MOCA, mesure de la démesure
Le Museum Of Contemporary Art de Los Angeles réunit, sur ses deux sites principaux Grand Avenue et The Geffen Contemporary at MOCA, plus de cinq-cent oeuvres de quelque deux-cent artistes pour célébrer ses 30 ans d'existence. Cet échantillon - équivalent à un dixième de sa collection totale ! - retrace une histoire de l'art moderne des années 1940 à nos jours, et fait la part belle aux artistes américains. Collection : MOCA’s First Thirty Years, jusqu'au 3 mai, une exposition totale à la hauteur de ses ambitions.
Longtemps seule grande ville américaine sans musée d’art contemporain, Los Angeles s’enorgueillit depuis 1979 d’un Museum Of Contemporary Art (MOCA) qui occupe aujourd’hui trois sites distincts et rassemble plus de cinq mille oeuvres. Mécènes, artistes, passionnés ont su faire de cette institution un pendant du mieux connu MoMA de New York City, contribuant ainsi au regain de la côte ouest dans le monde des arts, notamment en réunissant une collection remarquable d’art contemporain et en diversifiant les activités de présentation, éducation, soutien aux artistes et réflexion esthétique. L’anniversaire de 2009 est ainsi l’occasion de présenter une vitrine de cette collection aussi riche que diverse.
Sur le site de Grand Avenue : les maîtres de l’après-guerre, qu’il s’agisse des expressionnistes abstraits avec Jackson Pollock et Willem de Koonig, des
Grandes Figures de Giacometti, de Mondrian ou de Rothko.
Les Joueurs de Football de Nicolas de Staël et les
Personnages dans la nuit de Juan Miro achèvent de donner bonne contenance à ce début international.
Farbtafel de Gerhard Richter, fameuse palette de carrés colorés disposés par un procédé de hasard, fait encore partie de ces jalons internationaux rassemblés par le MOCA, quoique les artistes des États-Unis restent majoritaires. Parmi les
artistes du pop-art américain, Roy Lichtenstein, Robert Rauschenberg et Andy Warhol ajoutent un peu de volume et d’intérêt parmi les grilles absurdes et les carrés de couleur - cette dernière fût-elle le blanc - dont la nouveauté a depuis longtemps passé. On trouvera entre autres célébrités l’original de la
Campbell’s Soup Can de 1962.
Les artistes californiens font bonne mesure : Sam Francis notamment et ses balles bleues, enflées et maladives, côtoient le minimaliste Robert Irwin, dont les oeuvres incarnent la lutte entre la volonté de l’artiste et la résistance de la matière, ou Elaine Sturtevant qui travaille dans son
Stella Lake City sur le déplacement des toiles de Frank Stella, en vis-à-vis duquel elle se trouve. La peinture, fût-ce dans ses versions sculpturales, en relief ou en collage, tient le haut du pavé. Elle laisse pourtant place à quelques dessins déformant le corps humain du californien Paul MacCarthy, ou aux photographies funèbres d’Ana Mendieta, artiste cubaine installée à New-York.
Le site du Geffen, consacré à l’échantillonage de la période de 1980 à nos jours, offre une plus grande variété de médias : vidéos comme le
Import/export Funk Office de Renée Green, structures interactives telle la
Corner Piece de Bruce Nauman, sculptures et tentatives conceptuelles (le coin de petits chocolats entassés de Felix Gonzalez-Torres) se partagent cet entrepôt aménagé et aéré. Les grands formats photographiques des perdrix de Christopher Williams s’entourent de la ronde des minuscules clichés de Judy Fuskin. Quelques exemples d’art engagé témoignent des conflits postérieurs à la Seconde Guerre Mondiale, tel ce montage vidéo et sonore de Jun Nguyen consacré aux boat people.
Des enjeux comme le corps, à travers le voyeurisme du Suisse Pipilotti Rist, et la déconstruction de mythes sociaux, dans
Untitled (It’s a small world but not if you have to clean it) de Barbara Kruger, ou dans l’acerbe
Santas Claus mi-ketchup, mi-sanglant de Nobuyoshi Araki, voisinent avec la critique puissamment émotive de la démocratie américaine par Thomas Hirschhorn :
Non-lieux 2002 est une sculpture de cire colorée, de réclames de lessive et de magazines féminins, au sommet de laquelle flotte un drapeau "Democracy", et entourée d’un fossé rempli d’images d’hommes vêtus en islamistes, enfants portant des fusils, et bougies éteintes.
City Glow, une animation de style manga datant de 2005, de Chiho Aoshima, semble aussi prédire la fin de la civilisation urbaine et le retour à une nature aux couleurs ambiguës. Ce parcours de la seconde moitié du siècle précédent traverse ainsi les formalismes les plus outrés, les discours les plus incisifs, et aussi, il faut bien l’admettre, quelques impasses esthétiques, qui font bien partie de cette histoire.