A vos marques, prêt, animez
Après plusieurs années de préparation et une attente grandissante, Redline, premier long-métrage animé du Japonais Takeshi Koike, a été enfin présenté en août 2009 au festival de Locarno, puis en novembre 2010 aux Utopiales de Nantes où il a remporté le prix SyFy du public et une mention spéciale du jury. Le film entre sans difficulté dans le genre de la science-fiction, avec ses extraterrestres au physique déroutant, ses planètes aux paysages arides et désertiques, et ses armes de guerre surpuissantes. Mais par-delà le cadre de l'imagerie science-fictive, Redline est surtout, de façon étourdissante, un film de courses de voitures explosif et tourbillonnant, qui ne laisse aucun moment de répit.
Redline a généré bien des attentes. Et l'une des raisons principales est que l'auteur du scénario, Katsuhito Ishii, est loin d'être un inconnu. Koike avait déjà travaillé avec lui, en réalisant l'ouverture animée de son film
Party 7 (2000), où un yakuza s'enfuit avec un attaché-case rempli de billets. De son côté, Ishii a écrit le scénario du court-métrage de Koike
Trava - Fist Planet (2003), où les deux pilotes extraterrestres d'un vaisseau spatial recueillent une jeune fille sexy trouvée dans l'espace - des personnages qui figurent à nouveau au générique de
Redline. Ishii est encore connu pour avoir dessiné les personnages de la séquence animée de
Kill Bill de Quentin Tarantino, mais aussi comme réalisateur du court-métrage
The Taste of Tea, multi-primé en 2004 et 2005. Pour parfaire encore le tableau, le studio Madhouse, qui a soutenu leur projet, est célèbre pour avoir produit des séries animées comme
Chobits,
Gunslinger Girl,
Monster, l'adaptation de
Gen d'Hiroshima ou les films de Satoshi Kon (le schizophrénique
Perfect Blue, ou l'onirique
Paprika). Bref, une photographie de famille virevoltante, dont la frénésie le dispute à la virtuosité.
Redline commence sur une autre planète. Les autochtones attendent avec impatience l'arrivée des coureurs. Dans la foule, un enfant souhaite que son père, particulièrement lent et peu doué, filme la course. Soudain, les concurrents arrivent à une vitesse inégalée. Une course sans pitié s'est engagée entre le tenant du titre, Machine Head, une sorte de cyborg taurin qui ne fait qu'un avec sa machine, et ceux qui lui disputent la première place. Se distinguent Sonoshee, une frêle jeune fille blonde dont la voiture de course a de multiples ressources, et JP, un jeune homme à la mèche de rocker hypertrophiée. Il apparaît que son manager s'est fait payer pour truquer la course, et JP doit laisser croire qu'il peut gagner afin de faire monter les paris, avant de perdre devant la ligne d'arrivée. C'est alors Sonoshee qui remporte le pompon. La prochaine course, aussi prestigieuse que clandestine, se passe sur une planète militaire où elle est interdite. Des coureurs plus attachés à leur vie qu'à la
gloire se désistent, et JP part à nouveau en lice. Pour lui comme pour les autres, c'est une occasion qui ne se représentera pas avant cinq ans. Le choix d'un monde régi par un gouvernement jaloux de ses secrets militaires présente cependant un handicap indéniable : il faudra compter non seulement avec la technologie et les mauvais coups des concurrents, mais aussi avec l'intervention de toute une armée. Le rallye se double alors d'une guerre interplanétaire.
Si le cadre narratif semble sérieux, le film, à ce moment de l'intrigue, a déjà basculé dans le délire depuis longtemps, secoué par la vitesse effarante de l'animation et une musique rock assourdissante. Le graphisme, qui n'est pas sans rappeler certaines oeuvres de bande dessinée, mêlant les noirs et blancs de l'Argentin José Muñoz (
Alack Sinner) aux traits anguleux du Belge Andreas (
Rork), s'autorise des allongements maniéristes et autres anamorphoses. Le réalisateur n'a rien laissé au hasard, puisque la voix de JP est dévolue à Takuya Kimura - Hauru dans
Le Château ambulant de Hayao Miyazaki - et que Sonoshee prend la voix de Yû Aoi - entendue dans des animés comme
Henshin,
Mushishi ou
Amer béton, et vue dans le film
Hana et Alice.
Le cadre de la science-fiction rend licites les scènes les plus extravagantes, comme l'irruption de l'armée dans un restaurant de spaghettis vivants, ou l'affrontement entre les bolides et une arme biologique lancée contre eux, un monstre qui rappelle le géant destructeur de
Nausicaä de la vallée du vent, contrôlé à distance par un ministre plongé dans une sorte de piscine. Des passages de transmissions télévisées créent régulièrement un effet de mise en abyme qui rappelle l'insertion de clips de propagande dans le montage du
Starship Troopers de Paul Verhoeven. Il s'agit tout autant d'un procédé narratif que d'une source féconde de comique. Les spots télévisés qui présentent rapidement les coureurs fonctionnement comme des parodies de ces personnages hétéroclites. Le champion en titre, une brute titanesque de chair et de métal, est ainsi montré tenant un roquet dans ses bras, le tout accompagné d'une musique suave où une voix susurre son nom :
"Machine Head". L'érotisme est exhibé au second degré : Sonoshee se plaint qu'on ait filmé ses fesses lors d'une interview, alors qu'elle est montrée chez elle les seins nus. L'opposition entre public et privé se trouve dynamitée par le regard voyeuriste du réalisateur, qui met en abyme ses fantasmes pour mieux les montrer. Tout aussi bouffonne est la scène où deux femmes originaires d'une planète de fées transforment leur engin en robot qu'elles guident depuis leur capsule, chacune logeant dans des globes placés à l'endroit des seins.
Ainsi, la violence de
Redline, pour être présente, est-elle très éloignée de celle qui domine la scène de l'animé de science-fiction - ne citons que les mémorables
Akira d'Otomo ou
Ghost in the Shell de Mamoru Oshii. Il faut aussi replacer le long-métrage de Koike dans son contexte : pour original qu'il soit, il rappelle les publicités pour Honda ou Rally's/Checkers du sud-coréen Peter Chung, qui avait réalisé le segment "Matriculated" du film
Animatrix en 2003, auquel Koike avait lui-même participé avec le segment "World Record". Courses-poursuites et science-fiction étaient déjà au rendez-vous dans
Dead Leaves de Hiroyuki Imaishi (2004), sans parler des couleurs criardes et de l'humour corrosif.
Redline s'inscrit dès lors dans la lignée d'une animation asiatique qui investit de manière ludique des champs de divertissement considérés comme fortement masculins (les courses de voitures, la science-fiction, les combats et autres compétitions, l'érotisme) pour les subvertir au moyen d'un humour grotesque et démystificateur, qui n'hésite pas à recourir à la mièvrerie du roman-photo pour clore de façon délicieusement kitsch une histoire complètement loufoque. Pour tous ceux qui attendaient un événement, il peut apparaître comme une simple pochade ; c'est aussi un réjouissant et décomplexé jeu de massacre.