Salvador Dali, l'or hurluberlu
Attiré par l’argent, fasciné par l’or, Salvador Dalí (1904-1989), artiste surréaliste mégalomane aux multiples talents (peintre, sculpteur, photographe, architecte, romancier, illustrateur…) s’est un temps intéressé à l’orfèvrerie, notamment sous l’influence de sa compagne et muse, Gala. L'espace Dali, à Paris, consacre une exposition aux bijoux du maître espagnol, jusqu'au 20 janvier 2010.
Au sommet de la butte Montmartre, en haut des escaliers escarpés d'où l'on peut admirer les cimes de la capitale, il faut redescendre quelques pieds sous terre, dans le lieu clos qu'est l'espace Dali, aux murs noirs sertis d'or pour l’exposition
Dalí d’Or & Bijoux de Gala. Celle-ci s'attache à montrer deux facettes méconnues du travail de l’artiste espagnol : d’une part, un espace est assigné aux
Dalí d’Or, ces pièces frappées à l’effigie de l’artiste et de sa compagne Gala, et à une série d’objets constitués à partir de ces pièces ; d’autre part, des bijoux et objets décoratifs conçus par l’artiste, en or et pierres précieuses, parsèment la collection permanente face aux sculptures leur ayant servi de modèle. Cet ensemble hétéroclite d’orfèvrerie, habilement intégré aux œuvres du musée permet, dans le noir des cimaises, de laisser jaillir l’éclat de bijoux excentriques, à l’image de leur insaisissable auteur.
L’obsession de Dalí pour l’or n’a jamais été un mystère : "
L’or m’illumine et les banquiers sont les suprême prêtres de la religion dalinienne", rappelle cette citation inscrite sur un mur. Une maxime ambivalente, affirmant avec dérision tant une prosaïque avidité pour l’argent, responsable du surnom, réapproprié par lui de "
Avida Dollars" de la part d’André Breton, qu’une fascination pour le matériau noble, brillant, symbole de pouvoir que constitue l’or. Mais c’est également sa rencontre avec Gala qui va être à l’origine du développement de ses travaux d’orfèvrerie.
En 1929, alors qu’il vient de collaborer avec Buñuel à la création du film
Un chien Andalou, marquant son entrée dans le groupe des surréalistes parisiens, Salvador Dali rencontre Helena Diakonova, alors mariée à Paul Eluard et plus connue sous le pseudonyme de Gala. Une relation se noue rapidement entre eux, et Dalí l’épouse en 1932. Femme, maitresse, muse et administratrice, la grande influence de la femme sur les travaux de Dalí est indéniable, et Gala sera l’inspiratrice de nombreuses de ses œuvres d’art, notamment les bijoux. En 1941, l’universalisme de Dalí dans le domaine des arts le pousse, à l’instar des maîtres de la Renaissance italienne qu’il admire - Michel-Ange, Raphaël, Cellini… - à s’essayer à tous les domaines ; il s’associe alors au Duc de Verdura pour la conception d’une première série de vingt-deux bijoux. Il poursuivra ensuite ses travaux de 1941 à 1958 avec d’autres joailliers de renom, les new-yorkais Alemany et Ertman.
Puis, dans le cadre d’une nouvelle politique de mécénat culturel, Dalí réalise pour la Monnaie de Paris deux médailles en 1966. Il se lance par la suite dans la confection d’une série de pièces d’or à son effigie et à celle de Gala, équivalent des Louis d’Or, éditées par Jean Schneider, de 1966 à 1975. Pendant 10 ans, un nombre précis de "
Dalí d’Or" de quatre valeurs différentes sont créées, pour un total de 75000 pièces numérotées et millésimées. A partir de ces exemplaires très prisés des collectionneurs, douze compositions originales ont été fabriquées en trois-cent exemplaires sous la direction de l’artiste.
Celles-ci, d’une extrême finesse, reprenant la symbolique chère au surréaliste, forment notamment des animaux fantastiques et mystérieux -
L’ibis,
La tortue,
Pendentif serpent magique… - ou encore des médailles
- Dali/Gala,
Avida Dollars… - dont la simplicité contraste avec l’excès confinant au kitsch de la série de bijoux -
Danseuse dalinienne,
Alice in wonderland,
La licorne... Mis en regard avec les sculptures de bronze qui sont leurs modèles, ces prouesses de minutie perdent cependant le charme subtil de l’onirisme, à force de surcharge de diamants et autre pierres précieuses, attestant tout du moins du credo dalinien selon lequel "
Il faut qu’un bijou soit importable."
Les objets décoratifs, non utilisables en l'état, ont subi le même sort : des caducées à la cuillère-montre-peigne, en passant par l’incroyable vaisselle escargot, chacune des œuvres en or réalisée par l’artiste semble appartenir à un monde en miroir déformant, où la réalité prosaïque des objets (couverts, cruches, horloges...) est auréolée de courbes, voûtes et galbes féériques qui en dessinent les contours sans limites.