L'héritage de Philippe Starck en quatre portraits de designers
3. Ito Morabito, dit "Ora-Ïto"
Né en 1977 - 32 ans
Agence : Ora-Ïto
Formation : Autodidacte
Distinction : 2002 - Oscar du meilleur packaging aux Oscars du design
Spécialisation : Designer industriel
Point Fort : La Communication
Ora-Ïto, de son vrai nom Ito Morabito, est à la fois le nom de l'agence et le pseudonyme du jeune designer révélé par le pouvoir de la presse. Fils du designer-joailler Pascal Morabito, présent sur la place Vendôme, et neveu de l'architecte Yves Bayard, le jeune Ito est né dans un milieu artistique privilégié, mais ses débuts sont chaotiques : il commence ses études dans une école de design, mais s'en fait renvoyer après une année seulement, et part alors travailler pour un architecte, puis pour le créateur de chaussure Roger Vivier. A 21 ans, il décide de se lancer en solo et créé son propre label. En 1998, Internet est en plein essor : son agence Ora-Ïto rebondit sur cette opportunité, et se développe sur la toile. Collaborateur de la revue Crash, il réalise pour le magasine le rêve de tout jeune designer, en concevant un série de produits pour des marques prestigieuses telles Apple, Vuitton, Gucci etc.... sans leur demander leur avis. Il publie sur son site internet les vues 3D d'un sac Vuitton, de mini-dosettes pour Perrier ou même une maison Gucci. Il va jusqu'à en concevoir des fausses campagnes de publicités qui seront publiées dans le magasine Jalouse. Très vite, persuadés d'avoir affaire à des produits commercialisés, des clients potentiels se font connaitre et réclament aux marques ces produits imaginaires. Des Japonais demandent son sac chez Vuitton, modèle qui sera même contrefait en Chine, la réalité rattrapant la fiction. Intriguées, ces dernières décident de ne pas poursuivre en justice ce jeune designer jusqu'alors inconnu, mais qui arrive à faire parler d'elles, et de lui. Bien au contraire, elles décident de s'octroyer les services de ce professionnel de la communication et lancent ainsi sa carrière à grande vitesse. Son nom de scène, qui veut dire en sioux "qui construit l’imaginaire", a donc une résonnance prémonitoire pour celui qui construit le début de sa carrière uniquement sur des croquis. Ora Ito a réussi à dépasser le premier écueil de tout jeune designer : il a du talent mais, surtout, il le fait savoir.
C'est avec son projet d'une bouteille élégante en aluminium pour Heineken en 2002 qu'Ora-Ïto est reconnu par ses pairs : à 25 ans, il se voit décerné l'Oscar du meilleur packaging. Sa réalisation est un succès inconstable en réussissant à rendre glamour et désirable une marque qui cherchait à élargir sa cible notamment vers le marché féminin. Il dessine ensuite le 
flaconnage des parfums "Three" de Adidas, puis celui de "Muse" de Joop!, un étui à cigarette pour Davidoff ainsi que la bouteille toute en rondeur de l'eau ogo "enrichi en oxygène" en 2003. Certaines des plus fameuses maisons d'édition de mobilier design font également appel à lui. Ainsi Cappellini lui confiera la création de la chaise longue Petal et Artémide, une série de lampes (One Line et Monroe) Il collabore aussi avec LaCie pour deux disques dur externes en forme de brique Lego et de vague d'or liquide. Son style, qui se fond dans les codes de ses clients, se reconnait par un design lissé, élégant, futuriste, qui peut parfois se montrer humoristique mais aussi un rien glacé. Il résume son style par le terme de "simplexity", mélange de simplicité et d'épure mais non évident car résultant d'un travail complexe et de longue haleine.
En 2003, sa carrière est à son acmée. Ora-Ïto multiplie les projets d'architecture d'intérieur pour des projets emblématiques de marques telles que le showroom Toyota sur les Champs Élysés, le club Le Cab à Paris, les bureaux de Nike à Paris, un casino à Las Vegas... Le jeune designer touche un peu à tout. Il conçoit une nouvelle identité graphique pour les produits L'Oréal's Studio Line, dessine la couverture de l'album 10,000 Hz Legend. du groupe Air et les décors du film Gothika de Mathieu Kassovitz. Il orchestre également des campagne publicitaires pour Alain Mikli, Levi’s... et est nommé responsale de l'identité visuelle de la chaine de télévision naissante, Pink TV. Le magasine WallPaper, bible du design, le cite dans les 40 personnes les plus influentes du monde de la création. Toutefois, sa soif de médiatisation peut parfois sombrer dans le ridicule avec des collaborations malheureuses. À l'occasion du lancement d'une petite cuillère destinée à la "dégustation" du yaourt Gervita Ora-Ïto arrive alors à réunir des célébrités pour un exposition consacrée à ... cette petite cuillère !
Révelé par les marques, ces dernières sont le plus fidèle allié et la plus grande force du designer. Il avoue d'ailleurs être fasciné par celles-ci depuis son enfance, par leur histoire et les possiblités qu'elles procurent. Il leur offre d'ailleurs Paris en pâture dans son projet prospectif Paris 2010 où il recouvre l'arche de la Défense de la fameuse virgule de Nike et imagine la Tour Eiffel rachetée par Yves Saint Laurent. Ito ne cherche d'ailleurs pas à sortir de cette relation symbiotique et défend la liberté que ces dernières lui permettent : "Où pourrais-je trouver ailleurs les budgets pour faire exactement ce que je veux ?", fait-il mine de s'interroger. Mais Ora-Ïto pousse désormais la réflexion plus loin : plutôt que de travailler pour une marque dans l'ombre, pourquoi ne pas en devenir une soi-même ? Ainsi, le jeune designer décide de lancer sous son nom un parfum "Smiley" et pose pour les campagnes de publicité. Plus récemment, à l'instar de Starck, il décide non plus de réaliser pour le compte de marque des produits, mais plutôt de procéder à du co-branding. Ainsi le téléphone portable X-8 qu'il met au point pour Sagem en 2005 porte sa marque sur le côté. Désormais, plutot que de faire des produits "design by Ora-Ïto", il fait des cuisines Gorenje-Ora-Ïto ou des couverts Christofle-Ora-Ïto. Au delà de la simple vente de droits, le designer préfère des royalties.
Au début de sa carrière, ce jeune talent pop citait comme modèle Warhol et Starck, qui le surnommait affecteusement "fiston". Les deux posent d'ailleurs le diagnostique de la disparition du design, long débat qui ébranle régulièrement la profession qui aime à se faire peur. Ainsi Ora Ïto déclarait récemment : "Le style des années 2000, c'est la dématérialisation. C'est la fin du design. Bientôt, il n'y aura plus de lampes telles que nous les connaissons, juste un trait de lumière flottant dans l'espace. Tout est dans l'interface. La matière, elle, disparaît de plus en plus." Pourtant, l'élève a grandit et le père est passé du rang de mentor à celui de concurrent. Ora-Ïto rejette désormais Starck en tant que source d'inspiration en le décrivant comme trop vieux et lui recommande de (lui?) passer la main.
En vétéran du circuit, il recommande aux jeunes designers de prendre leur destinée en main et à son instar de ne pas hésiter à se lancer dans le grand bain de la création ... tout en veillant à la communication: "Notre génération est basée sur la communicatio
n. Utilisez la technologie, internet, voyagez... 30% de notre travail est basé sur la communication." Alice Rawsthorn, directrice du Design Museum de Londres prédit ainsi qu' ''Ora-Ito sera plus retenu pour son approche des stratégies de marque que pour son travail en tant que designer." Ainsi, s'il est vrai que les marques engagent des designers célèbres juste pour créér l'événement, cela a pour conséquence que le produit n'a pour seul valeur que l'écho médiatique qu'il engendre. Ora-Ïto, s'il a tendance à n'être percu que comme un mercenaire, a une approche qui a le mérite de l'honnêteté, en exposant sans ambiguïté le processus à l'oeuvre.
Crédits et légendes photos
Photo 1 Heineken : Packaging Heineken, 2002. Crédit Ora-Ïto - Heineken.
Photo 2 Lampe One Line, 2004. Crédit Ora-Ïto - Artémide
Photo 3 Smiley: Parfum Smiley, 2006. Crédit Ora-Ïto
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