Jeury, coll. Ailleurs et Demain, Robert Laffont
2 Couverture de Gens de la lune, John Varley, coll. Folio SF, Gallimard
3 Couverture de A la poursuite des Slans, A E Van Vogt, coll. Le rayon fantastique, Gallimard et Hachette
4 Couverture de Je suis une légende, Richerd Matheson, coll. Folio SF, Gallimard