Gustave Moreau, pour la beauté du geste L'exposition Gustave Moreau, L'Homme aux figures de cire présente, jusqu'au 17 mai au musée dédié au peintre, quinze figurines en cire sculptées par l'artiste (1826-1898), ainsi que des photographies et moulages provenant de ses propres collections, dessins constituant des projets de sculptures et oeuvres d'artistes qui lui sont contemporains. En tout, quatre-vingt huit pièces qui révèlent l'influence plutôt méconnue de la sculpture sur l'ensemble de son travail. L'occasion de jeter un regard nouveau sur l'oeuvre du symboliste. Le Musée Gustave Moreau, maison de l'artiste qu'il a transformé lui-même à la fin de sa vie en musée et dont il a conçu l'accrochage des oeuvres, est un lieu intemporel, empreint de mystère, où les tableaux flamboyants du peintre recouvrent du sol au plafond les murs des grands ateliers, conformément aux pratiques en vogue au XIXe siècle, et où des centaines de dessins, exposés sur des panneaux de bois que l'on peut feuilleter comme un livre, se cachent derrière des rideaux. Mais le musée ne possède pas de salle pour les expositions temporaires, ce qui explique que
Gustave Moreau, l'Homme aux figures de cire ne soit que le second événement organisé en ces lieux, après
Huysmans-Moreau. Féériques visions en 2007. La galerie de l'appartement, une salle ouverte pour l'occasion, accueille certaines oeuvres appartenant à la collection de moulages et d'instantanés de Gustave Moreau, mais le coeur de l'exposition, notamment les quinze fameuses figurines de cire, sont placées harmonieusement au sein même des collections permanentes qui restent ainsi visibles pour l'essentiel, si ce n'est quelques pièces rendues inaccessibles par de rares cimaises. L'occasion, donc, de redécouvrir l'oeuvre picturale de Gustave Moreau et de faire entrer en écho l'exposition avec l'ensemble des collections.
En effet, à la minutie et la densité des grandes toiles de Moreau
comme
Jupiter et Sémélé (1895), ses figurines en cire, disséminées comme des surprises, répondent par une simplicité brute. Des formes ébauchées, souvent autour d'un mannequin - toujours le même sauf pour
Lucrèce et
Salomé - que révèlent les images radiographiques placées derrière elles et réalisées spécifiquement pour l'exposition par le Laboratoire de recherche des Musées de France, le
C2RMF. Comme des redoublements fantomatiques de silhouettes qui flirtent elles-même avec l'informe. Ainsi, les corps des
Argonautes s'amoncellent en un amas de silhouettes énigmatiques. Et pourtant, de cette cire rougeâtre et irrégulière qui déborde sur son socle de bois, émerge l'essence du mouvement et de la posture dans sa plus grande finesse. Une pureté du geste et de l'attitude, écho saisissant aux représentations picturales de ces mêmes personnages. "
Il y a un moment fatal où un art, écrit Gustave Moreau
, se transforme pour prendre les qualités des arts voisins." Il cherche à mettre en valeur par la sculpture, cet art qu'il considère complémentaire par rapport à la peinture, ce qu'il appelle "
sa science [...] de l'arabesque des lignes". Et, en effet, les figurines, pourtant de petite taille, saisissent l'imagination par la puissance qui se dégage de la posture fière d'
Hercule ou, dans
Jacob et l'Ange, par le mouvement de l'homme en appui sur ces deux jambes, les bras formant un angle droit avec son corps, retenu par l'Ange qui fige l'instant dans l'harmonie de sa droiture, les ailes déployées derrière lui.
Dès sa jeunesse, Gustave Moreau se passionne pour la sculpture, admire notamment le travail de Michel-Ange, et collectionne par la suite des clichés et des moulages d'oeuvres comme le
Laocoon ou des études anatomiques dont un torse moulé sur nature. "
On s'est aperçu que la sculpture avait imprégné tout son art et toute son éducation, explique Marie-Cécile Forest, directrice du Musée Gustave Moreau et commissaire de l'exposition avec Anne Pingeot, conservatrice honoraire au Muse d'Orsay
. Sur les 14 000 dessins conservés ici, dont seulement trois sont présentés dans l'exposition, il y a beaucoup de copies de sculptures réalisées autant en Italie qu'au Louvre, au Trocadéro, dans les jardins des Tuileries." Moreau s'inspire directement des pièces de sa collection dans ses propres tableaux : la tête de
L'esclave mourant de Michel-Ange influence ainsi le tableau
Orphée (1865). D'autres artistes contemporains de l'artiste symboliste pratiquent également la sculpture en cire, comme Edgar Degas ou Ernest Meissonier. Mais, comme le montrent les radiographies exposées dans l'exposition, une des particularités de Gustave Moreau est qu'il utilise comme structure pour ces sculptures des mannequins manufacturés qu'il achète, quand Degas les fabrique lui-même. Par ailleurs, ce dernier vise davantage à "
l'absolue vérité" par la sculpture et représente des sujets tirés du monde réel, alors que Moreau emprunte essentiellement aux mythes.
La majeure partie des figurines sont rattachées directement à des tableaux de Gustave Moreau. "
Les seules qui sont un peu à part sont le groupe des trois chevaux que l'on ne peut pas relier directement à une peinture précise", poursuit Marie-Cécile Forest. Jamais exposées du vivant de l'artiste, la fonction de ces modelages reste mystérieuse. Il semblerait notamment qu'elles puissent être postérieures aux tableaux auxquelles elles se rapportent, ce qui leur confère une valeur en elle-même et excluerait la fonction de travail préparatoire au tableau. En revanche,
Salomé, qui se distingue par les tissus qui la recouvrent, pourrait avoir servi de mannequin et de modèle pour le tableau correspondant. "
Jusqu'à présent on avait toujours dit que les sculptures, en liaison avec une phrase écrite en 1874 mais qui peut s'interpréter de manière différente suivant comment on la lit, étaient antérieures à la peinture, ajoute la directrice du Musée
. Mais il nous semble, à l'examen des oeuvres elles-mêmes et des radiographies qui montrent qu'il n'y a aucun repentir, qu'elles sont plutôt postérieures à la peinture. Mais on n'a pas de certitude sur cette question."
Ces quinze figurines réalisées probablement à partir de 1860 s'attachent avant tout à des sujets d'histoire et représentent des mythes. Néanmoins, en séparant le personnage de son contexte, la figure devient souvent allégorique et s'éloigne parfois du propos initial, devenant une image autonome hors de la narration. "
Lucrèce seule prend valeur d'allégorie de la pudeur par exemple", selon Marie-Cécile Forest. Reste à imaginer les sculptures que l'artiste n'a pas réalisées mais qui existent à l'état de projet - quarante dessins, dont une sélection est présentée au troisième étage de l'exposition - représentent des projets qui n'ont jamais vu le jour comme une
Léda et une
Jeanne d'Arc par exemple. "
Il y a plusieurs projets que je médite et que peut-être je ne pourrai mettre à exécution", écrivait Gustave Moreau.