L`Intermède
August Sander, sans fard ni retouche
Nichée dans un charmant atelier d’artiste construit en 1912 par Molinié, la fondation Henri Cartier-Bresson accueille, dans un espace feutré, une rétrospective regroupant une petite centaine de tirages - la plupart sont des vintages - du photographe allemand August Sander (1976-1964). En regroupant portraits, paysages et études botaniques, l’exposition Voir, observer et penser s’attache à mettre en lumière l’essence de la démarche de l’artiste : le réalisme, sans esbroufe ni effets superfétatoires.


Fils, d'un père mineur, August Sander découvre sa future passion par l’intermédiaire d’un photographe professionnel engagé par la société d’exploitation minière dans laquelle il travaille depuis ses 13 ans. En 1892, il achète son premier appareil photographique et aménage sa propre chambre noire. Il poursuit son initiation durant son service militaire (1897-1899) à Trèves en tant qu’assistant-photographe, puis voyage deux années durant à travers toute l’Allemagne. Au début du XXe siècle, il s’installe à Linz, en Autriche, où il sera employé d’un studio de photographie avant de s’installer rapidement à son compte en tant que portraitiste à Cologne ; et c'est avec l’influence des cercles culturels progressistes de cette ville dans les années 1920, notamment le "Kölner Progressive" (il se lie avec le peintre et sculpteur Franz Wilhelm Seiwert, et le peintre Heinrich Hoerle mais fréquente aussi Gerd Arntz, Otto Freundlich ou l’écrivain Ludwig Mathar…) qu’il commence à élaborer le style qu’il développera sa vie durant, tel que son oeuvre principale Hommes du XXe siècle le reflète.

Une grande partie de son travail est détruite à plusieurs reprises : d’abord par les nazis en 1934 qui brûlent les clichés d’impression du livre Visage d’une époque, publié en 1929, suite à l’arrestation de son fils, membre de la SAPD, puis à nouveau à la suite de bombardements qui touchent le studio de Cologne durant la Seconde Guerre Mondiale, et enfin lors d’un incendie en 1946 dans lequel 25 000 à 30 000 négatifs sont brûlés. Malgré ces événements sombres, Sander continue à exposer jusqu’à la fin de sa vie avec beaucoup de succès, comme en témoigne sa participation, en 1955, à The Family of Man, une exposition de photographies créée par Edward Steichen pour le Musée d'Art Moderne de New York (MoMa).

De ces quelques éléments sur la vie du photographe, les murs de l'exposition de la fondation Henri Cartier-Bresson ne rendent que trop peu compte, de même que la logique qui gouverne l'agencement des clichés reste obscur. La fondation semble s'attacher davantage à l'excellente qualité des clichés mis en valeur par la scénographie, très sobre, pour mieux apprécier le style du photographe. Sur les murs lie-de-vin des deux pièces, les instantanés alignés, surmontés ponctuellement d’une citation pertinente de l’artiste attirent efficacement l’œil du visiteur, mais au détriment d‘une démarche pédagogique assumée seulement dans la vitrine centrale de la deuxième salle, malheureusement insuffisamment éclairée.

Souvent considéré comme de style documentaire ou comme photographie sociale, l’oeuvre d'August Sander a surtout contribué au développement et à l'enrichissement de ces courants photographiques en questionnant la limite entre photographie d'art et documentaire : "voir, observer et penser" est non seulement le point de départ de sa démarche, mais également une invitation lancée au visiteur à s’interroger sur l’essence de l’art. Cette réflexion sur la valeur artistique de la photographie documentaire sera poursuivie par l’école de Düsseldorf, notamment par Bernd et Hilla Becher dont le travail de typologie des bâtiments industriel (même cadrage, même lumière, systèmes de classement) a été mondialement salué.

Cette sobriété de la mise en scène au profit des clichés montre parfaitement la griffe d'August Sander, qui se veut le témoin de son époque : ses modèles qui tous fixent l’objectif - du fier agent de police aux moustaches inimitables à la fillette inquiète posant à côté de sa poupée - sont l’objet de portraits sobres, sans fard ni effet de style. Intitulés en général d’après la catégorie socioprofessionnelle du sujet, ils ne lui laissent pour seul attribut que son rôle social, au point d’en gommer toutes les marques de la personnalité. Si bien que dans la deuxième salle, la photographie représentant les Mains d’une femme sculpteur s’intègre naturellement parmi les portraits. La volonté de capter la réalité brute est également présente dans les études botaniques et les fragments de son projet de répertoire topographique des différentes régions d’Allemagne.

Toutefois, bien que présentés comme de style documentaire, ces clichés semblent étrangement plus vivants que les personnages fixés en portraits. A la prise de vue de face, souvent en pied, s’oppose des angles moins neutres et des jeux de lumière, ici tombant sur les branches d‘un if, là caressant un sous-bois, plus loin reflétant le ciel dans une flaque d’eau, qui insufflent une véritable émotion à une nature défiant l’objectivité du photographe. C’est finalement lorsque l’on aperçoit côte à côte le grain d’un épiderme humain et les reliefs d’un sol couvert de fougères que les visions se complètent, établissant ainsi une brillante correspondance entre les divers travaux quasiment scientifiques du photographe.

Raphaël Saubole
Le 06/11/09

Voir, observer et penser, August Sander (1876-1964)
Jusqu’au 20 décembre 2009

Fondation Henri Cartier-Bresson
2, impasse Lebouis
75014 Paris
Tlj sauf lundi : 13h-18h30
Matinale le samedi (11h) et nocturne le mercredi (20h30)
Tarif plein : 6 €
Tarif réduit : 3 €
Rens. : 01 56 80 27 00

D'autres articles de la rubrique Instantanés

L`exposition `Nouveaux Monstres` à la Gare Saint-Sauveur à Lille présente quinze installations monstrueuses`Aujourd`hui à deux mains`, installation de la chorégraphe Pascale Houbin au CND