L`Intermède

Heinrich Khn, exposition, rétrospective, biographie, parcours, musée de l`orangerie, paris, photo, photographie, photographies, photos, portrait, nature morte, couleur, peintureHeinrich Kühn, le tableau instantané
À une époque où, considérée par ses détracteurs comme une simple reproduction mécanique de la nature, la photographie peine à se faire reconnaître comme une activité artistique à part entière, Heinrich Kühn (1866-1944) s'attelle à faire de l'art de l'instantané l'égal de la peinture et de la sculpture. Le photographe autrichien se démarque des pictorialistes anglais, les pionniers du genre - Peter Henry Emerson en tête -, par le soin méticuleux qu'il porte à la composition de ses productions, les couleurs et l'étude de la lumière, multipliant les clichés pour parvenir à "la photographie parfaite" - titre de l'exposition qui lui est actuellement consacré au musée de l'Orangerie - où chaque détail est soumis à un idéal.


Photographe amateur à ses débuts, libre de s'adonner très jeune à sa passion pour les négatifs grâce à un héritage familial conséquent, Heinrich Kühn n'a pourtant rien d'un dilettante lorsqu'il commence à travailler ses clichés. L'ancien étudiant en médecine, qui a déjà derrière lui une grande pratique de la photographie microscopique, manie avec aisance les techniques les plus modernes de son époque, de la platinotypie (basée sur la sensibilité à la lumière des sels de fer et de platine) au procédé pigmentaire (où une couche de gélatine pigmentée sur un support papier est rendue sensible à la lumière dans un bain de bichromate de potassium), sans oublier la gomme bichromatée. Cette dernière technique, qui voit l'utilisation d’un matériau - ladite gomme - capable de durcir en fonction de la quantité de lumière qu'elle reçoit, a longtemps été prisée par Kühn, car elle permet de nombreuses interventions manuelles sur le cliché : le travail sur les négatifs demeure, par sa capacité à transformer le cliché en une œuvre d'art, une action essentielle pour les tenants du pictorialisme. La photographie prend alors davantage l'allure d’une gravure où dominent les tons verts ou sépias, comme pour Dans la baie de Saint Marc (Venise, vers 1898) où deux hommes en barque, la ville du Doge en décor de fond, semblent être davantage le résultat d’un méticuleux travail au burin que d'un cliché : "L'appareil mécanique n'a pas d'autre importance pour le photographe que par exemple le pinceau pour le peintre", se plait à répondre Kühn aux détracteurs de son art.

Et sa passion pour la photographie le conduit à expérimenter de nouvelles techniques, soucieux d'aboutir peu à peu à un style tout personnel. Malgré le succès retentissant que ses grandes épreuves à la gomme bichromatée obtiennent en 1906 aux Etats-Unis, dans la galerie new-yorkaise d'Alfred Stieglitz (1884-1946), ami de toujours et frère spirituel de l'artiste, Kühn se détourne peu à peu de la photographie retravaillée de façon manuelle pour pratiquer davantage la photomécanique, en particulier dans ses ateliers de portraits conçus au lendemain de la première guerre mondiale qui lui permettent, alors que le conflit l'a ruiné, de vivre de son art. De même, dès 1907, année de commercialisation de l'autochrome par les Frères Lumières, Kühn en prend plusieurs centaines, fasciné par cette nouvelle technique fondée sur l'analyse et l'addition de couleurs, conduisant à placer entre deux verres trois fines couches de fécules de pommes de terre teintes chacune dans une des couleurs primaires, qui servent de filtre et se voient ajouter une émulsion argentique. Sur le papier, le résultat arbore des couleurs vives qui ressortent davantage sur le flou des contours, à l'instar de cette photographie de jouets d'enfants, Tambour et soldats de plomb (1910), où le blanc, le rouge et le bleu du tambour, de la poupée et du soldat à cheval se détachent étrangement d'un parquet aux contours indistincts : au décor vaporeux vient se surajouter l'éclat des couleurs, créant une vision proche de certains tableaux abstraits. L'exposition au musée de l'Orangerie illustre la passion de Kühn pour cette technique à travers de multiples autochromes de ses quatre enfants et de la gouvernante de la famille, Mary Werner, la famille du photographe constituant l'un de ses sujets de prédilection.

Heinrich Khn, exposition, rétrospective, biographie, parcours, musée de l`orangerie, paris, photo, photographie, photographies, photos, portrait, nature morte, couleur, peintureC'est ce retour incessant des mêmes sujets photographiés qui permet de saisir l'évolution de la pratique de Heinrich Kühn, notamment dans le domaine de la composition, qui renforce l'aspect pictural de ses instantanés. Les premiers clichés dénotent ainsi l'imprégnation d'une large culture artistique, où la peinture réaliste du XIXe siècle tient une large part - rappelant en cela l'un des crédos des pictorialistes, à savoir une excellente connaissance de l'histoire des arts et son corollaire, la visite assidue des musées. Les clichés des premières salles, datant des années 1890, rappellent en effet des tableaux de peintres dont la renommée a fini par s'imposer à la fin du siècle : Claude Monet (1840-1926) bien sûr, à travers les nombreux effets de lumière, mais un nu féminin, vu de biais, jambes croisées, adossé à une commode où se tient un chat, semble aussi faire écho au Jeune garçon au chat d'Auguste Renoir (1868), tandis que diverses photographies de Mary Werner et de la petite Lotte Kühn, toutes les deux vêtues de robes blanches vaporeuses, assises sur un divan, ne sont pas sans rappeler, notamment par leurs cadrages, les tableaux de Mary Cassatt (1844-1926) qui mettent en scène mères ou bien nourrices avec des enfants. Certains portraits réalisés par Kühn dans son atelier professionnel font également écho, par la position du sujet et le cadrage opéré sur sa personne, à nombre de tableaux de Gustav Klimt (1862-1918).

Heinrich Khn, exposition, rétrospective, biographie, parcours, musée de l`orangerie, paris, photo, photographie, photographies, photos, portrait, nature morte, couleur, peintureIl ne s'agit pas pour autant de restituer la présence des proches sur papier ni de construire les clichés autour d'une complicité de famille, mais d'utiliser ces proches comme des éléments de composition afin d'aboutir à la photographie idéale. Les sujets deviennent un matériau aux yeux du photographe. Ainsi Les enfants Kühn (1913) joue sur la composition des lignes : les quatre têtes des enfants montrent des découpages possibles en diagonales, verticales et horizontales, soulignant par là un souci de construction harmonieuse. Mais occupés à tenir leur pose, jamais leurs regards ne croisent celui de l'objectif. De même, les nombreux nus de Mary Werner, qui finit par devenir la maîtresse de Kühn après la mort de sa femme, ne sont en rien les témoignages d'un amant passionné par la fluidité d'une courbe féminine ou bien le soyeux d'une chevelure, mais plutôt le résultat d'un œil attentif aux jeux de lumière sur la chair et les cheveux de son sujet tout comme à l'harmonie des lignes rondes comme en témoigne un Nu de dos (1920) où à la courbure du dos répond l'arrondi d'une chemise écarté par un bras rond. Les dernières photographies exposent, encore et toujours, la famille Kühn accompagnée de la fidèle gouvernante. Mais cette fois, les compositions ne sont pas strictement ordonnées comme auparavant : le photographe a délaissé ses premières amours dans l'art de distribuer ses sujets pour privilégier d'autres dispositions susceptibles de donner une vision plus dynamique, les personnages évoluant en randonneurs dans un paysage de collines comme dans cette Scène champêtre (sud du Tyrol, entre 1912 et 1914), annonçant en cela les caractéristiques du courant de la "Nouvelle vision" (appartenant surtout aux années 1920), où le cliché renonce à la prise de vue frontale et horizontale pour privilégier une vision davantage fragmentée et travaillée par des lignes moins harmonieuses.

Heinrich Khn, exposition, rétrospective, biographie, parcours, musée de l`orangerie, paris, photo, photographie, photographies, photos, portrait, nature morte, couleur, peintureSi technique et composition évoluent au fil du temps, il est un élément qui, lui, reste au centre du travail de Kühn : la lumière. Les premiers clichés révèlent ainsi un travail attentif sur l'ombre dans un verger, les reflets d'un café illuminé sur la neige, la lueur tamisée d'un crépuscule ou bien la brume d'un blanc spectral enveloppant une prairie... autant de clichés atmosphériques, héritage d'un impressionnisme encore récent. Quant aux portraits réalisés à partir de 1905 dans son atelier, ils manifestent un souci non pour le dévoilement de la psychologie du sujet photographié comme chez un Nadar, mais pour la distribution de l'ombre et de la lumière sur la personne, en particulier son visage. Tandis que les nombreuses natures mortes expriment la façon dont une surface peut capturer la lumière et la refléter, à l'instar des pétales blancs d'une pivoine ou d'une carafe de cristal à côté d'une corbeille de fruits, comme dans l'un des plus célèbres clichés de Kühn, Nature morte : verres et carafes (vers 1905). Ce travail incessant et passionné témoigne à chaque fois de la conviction de Kühn de considérer la pratique de l'instantané comme un art véritable, un art pur : "La promotion de la photographie est indispensable à la culture", écrit-il à son cher Stieglitz dans une lettre datée du 7 décembre 1907. Un caractère visionnaire dont le photographe autrichien ne fera pas toujours preuve, notamment quand il restera sourd aux avant-gardes du début du XXe siècle (notamment à l'encontre de Picasso) ou quand, sur le tard, il s'inscrira au parti nazi.
 
Claire Colin
Le 25/11/10
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Heinrich Kühn, la photographie parfaite
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jusqu’au 24 janvier 2011

Musée de l’Orangerie
Jardin des Tuileries
75001 Paris
Tlj sf mar : 9h-18h
Tarif plein : 8 €
Tarif réduit :  5 €
Tél : 01 44 77 80 07









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Crédits et légendes photos
Vignette sur la page d'accueil : Mary Warner à contre-jour, 1908. Autochrome, 24 x 18 cm. Vienne, Österreichische Nationalbibliothek © Österreichische Nationalbibliothek, Bildarchiv, Vienne © Droits Réservés
Photo 1 Miss Mary Warner, gouvernante des enfants du photographe, vers 1910. Épreuve photomécanique sur papier Japon, 40,5 x 53 cm. Paris, Musée d'Orsay © Droits Réservés © Musée d'Orsay, Dist. RMN / Patrice Schmidt
Photo 2 Tambour et soldat de plomb, 1910. Autochrome, 18 x 24 cm. Paris, Musée d'Orsay © Droits Réservés © Musée d'Orsay, Dist. RMN / Patrice Schmidt
Photo 3 Lotte et Mary dans la prairie, 1908. Autochrome, 28 x 24 cm. Vienne, Österreichische Nationalbibliothek © Österreichische Nationalbibliothek, Bildarchiv, Vienne © Droits Réservés
Photo 4 Walter Kühn, fils de l'artiste, lisant, vers 1914. Épreuve photomécanique sur papier Japon, 40,5 x 53 cm. Paris, Musée d'Orsay © Droits Réservés © Musée d'Orsay, Dist. RMN / Patrice Schmidt
Photo 5 Nature morte : verres et carafe, vers 1905. Épreuve photomécanique, 73 x 52 cm. Paris, Musée d'Orsay © Droits Réservés © Musée d'Orsay, Dist. RMN / Patrice Schmidt
Photo 6 Randonneurs au Tyrol, vers 1912/1915. Autochrome, 9 x 12 cm. Paris, Musée d'Orsay © Droits Réservés © RMN (Musée d'Orsay) / Hervé Lewandowski