35 ANS, et toujours haut comme trois raisins. Alors que son créateur est décédé l'an passé, le Musée des Arts décoratifs, jusqu'au 16 mai, célèbre une véritable star de la ludosphère, petite par la taille, immense par le succès : Playmobil. – Par Anne Delaplace
DANS LA GALERIE DES JOUETS, le spectacle est autant dans les vitrines qu'autour d'elles, et l'enceinte du musée devient celle d'une cour d'école. Quoique destinée à tous les publics, l'exposition Il était une fois Playmobil est évidemment tournée vers les enfants, premiers amateurs des jouets exposés. Ceux-ci sont ainsi présentés à hauteur de petit d'homme, et, dans la salle multimédia, les ordinateurs à écran tactile s'animent sous les doigts qui galopent. Ça joue, ça rit, ça chahute, ça grimpe même sur les vitrines prévues à cet effet. Et le traditionnel silence muséal de laisser place aux cris de joie : "oh! Le géant playmobil!","ouha, le chevalier noir!"
LES PLUS GRANDS s'efforcent quant à eux de suivre studieusement l'histoire de ce bonhomme souriant né en 1974, et de son créateur, Hans Beck. Pour permettre à son entreprise Geobra Branstätter, située à quelques kilomètres de Nuremberg - la capitale du jouet depuis plusieurs siècles - de faire face à la crise pétrolière des années 1970, ce designer allemand imagine un jouet miniature, un produit plus économique, moins gourmand en matière plastique que le feu Hula Hoop des années 1960, issu de la même entreprise. Spécialiste en plasturgie, Hans Beck conçoit un objet inédit : un personnage de 7,5 cm de hauteur, adapté à la main de l'enfant, articulé, et accompagné d'accessoires très variés, baptisé dans un premier temps "Klicky". Dorothée Charles, conservatrice au Musée des Arts décoratifs, chargée du département des jouets, rappelle que les jouets sont "une représentation en miniature du monde dans lequel nous vivons, et reflètent les courants artitistiques d'une époque. Le personnage playmobil est un objet de design industriel très élaboré, situé entre la figurine statique et la poupée articulée, qui permet à l'enfant de se projeter dans des jeux de rôles aux univers variés". Fini, le petit soldat de plomb figé sur son socle ; bonjour le thème playmobil et ses variations indénombrables, dont le petit sourire en coin est l'écrin idéal pour imaginer des histoires à l'infini. Symbole du champ grand ouvert à la fantaisie, la collection "Playmobil color", apparue en 1979, qui commercialise des figurines blanches accompagnées de feutres.
LA PREMIÈRE PRÉSENTATION de jouets playmobils a lieu au Salon du Jouet de Nuremberg, en 1974. La firme de Beck expose alors trois personnages : un Indien, un chevalier et un ouvrier, emblèmes de la diversité des références - l'exotisme, les contes et le quotidien. Cette première présentation est un échec... et pourtant, 35 ans plus tard, soit deux (voire trois) générations touchées par un phénomène qui dépasse de très loin la petite taille de ces personnages, ce sont quelque 2,2 milliards de figurines qui auraient été dispersées dans des foyers (essentiellement occidentaux), soit une figurine pour trois humains. Le mastodonte Playmobil compte aujourd'hui douze filiales en Europe et en Amérique, occupe les marchés de soixante-dix pays, et renouvelle un quart de ses collections chaque année. Sur les 3000 personnages inventés depuis 1974, 650 sont actuellement en vente. Et le chiffre d'affaire a augmenté de 5 % en 2009. Au milieu des quelque 15 000 jouets dont recelle le Musée des Arts décoratifs, la ribambelle de ces bonshommes qui se déploie en long et en large fait écho aux thèmes favoris du monde des jouets : les animaux (la ferme, la savane...), les contes, les mythes (l'arche de Noé...) mais aussi la vie quotidienne (la famille, la maison, le travail...).
PLACE À l'inventivité, donc, mais tout en respectant les figures éternelles des jeux enfantins : indiens et cow-boys, chevaliers, pirates et autres univers merveilleux. Le parcours de visite rassemble ainsi toutes les créations Playmobil depuis 1974 dans quatre immenses vitrines à thèmes : les conquérants, le cirque, les animaux, et la vie domestique. Des playmobils de tous âges (les enfants Playmobil, apparus en 1981, mesurent 5,5 cm, quand les bébés en font 3,5) se trouvent réunis dans des décors bigarés, denses, d'une incroyable profusion. Dorothée Charles insiste sur la "fascination des enfants pour l'accumulation" qui a servi de principe à la scénographie. Alors que les yeux peuvent se perdre dans cette saturation de petites figures, les enfants déchiffrent avec une aisance confondante les signes de ces mondes miniatures. Et sont en pleine extase devant les animaux du cirque, le château médiéval et ses preux chevaliers, ou encore, mieux, l'île des pirates qui, au vu de l'enthousiasme général, remporte la palme. Tout y est : le navire, les jambes de bois, la malle au trésor, le drapeau à tête de mort, la longue vue du capitaine, le requin, et des pirates, des pirates, des pirates.
SI HANS BECK voulait créer un jouet indémodable, force est de constater que Playmobil sait aussi suivre les tendances - les figurines jouent au ballon rond en 2006, pendant la coupe mondiale de football ; les derniers pirates ressemblent étrangement à ceux de la saga Pirate des Caraïbes de Disney... Mais les évolutions témoignent surtout du chemin parcouru depuis les années 1970. Outre la couleur de peau, qui arbore désormais toutes les teintes possibles, Playmobil est le champion de la parité avant l'heure, se présentant comme un jouet "mixte", contrairement à son grand frère, le Légo, apparu en 1948 et au même succès continu, davantage destiné aux garçons. Chez Playmobil, le bonhomme a, dès 1976, une petite copine en robe courte. Un tiers des figurines sont achetées par des clientes. Et, évolution de la mode oblige, la fille Playmobil s'est féminisée, son corps s'est galbé, et elle porte aujourd'hui un débardeur. Reste que la vitrine de la "villa moderne" est loin de délivrer un message très progressiste : papa est dehors, qui tond le gazon, maman est dedans, qui change le bébé, tandis que le linge sèche, et que l'aspirateur est prêt pour le ménage... Ces "univers filles" connaissent, paraît-il, de plus en plus de succès depuis dix ans, comme en témoignent le "palais des merveilles" et ses princesses. La conservatrice rappelle d'ailleurs que, depuis les années 1990, cette gamme est vendue dans des "boîtes roses plus adaptées aux critères des petites filles"...
LE MUR DE DESSINS, placé au centre du parcours, indique la place accordée par l'entreprise aux voeux des enfants qui envoient chaque jour des demandes de nouveaux jouets aux équipes de design Playmobil. Ces croquis sont analysés, sélectionnés, et inspirent les futures maquettes qui formeront les moules en acier conçus pour chaque pièce (voir le diaporama ci-dessous). La plasturgie à injection fait le reste du travail. C'est sans doute cette méthode qui a permis à Playmobil de pérenniser sa production, en se nourrissant de l'imagination débordante de ses premiers clients, les enfants, qui enverraient environ 300 dessins par mois à l'entreprise. Mais si le public visé par la marque concerne les petits de 3 à 7 ans, il semble bien que les plus grands sont encore très attachés au personnage qui a accompagné leur enfance. La conservatrice rappelle d'ailleurs que "ce jouet a la particularité de rassembler plusieurs générations." Il n'est que d'observer l'empressement avec lequel les adultes se font photographier à l'entrée de l'exposition devant les playmobils géants, et l'intérêt avec lequel ils suivent le parcours de cette petite figurine, pour s'en convaincre, comme un écho à la maxime de Friedrich Nietzsche : "maturité de l'homme : avoir retrouvé le sérieux qu'enfant on mettait à ses jeux."
Il était une fois Playmobil
Jusqu'au 16 mai 2010 Musée des arts décoratifs
107 rue de Rivoli 75001 Paris
Tlj (sf lun) : 11h-18h ; Nocturne jeudi (21h)
Plein tarif : 8 € / Tarif réduit : 6, 50 €
- de 26 ans : gratuit
Rens. : 01 44 55 57 50