Design sous cloche
Du mouvement des Arts Nouveaux à la fameuse pomme de Newton en passant par les extraits de plantes utilisés par les phytothérapeutes, l'environnement naturel n'a cessé d'inspirer l'ingéniosité des découvreurs et de nourrir le talent des créatifs. L'exposition Inspired by nature, au Lieu du Design à Paris jusqu'au 12 mai, prouve que les designers et bien des membres d'autres professions encore plus inattendues ne font pas exception en la matière. Du design à la mode en passant par l'architecture et, bien entendu, la science, avec plus de cinquante matériaux innovants présentés, l'exposition envisage dans tous ces domaines l'apport de l'observation de la nature.
Léonard de Vinci était un grand observateur de la nature et recommandait d'être attentif à notre environnement pour faire germer des idées nouvelles. Ainsi, celui qui voyait dans la nature le futur de l'homme y puisait nombre de ses idées, comme celle de l'homme-volant, et en était un fin analyste. Il voyait d'ailleurs dans notre planète une "
terrestre machine" d'une merveilleuse complexité. La nature est en effet le plus grand centre de recherche et développement de la planète. Bénéficiant d'une expérience de plusieurs milliers d'années, de conditions de test les plus sévères qui soient et de générations entières de prototypes patiemment améliorés, le processus darwinien s'est appliqué sur toutes les espèces vivantes, animales et végétales. Que ce soit sur des problématiques de survie en environnement hostile, des critères esthétiques pour la séduction et la reproduction, d'adhésion au sol, de vol en zone de turbulence, de mécanisme anti-pluie divers ou de vitesse aquatique… tout a déjà été testé. En outre, toutes les solutions ainsi obtenues sont biodégrables, non dangereuses pour l'environnement et fonctionnent principalement à l'énergie solaire. Quoi de plus logique de profiter de cette masse d'expertise gratuite mise à la libre disposition de tout un chacun ?
L'objectif n’est cependant pas de mettre à l'honneur l’éco-conception, c'est-à-dire une conception faite dans le respect de la nature et en évitant la pollution. Il s'agit plutôt de montrer l'ampleur des enseignements que la nature nous dispense. Certains projets sont bien éco-conçus - le fruit de la nature l'étant généralement -, mais restent ici minoritaires. Comme le résume matériO : "
Que nous la copions simplement, que nous utilisions des organismes vivants dans nos projets ou exercions des transferts de ses technologies, la Nature nous offre un formidable terrain créatif." L'exposition se décompose ainsi en trois espaces :
Biomimétisme (ou Biomimicry),
Imitation et
Agromatériaux, et met en valeur la nature comme source de beauté, d'inspiration, de produits durables, mais aussi d'efficacité. Le Biomimétisme fonctionne comme une sorte de
reverse ingeniering de la nature : à partir de l'observation de la nature, de son fonctionnement et de ses composants, on tente de reproduire les mêmes effets avec des moyens artificiels. Il existe ainsi un effet lotus qui, appliqué par exemple sur une
vitre, permet de faire perler l'eau qui, lorsqu'elle glisse le long de la paroi, enlève les saletés. Sont également exposés le double effet peau de requin que l'on connaît essentiellement sous forme de combinaison pour améliorer les performances des nageurs mais qui a aussi la particularité d'empêcher l'adhésion des microbes, mais aussi des cheveux pour filtrer le pétrole, le fameux Velcro pour attacher deux surfaces, ou une colle inspirée des susbstances produites par les moules pour adhérer aux rochers.
Deux célèbres designers sont particulièrement à l'honneur : on retrouve en effet
Mathieu Lehanneur et son poumon domestique
Élément O, ici en action, qui purifie l'air ambiant grâce à la production d'oxygène par les algues. Disséminée dans l'espace, la version grand public commercialisée issue de cette idée, intitulée
Andrea, est un bon exemple de l'évolution d’un concept et de son adaptation aux contraintes de l'industrialisation. A découvrir également, quelques exemples du travail de
Gilles Belley, designer prospectif qui se situe dans la même lignée éthique professionnelle que Mathieu Lehanneur. Sa série
Fabrique Végétale, qui a fait l'objet d'une collaboration avec le Laboratoire de chimie agro-industrielle de Toulouse, comprend quatre diffuseurs d'arômes et deux engrais. Il replace les agromatériaux au cœur de ces objets trop souvent associés à la chimie industrielle. Le traité se fait alors onirique et évanescent, tout en étant empreint de sens. Il recrée autour de ces objets tout un univers japonisant tenant ici de la cérémonie du thé, là de l'art du bonsai ou encore des jardins zen. On regrettera cependant l'absence de ses projets
Micro Infrastructures et
Micro-Climat qui auraient pu éclairer sous un autre jour l'exposition en l'axant davantage sur l'apparente opposition entre naturalité et environnements conçus par l'homme.
La nature est aussi une source d'inspiration esthétique, comme en témoigne l'espace
Imitation. Un projet sort du lot : le
Bone project d’Andrew Ross, qui tend à dépasser les préjugés et la répulsion culturelle autour des ossements, et d'en montrer les richesses d'exploitation. Partant, il cherche à créer une source de revenu supplémentaire pour les éleveurs en valorisant ce qui n'est encore considéré que comme des déchets d'abattage. Ross leur découvre de nouveaux usages, soit en les réduisant en poudre afin d'en faire un matériau de base et de s'en servir pour former des briques qui ont la propriété de filtrer certaines ondes, ou de le façonner pour en faire des bijoux ou des montres. La scénographie épurée de l'agence
Chez Facile, Design reprend la fameuse "paillasse" en carreaux de porcelaine blanc des laboratoires scientifiques pour mieux mettre en valeur les échantillons et objets placés sous cloche de verre. Tracé à même les carreaux par l'artiste Marie Quilvin, un trait de marqueur noir court d'un objet à l'autre pour dessiner un parcours et, se transformant ici et là en illustration, introduire les différents objets exposés comme dans un conte pour enfant.
Si l'exposition est bien présentée dans les locaux du tout récent Lieu du Design à Paris, c'est l'association matériO qui en assure le commissariat. Créée en 2001 et présente à Paris, Anvers et Barcelone, la matériauthèque est un espace unique qui regroupe un ensemble de matériaux et de technologies innovantes et les met, sous forme d'échantillons et de fiches explicatives, à la disposition de ses adhérents designers, architectes, scénographes, graphistes et artistes, ainsi que sur internet. Aussi constitue-t-elle une étape décisive dans les problématiques d'éco-conception et de matériaux durables. Et
Inspired by nature est bien le résultat logique du rapprochement du Lieu du Design avec matériO, la matériauthèque ayant élu domicile dans les locaux de l'association. De quoi brouiller un peu plus la frontière entre créatifs et ingénieurs, design et science.