36 ANS APRÈS SA PREMIÈRE DIFFUSION sur Antenne 2, Goldorak est ressuscité par la galerie Sakura, à Paris. Le dessin animé japonais, réalisé par Toei animation et adapté d'un manga de GoNagai, est au centre d'une exposition collective en mode rétro(laser), qui réunit photographes, graphistes, plasticiens et sculpteurs français et étrangers. Car là où Goldorak s’est exporté, il a inspiré. Jusqu'à en devenir une icône culturelle populaire qui suscite passion, nostalgie, poésie et humour. Le "formidable robot" se trouve à présent réapproprié et, pour ainsi dire, métamorphosé par toute une génération d’artistes qui ont suivi ses aventures dans leur jeunesse – et qui participent ainsi à le transmettre à une autre génération de spectateurs. A l’instar du fan art, la création autour de Goldorak se libère. – Par Sarah Hatchuel LE GÉNÉRIQUE LE PROMETTAIT, la Goldo Expo l’a fait : Goldorak entre dans la légende par la grande porte de l’art. Lorsque le photographe David Eger imagine le robot à la place de l’homme de Vitruve ou lorsque le sculpteur Anthony Knapik Bridenne le transforme en totem de bois digne des arts premiers, ils démontrent la capacité de Goldorak à s’inscrire dans l’Histoire, comme s’il avait inspiré les artistes depuis la nuit des temps. C’est la force des icônes de donner l’impression qu’elles ont toujours déjà été. Le photographe Dario D’Angelo révèle, quant à lui, que Goldorak est dans toutes les têtes : deux bananes accolées peuvent immédiatement faire penser aux cornes du lanceur de Corno-fulgure. La force de l’icône est aussi de pouvoir être évoquée par une simple métonymie. – Combats L’HISTOIRE DU DESSIN ANIMÉ est celle d’une lutte du bien contre le mal. Actarus, prince d’Euphor, fuit sa planète détruite par les forces de Véga. Il s’échappe en leur dérobant leur vaisseau de guerre le plus sophistiqué, Goldorak - une soucoupe d’où peut se détacher un robot à la forme humanoïde qui peut se battre au sol. Actarus se réfugie sur Terre où il est adopté par un scientifique humaniste, le professeur Procyon. Lorsque Véga lance l'attaque contre la Terre à l'aide de ses Golgoths, Antéraks et autres monstres à l’assaut, Actarus défend la planète bleue à bord de Goldorak, au péril de sa vie, aidé dans sa lutte par ses amis, Alcor et Vénusia, et par sa sœur retrouvée, Phénicia. C'est ainsi l'intégralité de la série qu'une borne d'arcade, dans la galerie Sakura, diffuse : 74 épisodes en continu et en haute définition. Mais les créations originales des artistes s’affranchissent du dessin animé : exit Procyon, Alcor, Vénusia et Phénicia ; adieu aussi la soucoupe, l’Alcorak et autre Vénusiak. Ce qui est au coeur des pièces, c'est d'abord le robot humanoïde lui-même.
CAR GOLDORAK, C'EST AVANT TOUT GOLDORAK – sa présence, sa puissance. En entretien, les artistes s’accordent souvent sur un point : au re-visionnage, le dessin animé a beaucoup vieilli, mais les affects qu’on y a projetés demeurent intacts. Goldorak a suscité en eux des fictions qui excèdent l’histoire d’origine. Le graphisme, que ce soit celui du robot ou du costume du prince d’Euphor, est encore très actuel. Ainsi, Alain Louiset a d’abord vu dans Goldorak des couleurs saturées et une matière, le métal. Son œuvre, si elle est simplement vue dans un catalogue ou sur internet, peut donner l’illusion d’une simple image en deux dimensions. Lorsqu’on la découvre en réalité, le relief, les creux et la texture se révèlent. A partir de matériaux divers qui sont modelés pour donner l’illusion d’être des bouts de containers industriels, Alain Louiset a reconstitué une image de Goldorak, le point fermé, prêt à combattre. Au-dessus du robot, une bulle façon bande-dessinée présente des caractères japonais qui traduisent, de façon comique et anachronique, une phrase du film La Septième compagnie : "Si je connaissais le con qu’a fait sauter le pont! " C'EST BIEN CETTE IDÉE DU COMBAT qui traverse les oeuvres. Ainsi du graphiste Richard Tran, qui a imaginé un Paris ravagé par Godzilla et dont l’unique recours serait de faire appel à Goldorak. L’affiche rappelle ainsi les chocs qui opposaient le robot d’Actarus aux Monstrogoths – ces animaux que Véga avait réussi à transformer en machines de guerre terrifiantes. Tout comme l’épisode 52 s’arrêtait en plein suspens - le bras de Goldorak venait d’être arraché par l’un de ces monstres -, l’affiche présente un moment de cliffhanger qui est là pour susciter le débat entre geeks : dans cette invention transfictionnelle où Goldorak rencontre Godzilla, qui ressortirait vainqueur ? L’esthétique, avec ses bords élimés et sa pliure au milieu, évoque des affiches de cinéma vintage. A nouveau, Goldorak donne l’impression d’avoir toujours été là. Pour Richard Tran, si Goldorak est "l’arme pour défendre la Terre, son pilote Actarus représente les valeurs". Des valeurs avant tout écologiques. – Éclairs LORS DE SES PREMIÈRES DIFFUSIONS à la fin des années 1970, Goldorak suscite une forte controverse : les parents trouvent le dessin animé beaucoup trop violent pour leurs enfants. Or, la violence des combats cache un système d’idées fondées sur la justice, la tolérance, l’entraide et la préservation de la planète bleue. Contrairement aux super-héros traditionnels, Actarus est un personnage qui a horreur de se battre et préfèrerait vivre en paix à s’occuper des animaux du ranch et à jouer de la guitare en regardant le ciel. Si Actarus représente la fragilité de l’homme, Goldorak vient symboliser une puissance victorieuse qui a bercé l’enfance de Marc Ninghetto. Spécialiste de la photographie de mode, ce dernier a collaboré avec l'horloger suisse Max Busser (MB&F) pour créer une série d'instantanés réalistes où le héros à cornes se retrouve, seul, dans des paysages naturels ou urbains. Nul besoin de revoir le dessin animé : Marc Ninghetto a puisé dans ses souvenirs, voulant retranscrire les émotions des enfants de l’époque, qui guettaient leur héros dans le ciel ou au moindre coin de rue.
DANS CES CLICHÉS GRAND FORMAT à la lumière diffuse, Goldorak semble revenir à la vie après avoir hiberné pendant trois décennies. Il explore et observe le monde tel qu’il est devenu. Il ne s’impose pas forcément au regard – on doit parfois le chercher. Il s’intègre au paysage comme s’il faisait partie d’un tout. Ninghetto, qui a intitulé chaque photographie en reprenant le titre d’un épisode de Goldorak, est parti à chaque fois d’un paysage donné ; puis il a photographié le robot-jouet en reproduisant en tout point l’éclairage, avant de l'insérer dans le champ. Que Goldorak se trouve devant un échangeur d’autoroutes, sur la banquise ou sur une plage (une image qui n’est pas sans rappeler la fin de l’épisode 62), les photographies font resurgir l’un des thèmes forts du dessin animé : la machine colossale qui a pour but non pas de détruire mais de préserver l'environnement et la ville. On retrouve également cet accord entre la machine et la nature dans l’œuvre rétroéclairée de Warsheh : la silhouette de Goldorak est formée par un ciel nocturne, sa lune, ses nuages et ses éclairs. A l’intérieur, Actarus pose de manière majestueuse. –
Métamorphoses AU MILIEU DE TOUTES CES OEUVRES inspirées du robot, on en oublierait presque que Goldorak n’est pas une machine autonome. La seule artiste femme de l'exposition, Ideealizse, s'est donc penchée sur le couple formé par Goldorak et celui qui le pilote, "chevalier solitaire" et taciturne dont la mélancolie, le regard fort et les sourcils fournis l’ont marquée quand elle regardait les émissions de Dorothée. Sa création graphique rappelle le motif du double dans le dessin animé - Minos partage ainsi son visage avec Minas, et le générique de fin marque la métamorphose entre Actarus et le prince d’Euphor. Inspirée par l'image composite qui réunissait le visage d’Actarus et d’Alcor sur une ancienne édition DVD, Ideealizse a appliqué cette forme picturale au pilote et à sa machine... Non sans difficulté : la tête de Goldorak n’ayant pas les mêmes proportions que le visage du prince d’Euphor, il a fallu étirer légèrement la première, "en croisant les doigts pour que les puristes ne soient pas choqués", confie l'artiste. La graphiste est partie d’une forme simple, le polygone, qui est utilisée pour créer les effets 3D des jeux vidéo. À partir de la palette couleur de Goldorak, chaque facette des polygones présente ainsi une variation spécifique. Ainsi, à l'image du super-foetus conçu par Alexandre Nicolas où un "bébé" Goldorak apparait en gestation dans un écrin de verre, le héros de notre enfance renait en permanence, dans les re-créations qu’il engendre. S.H.
------------------------ à Paris, le 4 décembre 2014 Goldo Expo Jusqu'au 17 janvier 2015
Galerie Sakura
21 rue du Bourg Tibour 75004 Paris
Mar-ven 12h-20h / sam-dim 11h-20h
Entrée libre
Crédits photos :
Photo 1 : © Dario D'Angelo
Photo 2 : © Richard Tran
Photo 3 : © Warsheh
Photo 4 et vignette page d'accueil : © Ideealizse